mercredi 23 février 2022

L'homme froid

Il entend recréer l'empire russe avec des méthodes soviétiques. Vladimir Poutine appelle "mission de maintien de la paix" une intervention de son armée dans les républiques séparatistes de Donetsk et de Louhansk en Ukraine. Et tant pis s'il s'agit là d'une violation flagrante du droit international. La novlange poutinienne a des accents du passé, celui du KG dont il fut un agent. Il servait un régime qui justifiait les pires exactions par l'affirmation de sa volonté de protection du bien collectif. Chaque phrase veut dire le contraire de ce qu'elle avance. On pense à 1984 d'Orwell: "La guerre, c'est la paix". On repense à la Hongrie de 1956, à la Tchécoslovaquie de 1968, où les interventions soviétiques ont eu lieu pour le bien du peuple.
Mais le tsar est aussi un homme de son temps, celui du mensonge, de la réécriture de l'Histoire, du mépris, de l'agressivité, du virilisme. Donald T. ne s'y trompe pas, lui qui vient de dire toute son admiration pour ce "coup de génie", signé de son quasi ami.

Ces dernières semaines, Poutine a répété que si ses troupes se massaient à la frontière ukrainienne, c'était uniquement dans le cadre d'exercices. Pourtant, dès décembre, on pouvait lire dans un article du Ministère russe des Affaires étrangères que "L'implication de l'Ukraine dans les jeux géopolitiques des Etats-Unis et le déploiement militaire de l'Otan à proximité immédiate de nos frontières auront de lourdes conséquences et nous contraindront à prendre des mesures de rétorsion afin de rétablir l'équilibre militaire et stratégique" (1). Il était clair qu'il passerait à l'acte. Mais que faire face à des propos qui se présentent comme rassurants, même si on ne peut y croire ?
Poutine ne considère pas comme légitime l'existence de l'Etat ukrainien. Il en méprise la douloureuse histoire, dont l'Holodomor, cette famine provoquée par le régime stalinien qui fit des millions de morts dans les années 1932-1933 et que le Parlement européen considère comme un « crime contre le peuple ukrainien et contre l'humanité ».

Poutine est plus nostalgique de l'empire russe que de l'URSS, dit de lui Andreï Gratchev, politologue et ancien porte-parole de Gorbatchev (2). Il aime faire peur, constate un autre expert. Ce que confirme Harald Malgrem, ancien conseiller des présidents Kennedy, Johnson, Nixon et Ford : "En Russie, lui a dit un jour Poutine, les litiges sont généralement résolus de façon pratique. Si un litige porte sur une forte somme d'argent ou un bien important, les deux parties vont envoyer des représentants qui se retrouvent pour dîner. Toutes les personnes présentes sont armées. Face à la possibilité d'un résultat fatal, sanglant, les deux parties trouvent toujours une solution mutuellement acceptable. La peur est le catalyseur du bon sens." (3)
Il est d'une "brutalité prudente", affirme un analyste, tous ses coups sont calculés, mais personne ne sait lequel il va jouer. Témoin cet incroyable échange entre le tsar et son chef du Service des renseignements extérieurs, Sergueï Evguenievitch Narychkin (4). Ce dernier ne parvient pas à comprendre ce que Poutine veut lui faire dire et n'est qu'une marionnette bafouillante qui répète péniblement les propos que lui souffle son président.

Dans quelle sinistre aventure s'embarque, nous embarque celui qui s'imagine être l'incarnation de Pierre le Grand mais qui pourrait être celle d'Ivan le Terrible ? Le sait-il lui-même ? L'homme le plus froid de la planète sait qu'il fait peur. Sous son masque de cire, il en jouit sans doute.

 (1) "De l'Union des soviets à l'union des voisins", Kommersant (Moscou), 20.12.2021, in Le courrier international, 27.1.2022.
(2)  France Inter, Journal de 13h, 22.2.2022.
(3) "L'homme qui voulait être Pierre le Grand", Unherd (Londres), 13.1.2022, in Le courrier international, 27.1.2022.
(4) https://www.lalibre.be/international/europe/2022/02/22/le-lapsus-ahurissant-du-chef-du-service-des-renseignements-russes-lors-de-son-dialogue-avec-poutine-SZNXD6GPPFFYVLZQ64O5X27LUQ/

4 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

La situation est lourde de conséquences, Michel, pour les Ukrainens d'abord, mais également pour l'Europe et pour la population russe. Sans oublier l'équilibre du Monde, notamment avec Taïwan dans le viseur de la Chine communiste.

La déchirure de l'Ukraine est ancienne, bien avant l'arrivée au pouvoir de Poutine. Je me souviens d'un bivouac dans les Carpates d'Ukraine, à l'été 1993. J'avais passé la soirée avec une famille de campeurs de Kyiv et de Chernivsti, avec leurs enfants. Nous avions mangé, nous avions bu, nous avions chanté. Je cite "Après avoir longtemps chanté – la nuit débordant des vallées pour gagner lentement notre refuge –, nous avons parlé de l’Ukraine. Mes amis d’un soir avaient peur. La pauvreté rongeait les villes et les campagnes, la Crimée était au bord de la sécession, les Ukrainiens russophones de l’Est ne voulaient pas de ceux de l’Ouest, ou inversement. La guerre civile menaçait – « comme dans les Balkans », me disaient-ils. Les braises devenaient noires, ainsi que nos visages dans la nuit." C'était il y a 31 ans... Huntington, tant décrié et non lu, l'avait prévue la même année (voir le dernier article sur mon site)

Mais aujourdhui, une majorité de russophones d'Ukraine (dont le président) ne veulent pas devenir Russes poutiniens et se tournent vers l'Europe. C'est le sens de Euromaïdan. C'est de cela que Poutine a peur, bien davantage que des missiles de l'OTAN. Il ne comprend visiblement qu'un seul langage, la force. Je m'y étais longuement opposé, mais je pense qu'il vaut entamer des négociations d'adhésion de l'Ukraine à l'UE. Cela prendre du temps. En attendant il faut les aider au maximum, symboliquement et matériellement.

Bernard Tomasi Debeire a dit…

"Cela prendre du temps. En attendant il faut les aider au maximum, symboliquement et matériellement" : je suis pour ma part à l'affût de toutes les informations correspondantes.

Michel GUILBERT a dit…

Oui, comment faire pour aider les Ukrainiens ? Partageons les infos que nous aurons sur les initiatives en la matière.

Bernard De Backer a dit…

Pour qu'il n'y ait pas de confusion dans mes propos. En 1993, la crainte était celle d'une "guerre civile", aujourd'hui ce n'est plus de cela qu'il s'agit. Un pays étranger viole les frontières et veut s'emparer d'un pays souverrain, emporté par son hubris impériale. Sous des prétextes qui glacent le sang et interrogent la lucidité de Poutine. Dire que l'Ukraine, "ce pays qui n'existe pas", est dirigé par une clique de néo-nazis drogués dont le peuple (ou l'armée) n'a que l'envie de se défaire, grâce à l'intervention d'un bon samaritain, est dément. A défaut d'intervenir militairement, il n'y a qu'à espérer qu'il se prenne une sévère déculottée.

Pour aider les Ukrainiens, nous pouvons d'abord manifester, et cela de diverses manières. A Bruxelles, hier, il y a eu trois manifestations et je n'ai pas réussi à acheter un drapeau jaune et bleu. Le stock était liquidé. Je me suis contenté d'un drapeau en bannière sur mon site et sous mes mails...