jeudi 14 juillet 2022

Nos têtes immobiles

On s'était dit qu'on allait changer radicalement et le système et notre façon de vivre et de consommer. C'était il y a moins de deux et demi, au début du premier confinement (1). On s'était dit que cette occasion-là, il ne fallait surtout pas la laisser passer. On était nombreux à croire que le changement nécessaire s'amorçait enfin, qu'on allait sortir de ce fonctionnement suicidaire. On s'était dit : c'est maintenant ou jamais. Ce sera jamais.

Tous les responsables politiques n'ont aujourd'hui qu'un souci : améliorer le pouvoir d'achat. Qui dit pouvoir d'achat dit consommation. Qui dit consommation dit production. Qui dit production dit pollution. Apparemment, personne ou presque ne se soucie de l'impact de la consommation sur l'état de la planète. Les canicules se succèdent autant que les incendies, les inondations et les divers phénomènes qui n'ont plus grand-chose de naturel. Mais l'urgence est d'acheter. Bien sûr, il va de soi que chacun doit pouvoir vivre dans des conditions décentes, payer son logement, acheter des produits de première nécessité, s'habiller, bref, assurer ses besoins basiques. Mais pour autant on ne remet pas en question nos besoins de confort, comme s'ils étaient acquis et devaient à jamais être assouvis.
Les aéroports débordent de vacanciers et les autoroutes de voitures individuelles. C'est que nous avons tant "besoin de soleil" et de "lâcher prise", entend-on un peu partout, alors que le soleil partout nous écrase et qu'on implore la pluie. 
Au moment d'écrire ces lignes, je reçois une publicité d'un supermarché du bricolage : canicule annoncée ? Qu'importe ? : achetez un ventilateur, un climatiseur, une piscine. Autrement dit : pour lutter contre le réchauffement climatique, augmentons-le. L'homme est un triste sire, figé, incapable de changer ses habitudes et qui reportera toujours sur les autres - sur celles et ceux qui gouvernent surtout - la responsabilité de ce qui (lui) arrive.

Quel responsable politique oserait conditionner l'augmentation du pouvoir d'achat à l'obtention de produits neutres en carbone ? Alors qu'on sait - que tout le monde sait - qu'il n'y a pas d'autre issue. Lequel oserait affirmer qu'il ne faut pas augmenter le pouvoir d'achat mais le pouvoir d'agir pour réduire nos consommations ? Nous nous croyons de notre temps, alors que nous restons coincés dans le logiciel des golden sixties.
A partir de 2035, il sera interdit de vendre des voitures thermiques dans l'Union européenne. Ainsi en a décidé le Parlement européen. Très bien, se dit-on. Dès lors, les voitures électriques apparaissent comme la solution. L'est-elle vraiment ? Une telle décision implique un renouvellement total du parc automobile, le fonctionnement d'aciéries, d'usines de plastique et de peintures, la circulation de cargos à travers la planète, avec leur lot - immense - de pollution. La volonté de quitter les énergies fossiles devrait être l'occasion de changer notre rapport à la mobilité. Elle ne l'est pas. La notion même de voiture individuelle est insensée. L'immense majorité des voitures est très peu utilisée. Elles nécessitent des infrastructures énormes et très coûteuses, occupent beaucoup trop de place dans les villes et les bourgs et grèvent lourdement le budget des familles. Nous n'avons pas besoin de voitures électriques, mais de transports en commun nombreux et peu coûteux, d'une politique qui chasse les voitures des villes pour laisser toute la place aux modes de déplacement doux. 

L'heure est à l'intelligence, à l'innovation, à l'audace. Sortons de nos vieux schémas, de nos habitudes mortifères, de nos façons de penser et de rouler démodées. Certains s'y sont déjà mis, tel Midipile Mobility (2) et son petit  quadricycle à assistance électrique qui permet des transports en ville de lourdes charges dans de très petits volumes. Ou encore les triporteurs de l'association Skylett à Lorient (3) qui transportent en ville les personnes âgées. L'Ademe (l'Agence française de transition écologique) lance un appel à projet d'objet roulant (4). "Soyons ambitieux, en rupture. Créons une catégorie de véhicules sobres et efficaces, peu coûteux, interopérables au sein d'un écosystème local cohérent. Simples à assembler, utilisant des composants standards, recyclables, optimisés pour chaque usage, ils ouvriront des espaces de créativité aux urbanistes, aux maires, aux aménageurs pour faire évoluer l’espace public. Faisons ainsi émerger de nouvelles industries, de nouveaux métiers." 

Résumons-nous : il est urgent de devenir intelligent.

(2) https://midipile.eu/
(3) https://www.huffingtonpost.fr/entry/a-lorient-des-velos-triporteurs-pour-aider-gratuitement-les-personnes-agees_fr_62556face4b0be72bfeec942
(4) https://xd.ademe.fr/

A lire : Numéro spécial de Charlie Hebdo : "Voiture électrique - dernière arnaque avant l'apocalypse"

Post-scriptum : à lire aussi : 
https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/07/16/on-trottine-lentement-derriere-un-climat-qui-change-vite_6135018_3244.html

1 commentaire:

Bernard De Backer a dit…

Cher Michel, je partage avec toi un fort scepticisme sur la voiture électrique "comme solution", à la fois sur la source de l'énergie et sur les composantes (sans oublier le recyclage) sauf dans certains cas et pour certaines personnes en ville (personnes handicapées, âgées, taxis, bus...). Tu es mieux placé que moi pour les campagnes et zones périphériques. Nous avons déjà échangé sur le sujet (relance des chemins de fer "petites lignes", mobilités douces, voitures partagées, adaptation des taxes et assurances aux km parcourus, etc.). En ce qui concerne les transports aériens, ce qui me rend fou de rage ce sont les informations télévisées "de service public" (RTBF en Belgique) sur les "départs en vacances" qui montrent systématiquement des aéroports. Le mécanisme du déni ("je sais bien, mais quand même") touche même certains "écolos", comme cet ami de Varsovie qui ne jure que par le vélo en ville, lui et sa femme, et peste contre les bagnoles urbaines, mais passe un WE à Barcelone en avion. Ou d'autres qui disent "oui, je prends l'avion mais je suis végétarien, ça compense". Ou encore : "L'avion part quand même". Il y a d'autres perles de ce genre... Bonne nouvelle : on a vendu plus de 22 millions de vélos en Europe en 2021 et Bruxelles, ma ville, est de plus en plus cyclable. Mais beaucoup de vélos sont électriques ("c'est quand mieux qu'une voiture"...).