vendredi 10 novembre 2023

Cette odeur nauséabonde

"Je suis Charlie". C'est ce qu'avaient affiché, en solidarité, tant de gens un peu partout après le massacre de l'équipe de Charlie Hebdo en janvier 2015 par deux terroristes islamistes. Aujourd'hui, personne n'oserait, de crainte d'être violemment agressé ou même tué, exprimer "Je suis Israélien" et moins encore "Je suis Juif". Même après le pogrom du 7 octobre dernier perpétré par d'autres islamistes. Un de plus dans l'interminable liste des pogroms qu'ont subis les Juifs parce qu'ils sont Juifs.
Dans le Courrier international de cette semaine, on peut lire dans un article de The New Statesman (1) cette définition que Léon Trotski (né Lev Bronstein) donnait du pogrom : "Le moindre misérable devient maître de la situation. Tout à l'heure encore esclave tremblant, pourchassé par la police, mourant de faim, il sent qu'à présent aucune barrière ne pourrait s'opposer à son despotisme. Tout lui est permis, il dispose de l'honneur comme des biens des citoyens, il a droit de vie et de mort. Si cela lui convient, il jettera dans la rue une vieille femme par la fenêtre d'un troisième étage. (...) Il peut tout, il ose tout." C'est ce qui s'est passé, et bien pire encore, il y a un mois. Et c'est comme si ce n'était pas arrivé. Ou alors, c'est de la faute des victimes rapidement transformées en coupables.

L'antisémitisme revient en force, comme une épidémie inguérissable. Depuis la Shoah, on se croyait vacciné. Il n'en est rien hélas. Tant de gens ont besoin de haïr. Et il semble que les Juifs soient les meilleurs dépositaires de leur haine.  Les esprits simples pensent que soutenir la cause palestinienne les oblige à haïr les Juifs.
Cette semaine, Charlie Hebdo et le Courrier international consacrent tous deux leur une et un dossier à l'antisémitisme. 

Der Spiegel relève (2) qu'en Allemagne "jamais les débordements antisémites et israélophobes n'avaient été aussi massifs et si nombreux qu'aujourd'hui. Depuis que le Hamas a attaqué Israël, la police a recensé quelque 1.800 délits à caractère politique". Juste après le massacre, des sympathisants des terroristes palestiniens ont distribué des baklavas dans un quartier de Berlin, tandis qu'un snack diminuait ses prix de moitié. C'était la fête. Ailleurs dans Berlin, des cocktails molotov ont été envoyés contre une synagogue. Dans le nord du pays, la police a arrêté un islamiste qui s'apprêtait à jeter un camion contre une manifestation de soutien aux Israéliens. 
En France, depuis un mois (3), on dénombre un millier de délits à caractère antisémite. Les tags rivalisent de haine simpliste mais claire : "Tuer les Juifs est un devoir", "Un bon Juif est un Juif mort", "A mort Israël", "Sales Juifs"... Dans le Gard, un imam a publié sur Facebook des propos attribués à Mahomet appelant à "combattre" et "tuer" les Juifs.
Aux Etats-Unis, des étudiants se retrouvent en première ligne du combat antisémite. Dans une université, des étudiants juifs se sont réfugiés dans la bibliothèque pour échapper aux menaces de leurs camarades. Un étudiant de 21 ans a été présenté à la justice pour avoir appelé à "poignarder et trancher la gorge de tous les hommes juifs sur le campus, de violer et de jeter du haut d'une falaise toutes les femmes juives et de décapiter tous les bébés juifs". Bref, à imiter dans leurs actes les plus abjects, les plus inhumains, les terroristes du Hamas. 

