vendredi 7 janvier 2022

Le soft power de l'islamisme

Charb, Cabu, Bernard Maris, Wolinski, Tignous, Honoré, Elsa Cayat, Michel Renaud, Frédéric Boisseau,  Ahmed Merabet, Franck Brinsolaro, Moustapha Ourrad. Voilà sept ans aujourd'hui qu'ils ont été massacrés dans les locaux de Charlie Hebdo par deux sombres salauds dont on préfère oublier le nom. En tuant des dessinateurs, ils affirmaient avoir vengé leur prophète. 
Charlie Hebdo commémore les siens en publiant cette semaine un numéro spécial consacré aux "nouveaux clusters de l'islamisme": école, mode, travaux, sport, politique...


En introduction de ce numéro, une interview d'Omar Youssef Souleiman, écrivain et poète d'origine syrienne qui s'est réfugié en France en 2012. Athée "grâce au Coran", il dénonce la stratégie des islamistes pour mener à bien leur projet politique et sociétal. 

Il s'est étonné dans les années '80 de découvrir, via des photos de famille, que sa grand-mère n'était pas voilée dans les années '60-'70. Ce sont les Frères musulmans qui insidieusement ont imposé aux femmes le port du voile. "Je me souviens d'une phrase qui disait: la femme voilée est beaucoup plus libre, elle est indépendante, car elle garde son corps pour elle. C'est exactement ce qu'on entend actuellement en Europe. Alors, petit à petit, les jeunes Syriennes se sont mises à se voiler, même si beaucoup d'entre elles ne le souhaitaient pas, car les non-voilées, désormais, on les regardait bizarrement, comme des femmes impudiques. Je constate qu'il se passe la même chose aujourd'hui en France, dans certaines cités de banlieue où je suis allé."
Omar Youssef Souleiman dit ne pas comprendre cette gauche française qu'il qualifie d'hallal, celle qui affiche sa sympathie, sa complicité avec les islamistes. Celle qui en 1978 soutenait Khomeyni parce qu'il s'opposait à l'impérialisme américain. "Je trouve qu'ils ont un côté masochiste, parce qu'en Iran, une fois Khomeyni au pouvoir, les premiers à avoir été massacrés ont été les militants de gauche et les communistes. Pour moi qui viens du Moyen-Orient, c'est toujours un grand étonnement de voir tout ça, parce que chez nous, la gauche et les islamistes sont des ennemis jurés. Je trouve tellement bizarre ce mariage entre les deux en France..." Il en appelle à une vrai gauche laïque.
"Quand j'entends le mot islamophobie, je suis effondré. Ça n'existe pas ! Le seul ennemi de l'islam, c'est l'islam lui-même. Il suffit de lire le Coran pour comprendre qu'une bonne partie de cette religion, malheureusement, invite à la haine. Ce n'est pas une simple religion, c'est aussi un système politique, et depuis le début." Il pense qu'Eric Zemmour ferait "un super musulman fanatique : il est misogyne, polygame, il défend la société du patriarcat, il a la nostalgie du passé." 
Omar Youssef Souleiman voit cependant les jeunes évoluer dans les pays musulmans : "il y a une vague d'athéisme impressionnante dans les pays arabes, des centaines de milliers de jeunes qui détestent les islamistes. Bien sûr, ils sont menacés, alors ils se cachent, s'activent sur Internet, sous pseudonyme, mais ils sont là. Et ils cherchent autre chose. Et cette autre chose, c'est la démocratie."

Pendant ce temps, les islamistes avancent leurs pions dans les sociétés européennes. Avec le soutien complaisant de cette gauche hallal. "Il y a (...) une impérieuse urgence à combattre l'idéologie islamiste, écrit Riss dans son édito, pas uniquement sur le plan sécuritaire, mais aussi culturel, politique, sociétal. Car on sait que les idéologues de cette pensée intolérante n'ont pas baissé les bras après avoir compris que la violence n'a fait que braquer l'opinion publique contre eux. Ils ont donc changé de tactique et adopté ce qu'on pourrait appeler un soft power au service de leur cause. Mettant en œuvre une stratégie d'entrisme lente et silencieuse dans de nombreux secteurs de la société pour leur donner les impulsions qui serviront leur combat. Dans le monde du travail, de la mode, de l'université, du sport, de l'éducation pour ne citer que ceux-là, l'islamisme cherche à investir des champs nouveaux  d'où il sera ensuite presque impossible de l'en déloger."

Dans un article intitulé "L'islamisme à bas bruit", Laure Daussy explique la stratégie aujourd'hui moins violente mais plus cachée des djihadistes. Sans renoncer à leur projet de califat dont Daech fut le fer de lance, ils visent aujourd'hui d'abord les esprits en cherchant à islamiser nos sociétés dans toutes ses composantes. De nombreux djihadistes emprisonnés en France en ont témoigné clairement dans "Le Jihadisme français. Quartiers, Syrie, prisons" d'Hugo Micheron (Gallimard, 2020). 
Lorraine Redaud  a eu le courage de se balader sur les réseaux sociaux où pullulent les vidéos de propagande islamiste. Natacha Devanda, de son côté, constate qu'alors que la religion chrétienne a été depuis longtemps sortie des murs des ateliers et des bureaux, c'est à présent l'islam qui parvient de plus en plus à y imposer ses règles. Inna Shevchenko se désole de voir des mouvements qui se veulent féministes  défendre le port du hijab. "Leur promotion du code vestimentaire religieux pour les femmes musulmanes n'est peut-être qu'une autre manifestation vulgaire du complexe du sauveur occidental."
Philippe Lançon dénonce l'expression "les musulmans" utilisée par ceux qui comprennent l'islamisme: "Passer de l'humanisme anti-raciste à la défense d'une religion aussi conservatrice, c'est une petite révolution politique et mentale. Pour la mener, les petits messagers du soft power  ont sociologisé l'islam en imposant cette expression: les musulmans. L'expression a été efficace, mais elle est risquée: si, pour les uns, elle signifie victimes, pour les autres, elle signifie menace. C'était prévisible: les deux camps, se surveillant et se lustrant dans le miroir, se nourrissent l'un de l'autre."

Ce numéro spécial de Charlie Hebdo se termine par deux pages optimistes, relatant les cours qu'une prof de français et d'histoire-géo consacre, auprès de CAP et de bacs pro, à la laïcité et à la liberté d'expression. Son pari sur le respect et l'intelligence des élèves est gagnant. 

Charlie Hebdo n° 1537, 5.1.2022.

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