jeudi 3 février 2022

Ne disez pas soixante-dix. Dites septante.

" Monsieur Jourdain. - Quatre mille trois cent septante-neuf livres douze sols huit deniers à votre marchand.
Dorante. - Fort bien. Douze sols huit deniers. le compte est juste. "
(Molière, "Le Bourgeois gentilhomme" (acte III. Scène IV).

Ainsi donc, du temps de Molière, soixante-dix se disait septante. Aujourd'hui, nombreux sont les Français qui rient en entendant des Belges ou des Suisses utiliser septante ou nonante. Et, le plus souvent, ils ne comprennent pas. Il faut leur expliquer qu'ils qualifient pourtant de septuagénaire quelqu'un qui a soixante-dix ans et plus et de nonagénaire une personne qui a entre quatre-vingt-dix et quatre-vingt-dix-neuf ans. Souvent, ils reconnaissent que septante et nonante - et huitante comme disent les Suisses - sont nettement plus logiques. La même logique que celle de la langue italienne (et de tant d'autres) : settanta, ottanta, novanta. C'est vous qui avez raison, reconnaissent-ils. Il est vrai qu'il est beaucoup plus facile d'apprendre à compter - notamment à des adultes qui suivent un cours de français langue étrangère - avec la logique en -ante qu'avec le système de comptage français, très complexe.

Certains expliquent qu'autrefois en France on comptait par paquets de vingt, une vieille pratique celtique.  30 se disait vingt-dix ; 40 deux-vingts ; 50 deux-vingt-dix ; 60 trois-vingts ; 70 trois-vingt-dix ; 80 quatre-vingts et 90 quatre-vingt-dix. On disait même quinze-vingts pour 300. Tel l'hôpital des quinze-vingts lits créé par Saint-Louis.
A la fin du Moyen-Age, on se met à compter par dix. Apparaissent ainsi trente, quarante, cinquante, soixante, septante, octante, nonante.
C'est avec l'édition des premiers dictionnaires au XVIIe siècle que la règle actuelle est fixée, un curieux mélange des deux systèmes avec un passage intermédiaire : on conserve le comptage en -ante jusqu'à soixante, on y ajoute dix pour faire 70 (qui se prononçait autrefois trois-vingt-dix) et ensuite on retrouve l'ancien système : quatre-vingts et quatre-vingt-dix. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Parce qu'on est en France ?

https://www.caminteresse.fr/economie-societe/pourquoi-dit-on-soixante-dix-1163441/
https://mathematiques42.enseigne.ac-lyon.fr/spip/spip.php?article75

3 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

Bien vu, Michel. Tu connais bien certainement la fameuse sortie de Charline Vanhoenacker sur France Inter. "Vous avez-vu la carte de la Belgique ? Elle a la forme d'un cerveau. Et elle est posée où ? Sur la France !" (je cite de mémoire).

Ah les nuits en refuge et en gîte dans les Alpes françaises. "Vous êtes Belge ? Mais vous n'avez pas d'accent". Etc. On ne s'en lasse pas.

Michel GUILBERT a dit…

Peut-être t'ai déjà raconté cette anecdote, Bernard.
Dans les années '80, j'étais abonné au Nouvel Obs. Un jour, celui-ci a consacré un article à l'histoire du carré blanc à la télévision. Il se terminait en affirmant que la télévision française avait été la seule à avoir osé programmer en début de soirée "Dernier tango à Paris". Il y a bien eu aussi, ajoutait le journaliste, la télé belge, mais certains prétendent que les programmateurs belges pensaient qu'il s'agissait d'un documentaire sur les dancings parisiens, concluait-il.
J'ai protesté auprès du Nouvel Obs. Je n'ai jamais reçu de réponse. J'ai mis fin à mon abonnement.

Bernard De Backer a dit…

Pascal Bruckner avait même dit un jour dans une longue interview dans La Libre Belgique (sic) que la Belgique était une province française qui s'ignorait, ignorant à son tour superbement que notre pays petit comporte un majorité de Flamands qui ne se sentent évidemment pas le moins du monde "une province française". Sans oublier les germanophones de Ostbelgien (et plus de Deutsche Gemeinschaft) qui n'ont aucune envie d'être Allemands.

Ceci étant, comme tu le sais sans doute, les choses changent. Je vis à Saint Gilles, une commune bruxelloise où habité une très importante "colonie" française (et pas des exilés fiscaux, qui sont eux à Ixelles). Je pense qu'il s'y sentent très bien, d'après ce qu'ils me disent. Certains travaillent à Paris et prennent le TGV régulièrement, d'autres ouvrent des commerces de bouche succulents. J'ai une amie prof d'unif qui a pris la nationalité belge et dit "septante". Mais elle a gardé "l'accent français" et parle flamand avec l'accent... allemand (langue qu'elle parle bien, tout comme le russe)