lundi 21 février 2022

Pays fatigué

Penchons-nous sur la France. Elle a le moral en berne. On la voit souffreteuse, déprimée, ronchonne. On a envie de la prendre dans ses bras et de la rassurer. De lui dire qu'elle est belle, qu'elle va mieux qu'elle ne le croit, qu'elle doit avoir confiance en ce qu'elle est et ce qu'elle peut être, et non en ce qu'elle croit avoir été.

Peut-on se permettre une suggestion ? Eric Zorglub, la Fille à papa et l'Ambassadrice du foie gras devraient écouter régulièrement Carnets de campagne (1). Ils ouvriraient leurs esprits paresseux, verraient devant eux plutôt que derrière (ce qui peut aider à imaginer l'avenir), se diraient que tout problème a sa solution (positive) et que la créativité et la solidarité sont générateurs d'énergie.
Un Français sur trois est aujourd'hui prêt à voter pour l'extrême droite à l'élection présidentielle et la candidate de la bonne vieille droite penche de ce côté, rêvant de murs et de retour à un passé mythifié et partageant la même théorie du "grand remplacement" que les extrémistes de droite.
"Même dans un pays de râleurs autoproclamés comme l'Hexagone, on s'étonne de voir le patriotisme en vogue si passéiste et si renfrogné, écrit la journaliste allemande Nadia Pantel (2). Tout le monde est tellement occupé à évoquer la grandeur passée de la France qu'on n'a plus beaucoup d'énergie à consacrer à l'avenir. Et, au lieu de se féliciter de la vitalité du pays, on parle de la France comme d'une morte. Le déclin, on n'a que ça à la bouche. Comme si tous ces sauveurs de la France étaient nécrophiles."
La droite et l'extrême droite nous vendent une France qui n'existe pas ou n'a jamais existé que dans leurs discours nostalgiques. Elles veulent oublier que, comme la plupart des pays, la France s'est construite et enrichie de migrations diverses et que toute fermeture est sclérosante et appauvrissante. "L'extrême droite aime la France comme un chien de garde aime sa courette, écrit encore Nadia Pantel. Il jappe et montre les crocs - ce qui compte, c'est que personne n'entre."

Il y a une trentaine d'années, la droite française était présentée comme "la droite la plus bête du monde". Aujourd'hui, elle est devenue la plus hargneuse et la plus rétrograde et la gauche a pris la relève côté bêtise. Elle sait comment aller au combat en étant sûre de le perdre : il suffit de se voir en sauveur exclusif. MelenChe a décidé le premier, il y a un an, de se porter candidat à la présidence, ne consultant personne d'autre que son ego qui lui indiquait qu'il était le meilleur. Les autres ont suivi, nombreux. La Primaire populaire est une initiative sans doute sympathique, mais organisée beaucoup trop tardivement qui donne l'impression de n'avoir été pensée que pour permettre à Christiane Taubira, flattée, d'ajouter sa candidature à trop d'autres. Pas tendre (mais rappelant qu'il écrit dans un journal voué à la caricature et à la satire), Philippe Lançon fait un portrait peu flatteur de ces candidats de gauche : "la vieille égocentrique à moulinets verbeux qui se la joue Ave Césaire, le Vert sans joie ni chlorophylle, le Rouge qui boit du rouge et mange de la viande rouge, la fière Hidalgo d'un parti dont je ne veux pas me rappeler le nom, le taureau de comptoir russophile et encornant les capes retournées par l'air du temps, les deux petits Zébulon du Grand Soir. Plus il y a de fous, moins on rit." (3) Tous les candidats de gauche ne dépassent pas - actuellement du moins - un score qui leur permette de rêver au second tour. Les ego sont les plus forts, mais vont tomber de haut. "La lutte des candidats moribonds de la gauche pour se placer est devenue un spectacle et la campagne continue à être dominée par la droite", constate The Guardian (4).

Il fut un temps pas si lointain où les Belges suivaient avec admiration la politique française. Aujourd'hui, elle ne fait plus rêver. Elle ressemble plutôt à un cauchemar. La France est partagée entre conservatisme, réaction, racisme et nostalgie. Et la campagne de l'élection présidentielle est devenue une parade d'ego boursouflés plutôt qu'un débat d'idées. Depuis quinze ans au moins, il semble qu'une large majorité de Français se plaigne de son président, ce roi élu dont ils attendent qu'il soit proche et distant à la fois. Mais la volonté de changement est presque inexistante : un récent sondage (5) indique que sept Français sur dix sont attachés à la Ve République, celle qui fut créée par et pour le Général. 

La France est dépressive. Quand deux Français se quittent, ils ne se disent pas au revoir, mais bon courage. En Allemagne, à quelqu'un qui part travailler on dit : bien du plaisir au travail, ou sois créatif (6). En France, on dit bon courage, comme si la vie elle même était fatigante, comme si elle était un fardeau. Allo, docteur ?

(1) "Carnets de campagne, le journal des solutions", France Inter, du lundi au vendredi, de 12h30 à 12h45.
(2) Nadia Pantel, "La France fantasmée de la droite", Süddeutsche Zeitung, 28.12.2021, in Le Courrier international, 27.1.2022.
(3) 
Philippe Lançon, "La gauche en solde", Charlie Hebdo, 9.2.2022.
(4) 
"La gauche avance vers sa chute", Le Courrier international, 27.1.2022.
(5) France Inter, Journal de 13h, 21.2.2022.
(6) Excellente séquence de "Karambolage" sur Arte qui explique comment la religion a pu influencer notre vision du travail : 
https://www.arte.tv/fr/videos/103994-007-A/karambolage/

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