mardi 4 janvier 2022

Non, merci !

Continuer à développer le réseau nucléaire ne leur suffit pas. Leur arrogance les pousse à présent à revendiquer un label vert pour l'énergie nucléaire. Tout en continuant à polluer la planète. Le lobby nucléaire, qui depuis cinquante ans a son rond de serviette à l'Elysée, représente aujourd'hui le summum de la prétention et du mépris. L'avenir de la Terre n'est pas son souci. Celui de ses actionnaires l'est. Les problèmes n'existent pas, il est la solution universelle. Voilà que, sous son influence, la Commission européenne envisage de classer verte l'énergie nucléaire.
Il est vrai qu'avec le nucléaire, on est dans le développement durable. Celui de déchets à la longévité infinie. On est à une échelle humaine qui donne le vertige. On en a pour 100.000 ans. Au bas mot. On enterre le problème à Bure dans la Meuse, comme on met la poussière sous le tapis. Sauf que cette poussière restera longtemps extrêmement toxique. Après nous, les mouches.

Bernard Laponche, ancien ingénieur qui a participé à l'élaboration des premières centrales nucléaires françaises dans les années '60-'70 et a dirigé l'Agence française de la maîtrise de l'énergie de 1984 à 1987, parle à Etienne Davodeau (1) des déchets radioactifs produits par l'industrie électronucléaire: "on continue à en produire et on ne sait pas quoi en faire. On a déjà pollué de mille façons les mers, l'air, les sols, mais pas encore les sous-sols. Cigéo, c'est ça: on va finir le travail". Certains des déchets issus de la filière nucléaire "sont très dangereux pendant des centaines de milliers d'années, explique Bernard Laponche, parce que leur radioactivité décroît très lentement". Longtemps, la France les a balancés tranquillement en mer. Aujourd'hui, Cigéo, le Centre industriel de stockage géologique de l'Andra (l'Agence nationale pour la gestion des déchets nucléaires), a pour mission d'enterrer, à Bure, à cinq cents mètres sous terre 85.000 m3 de déchets radioactifs dont elle ne sait que faire, "pour une sorte d'éternité empoisonnée". 

Les débats sont vifs, souvent enflammés, autour des projets éoliens et chacun d'eux est l'objet d'une longue enquête publique. En revanche, il n'y a jamais eu de véritable débat sur la politique nucléaire de la France. Lancée par le président de Gaulle, elle a été poursuivie par tous ses successeurs, de gauche comme de droite, comme si elle allait de soi. Sur les éoliennes, les débats se résument souvent à de faibles arguments portant sur leur esthétique ou sur leur impact supposé sur le marché immobilier. Sur leur coût aussi. Comme si le nucléaire était bon marché. La construction des centrales est coûteuse, mais leur démantèlement aussi. "Le démantèlement, comme la gestion des déchets, pose de gros problèmes techniques mais aussi financiers, constate Bernard Laponche. On sait déjà que les provisions mises de côté par EDF pour cet énorme travail ne seront pas suffisantes. Pourtant, il faudra bien que quelqu'un paye, non? On le voit, cette production miraculeuse d'électricité issue de grandes découvertes scientifiques s'avère... pas miraculeuse du tout !"

La politique nucléaire, c'est aussi celle du secret et de la répression. Les opposants de Bure sont criminalisés, comme l'ont été hier ceux de Creys-Malville ou de Plogoff. Toute la région est sous contrôle policier et nombreux sont les militants anti-déchets à avoir été condamnés pour leur opposition pacifiste. Le nucléaire s'accommode mal de la démocratie. 

