lundi 24 janvier 2022

Sacré Djoko

Charlie Hebdo a à nouveau blasphémé. Un dessin récent de Félix (1) montre Novak Djokovic avec une raquette dans une narine. Commentaire du dessin : êtes-vous aussi con qu'un tennisman antivax ? Apparemment, oui. On n'insulte pas impunément un dieu. Ses affidés menacent. "Lorsque l'attaque contre Charlie Hebdo s'est produite, le 7 janvier 2015, toute la Serbie était Je suis Charlie Hebdo. Maintenant, vous nous le "rendez" bien avec la caricature de Novak Djokovic. Honte sur vous !", écrit Jelena K. (2) "J''étais très triste de ce qui s'est passé en 2015, écrit en écho, Abdula M., mais après avoir vu "Novak Djokovic mérite le meilleur" (3), j'espère que ça se reproduira mais plus efficacement."
Il est vrai qu'il n'y a pas de quoi se moquer d'un homme aux analyses aussi remarquables: "J'ai vu des gens qui, grâce à une transformation énergétique, au pouvoir de la prière, ou de la gratitude, parviennent à transformer la nourriture la plus toxique, l'eau la plus polluée, en la plus curative, a déclaré Djoko (4). Parce que l'eau réagit, des scientifiques l'ont prouvé. Les molécules d'eau réagissent à nos émotions, à ce qui se dit". On voit par là que le numéro un mondial des antivax (comme l'appelle Charlie) est aussi numéro un des sorciers, que les dieux se sont multipliés, que les critiquer c'est critiquer leurs compatriotes (oui, les dieux ont des compatriotes) et que Charlie devrait cesser des publier des dessins caricaturaux. Ils heurtent les croyants. 

"L'humour est une démarche de raison qui réclame de l'intelligence et un peu de culture pour être compris", écrit (5) le dessinateur Xavier Gorce, viré du Monde pour un dessin qui a choqué quelques personnes. "L'ironie peut heurter ou choquer les sensibilités et les croyances. Et c'est normal: c'est sa fonction. Chacun peut être choqué par un dessin, c'est légitime. Mais apprendre à accepter d'être choqué, c'est apprendre à accepter la critique de ses idées. C'est le fondement de toute société de liberté d'expression et de débats. Or, c'est précisément cela qui est reproché par certains au dessin d'humour. L'humour est systématiquement combattu, souvent violemment, par les idéologues, les fondamentalistes et les activistes militants car il anéantit complètement le sens du sacré - par définition indiscutable et arbitrairement proclamé pour empêcher toute pensée divergente."

La comédie musicale de Mel Brooks Les Producteurs est présentée en ce moment à Paris. Sa version film, qui date de 1968 et dont le scénario fut récompensé par un Oscar, faillit ne jamais être produit: on y riait d'Hitler et rire de l'inacceptable - ce qui était l'intention de Mel Brooks - n'était pas acceptable !
"Je pense que la comédie est toujours de bon goût, surtout quand elle est de mauvais goût !", déclare aujourd'hui ce fringant réalisateur de nonante-cinq ans.
"Si je suis heureux que Les Producteurs arrive à Paris, c'est aussi parce qu'il s'agit de faire vivre la liberté de rire. Depuis des années, on étrangle la comédie, on veut qu'elle soit politiquement correcte, or elle ne peut pas l'être ! La vérité n'est pas belle à voir, elle peut être affreuse, mais nous, les amuseurs, nous devons regarder cette vérité de notre monde, qui n'est jamais politiquement correcte. On nous dit qu'il ne faut pas offenser les gens. Moi, je réponds: Offensez ! Offensez tout le monde ! C'est ma devise !" 

(1) Charlie Hebdo, 12.1.2022.
(2) "On a reçu ça", Charlie Hebdo, 19.1.2022.
(3) un dessin qui m'a échappé...
(4) dans Paris Match, 13.1.2022, cité dans Charlie Hebdo, 19.1.2022.
(5) Xavier Gorce, "Raison et dérision", Tracts Gallimard, n°28, 2021.
(6) "Offensez ! C'est ma devise !", Télérama, 22.12.2021

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