samedi 29 janvier 2022

Récents délires

Le récentisme, on pourrait, on devrait en rire, tant cette théorie atteint les sommets du ridicule. Mais le rire reste jaune quand on voit le succès qu'elle rencontre.
Anatoli Fomenko en est l'auteur. Selon ce mathématicien russe de 76 ans, membre de l’Académie des Sciences de Russie, tout ce qu’on sait de l’histoire de l’antiquité est un vaste mensonge créé de toute pièce par des Jésuites au XVIIe siècle. Tristan Mendès France, qui consacre chaque semaine sur France Inter une chronique au complotisme (1) expliquait hier que "Fomenko est convaincu que toute l’histoire antique de la Grèce, de Rome, de l’Égypte ou de la Chine est en fait des réécritures d’évènements qui se seraient déroulés beaucoup plus tardivement. L’Histoire avec un grand H ne commencerait selon lui qu’autour de l’an 1000 et tout ce qui précède ne serait qu’une fiction."
Dans sept ouvrages et près de 5000 pages, Fomenko, à partir d'une approche supposément mathématique de l’histoire, explique que l’Empire romain, la Grèce antique et l’Égypte ancienne ont eu lieu durant le moyen âge. Eh oui, le temps est plus court qu'on ne le pensait. Mais l'espace aussi: selon lui, toutes les anciennes civilisations ont en fait une seule et même origine :  l’empire de la Horde russe, un empire eurasien qui aurait colonisé la planète et dont la capitale serait Moscou. "Et tout découlerait de là. Il affirme par exemple que les pyramides ont été construites il y a six cents ans par des colons russes, ou encore que Jésus serait né en 1152 en Crimée et s’appellerait en fait Andrey Bogoliubsky."

On croit à un immense gag, mais il n'en est rien. Cette théorie caresse dans le sens du poil le nationalisme russe : son peuple est au centre du monde, au cœur de toute la civilisation humaine. Et voilà comment les livres de Fomenko se sont vendus à plus d’un million d’exemplaires en Russie. "Et ça dit quelque chose de cette nostalgie russe pour sa gloire passée. C’est un symptôme d’un pays qui cherche à retrouver sa place sur la scène internationale, quitte à instrumentaliser l’Histoire telle qu’on la connait, et que Poutine incarne plutôt bien à sa manière, on le voit notamment avec la crise ukrainienne actuelle." Tristan Mendès France constate que le récentisme est relayé à l'étranger, par des individus qui gravitent essentiellement autour des milieux complotistes d’extrême droite pro-Poutine, notamment en France des proches d’Alain Soral. 

On voit par là que le nationalisme n'a aucune crainte de la stupidité. Au contraire, il s'en nourrit.
Pendant ce temps-là, le pouvoir russe veut gommer les traces du passé qui lui font honte. Fin décembre, la Cour suprême de Russie a prononcé la dissolution de Memorial International, présentée par Le Monde comme "l’ONG russe la plus ancienne et la plus connue pour ses travaux de recherche sur les répressions de l’époque soviétique". (2)
Peut-on conseiller à Anatoli Fomenko de visiter la Galerie du temps au Louvre Lens (3) ? Elle devrait l'amener à revisiter sa théorie inepte. 

(1) https://www.franceinter.fr/emissions/antidote/antidote-du-vendredi-28-janvier-2022
(2) (Re)lire sur ce blog "Que se taisent les morts" 29.12.2021.
(3) https://www.louvrelens.fr/la-galerie-du-temps/

3 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

Contrairement à ce que l'on pense souvent, le régime poutinien n'est pas qu'une manifestation de force impériale, fondée uniquement sur des paramètres économiques, géopolitiques et stratégiques. C'est également, et peut-être surtout, un phénomène culturel et idéologique en opposition croissante à la démocratie occidentale (avec toutes ces composantes, y compris la laïcité), qui puise dans des anciennes ressources russes (orthodoxie, slavophilie, eurasisme, etc.) remises au goût du jour. Un des idéologues majeurs de ce courant est Alexandre Douguine. Pour ceux que cela intéresse, j'ai développé cette question dans un article publié par La Revue nouvelle. Le lien est sur mon nom.

En ce qui concerne le "contrôle officiel de l'histoire russe", l'association Memorial et sa liquidation imminente (l'association est en appel contre la décision de liquidation en première instance, mais avec quasiment aucun chance de casser la décision), les dernières nouvelles de Moscou sont glaçantes. Voir le site de Memorial France pour les informations.

Michel GUILBERT a dit…

Merci,Bernard.
Pour ceux que cela intéresse, voici le site de l'ONG Memorial:
https://memorial-france.org/
A lire aussi: https://desk-russie.eu/
(Désolé, je ne sais pas comment rendre les liens actifs. Faites un copier-coller)

Bernard De Backer a dit…

Un petit complément, Michel, à tout fin utile. C'est un commentaire que j'ai posté au bas d'un article du Monde de ce jour sur l'Ukraine (encore elle, on en a pour longtemps avec "le fantôme de l'Europe").

02/02/2022 - 19H44

Dans cette affaire, il est instructif de voir les convergences entre l'extrême droite et l'extrême gauche française (mais également ailleurs en Europe) concernant la Russie de Poutine - le fameux "fer à cheval" de la République de Weimar analysé naguère par J.-P. Faye dans "Langages totalitaires". M. Zemmour, par exemple, affirme que la Russie n'a jamais attaqué personne. Dans une déclaration pas si ancienne, le président russe a pourtant accusé Lénine d’avoir « déposé une bombe atomique sous la maison Russie », cela non pas parce qu’il avait instauré le bolchevisme et initié le goulag, mais bien parce qu’il avait accordé l’autonomie aux sujets de l’URSS, « sur la base d’une égalité totale avec le droit, pour chacun, de quitter l’union. » Il n’aurait donc pas dû « ouvrir la prison des peuples ». Ah bon ! La Russie était une prison des peuples ? S'agirait-il aussi des Ukrainiens ?

Je précise si nécessaire que je ne suis pas un "nationaliste ukrainien" néo-nazi. Vous trouverez mes sources en suivant le lien sur mon nom (seule manière de rendre les liens actifs pour les commentaires).