La France est la grande championne du nucléaire: avec 71% de son électricité provenant de l'atome, elle est le pays le plus nucléarisé du monde. La Belgique en est à 39%, l'Espagne à 22, le Royaume-Uni à 15%, l'Allemagne à 11 et les Pays-Bas à 3% (2). Mais ce n'est pas encore assez pour la France. Aujourd'hui, le président Macron veut lancer la construction de nouvelles centrales nucléaires, des mini-centrales. C'est que les défenseurs du nucléaire restent dans la logique productiviste et consumériste qui nous a menés là où nous sommes aujourd'hui: dans le mur. Il faut toujours plus d'électricité pour répondre à la demande qui est exponentielle. L'idée même d'économie d'énergie leur est étrangère. Un des directeurs de RTE (Réseau de transport d'électricité, filiale d'EDF en charge de l'électricité haute tension) a récemment déclaré qu'il faudra "pour d'éventuels nouveaux réacteurs, privilégier le bord de mer ou certains fleuves à fort débit comme par exemple le Rhône, ce qui réduirait l'incidence du risque canicule ou sécheresse". C'est que ces centrales, qui nous sont aujourd'hui présentées comme le meilleur moyen de produire de l'électricité en luttant contre le réchauffement climatique, sont elles-mêmes victimes de celui-ci. "La liste des réacteurs arrêtés pour cause de sécheresse est déjà sans fin", constate Fabrice Nicolino (3) qui rappelle que le Rhône n'offre aucune garantie: les centrales de Saint-Alban (Isère) et de Bugey (Ain) ont été mises à l'arrêt à l'été 2018 à cause du manque d'eau dans le fleuve. Cette technologie apparaît dépassée par le contexte actuel qui ne va faire que s'aggraver.
Plus de réacteurs, c'est aussi, évidemment, plus de déchets dangereux dont on ne sait toujours que faire. "Tant pis pour nos descendants. Ça, c'est criminel", affirme amer Bernard Laponche. 

(1) Etienne Davodeau, "Le droit du sol - Journal d'un vertige", éd. Futuropolis, 2021. Remarquable récit graphique qui a mené le dessinateur à pied de la grotte de Pech Merle (Lot) jusqu'à Bure (Meuse) où l'Andra veut enfouir des déchets nucléaires.
(2) "Du nucléaire sur tous les continents", Le Courrier international, 2.12.2021.
(3) Fabrice Nicolino, "L'insondable arrogance des nucléocrates", Charle Hebdo, 22.12.2021.
(Re)lire sur ce blog: 
"Tout va très bien, Madame la Marquise", 22.9.2015;
"Tout va bien", 11.12.2013;
"Le nucléaire patine", 25.12.2012;
"Atomiser le gaspillage", 30.3.2012;
"Propos de comptoir", 27.11.2011


2 commentaires:

Bernard Tomasi Debeire a dit…

Certes sur le fond le bilan comparé des énergies renouvelables et de l'énergie atomique est sans appel et vous rappelez justement quelques-uns des principaux arguments.
Pour autant la question n'est à mon avis pas définitivement tranchée. Car un autre paramètre doit être pris en compte, celui du rythme de substitution des deux énergies. Pour faire court je dirais que l'Allemagne va trop vite, beaucoup trop vite, et la France lentement, beaucoup trop lentement, à supposer même qu'elle s'y engage réellement.
Je pense que le facteur géostratégique peut être déterminant. L'arrêt total du nucléaire en Allemagne et la liquidation accélérée des centrales au charbon mettent ce pays sous la dépendance directe et massive de la Russie avec des conséquences potentiellement dramatiques. L'aveuglement réel ou feint des dirigeants allemands de l'actuelle comme de la précédente coalition est à cet égard sidérant, le discours officiel du SPD étant que Nordstream 2 est une affaire exclusivement économique...
La seule bonne nouvelle provient de la position inattendue des Verts, à vrai dire surtout celle de la ministre des Affaires étrangères, qui pointe sans aucune ambiguïté la menace russe et critique Nordstream 2. Là elle fait preuve de courage politique car elle est dans une position pour le moins inconfortable

Michel GUILBERT a dit…

D'accord avec vous sur les questions de calendrier et sur l'attitude de l'Allemagne qui se lie à la Russie.
J'ai participé il y a vingt ans au Sénat belge à la décision d'abandon du nucléaire. Depuis lors, les énergies renouvelables se sont très lentement développées, mais on a vu les gouvernements successifs danser régulièrement d'un pied sur l'autre, remettant en question la décision prise de sortie du nucléaire. J'y va-t'y ? J'y va-t'y pas ?
Depuis que j'ai rédigé ce billet, on a appris que le Gouvernement français a demandé aux deux centrales à charbon encore en service en France (elles doivent fermer dans les années qui viennent) d'augmenter leur production. Il faut compenser la baisse de production d'électricité due à la mise à l'arrêt actuellement de dix centrales nucléaires. Incroyable ! Alors qu'on nous a toujours présenté le nucléaire comme LA solution, la garantie d'une production constante...