Entre 1979 et 2021, au moins 48.035 attentats islamistes ont été commis dans le monde, tuant au minimum  210.138 personnes et en blessant beaucoup plus (4). Tous ces crimes ont été commis au nom du Prophète et peu de gens les ont reprochés aux musulmans, quoi qu'affirment ceux qui hurlent à l'islamophobie à la moindre critique. Ici, c'est aux Juifs un peu partout sur la planète que s'en prennent avec virulence les militants propalestiniens, leur reprochant la guerre que mène l'armée israélienne aux terroristes auteurs d'un pogrom qui a tué 1.400 personnes (pas toutes juives d'ailleurs).

Comment expliquer ce mélange de bêtise, de fureur et de haine ? Les bombardements de Gaza par l'armée israélienne n'expliquent pas tout. Cette recrudescence de l'antisémitisme était visible bien avant le 7 octobre, un peu partout. Comme s'il fallait se venger sur les Juifs de ce monde qui va à vau l'eau.
Dans Charlie Hebdo, Riss constate (3) que bien peu de personnes à travers le monde se sont souciées du sort des Syriens ou des Yéménites tués, blessés, torturés, déplacés dans les guerres civiles qui déchirent toujours ces deux pays. "Ce sont des Arabes, des musulmans, massacrés par d'autres Arabes et d'autres musulmans. Par un phénomène assez curieux, quand les peuples arabes se massacrent entre eux, les militants propalestiniens et les experts de crimes de guerre se font discrets. 200.000 civils arabes massacrés par des soldats arabes, ce sera toujours moins grave que 2.000 civils tués dans des bombardements par les soldats juifs de Tsahal. Avec des conflits comme ceux du Yemen et de la Syrie, le militant propalestinien-anticolonialiste ne peut pas nous servir sa soupe antioccidentale puisque aucun ancien pays colonisateur n'y a joué un rôle déterminant et qu'aucun Israélien, aucun Juif, n'y a participé." Impossible, écrit encore Riss, de crier "mort aux Juifs !" à propos de ces conflits. "Donc, les femmes et les enfants massacrés, gazés, décapités par des soldats arabes pendant ces conflits seront balayés sous le tapis car ils n'ont pas d'utilité idéologique pour les militants woke." Comme toutes celles et tous ceux qui en appellent à la paix et à la mesure et qui dénoncent l'antisémitsime, Riss affirme qu' "il ne s'agit pas de signer un chèque en blanc à l'armée israélienne et de passer sous silence les exactions qu'elle aurait pu commettre, mais on constate qu'il y a des civils tués pendant certains conflits qui sont utiles et d'autres qui ne le sont pas. Est-ce que votre mort sous les bombes servira la destruction d'Israël ou pas ? De cela dépendra votre postérité dans l'Histoire".

En Allemagne, Ivar Buterfas-Frankenthal est un survivant de l'Holocauste. A 90 ans, il a donné 1.563 conférences dans des écoles, des universités, des mairies, des théâtres, pour raconter ce qu'il a vécu, pour mettre en garde contre l'antisémitisme et la xénophobie. Aujourd'hui, sa femme et lui vivent dans leur maison blindée, tant ils ont reçu de menaces de mort. "Nous, les Juifs, on est une fois de plus la petite gourmandise de tous les bas du front qui se promènent dans nos rues." (2)
Le problème, c'est que ces bas du front sont à nouveau très nombreux, ne se cachent plus, s'expriment partout. On n'en trouve de plus en plus parmi les élus de la gauche extrême.
Dans une lettre ouverte adressée à la Présidente de l’Assemblée nationale, le Printemps républicain dénonce les propos de la députée LFI, Ersilia Soudais qui est vice-présidente du Groupe d'études sur l’antisémitisme. Elle a réclamé la libération d’Ahed Tamini, icône de la lutte palestinienne, interpellée par les autorités israéliennes parce qu'elle est soupçonnée d’avoir publié ce message sur ses réseaux sociaux : « Nous vous attendons dans toutes les villes de Cisjordanie, de Hébron à Jénine. Nous vous massacrerons et vous direz que ce qu’Hitler vous a fait était une blague. Nous allons boire votre sang et manger vos crânes. Allez, nous vous attendons ». La même députée française avait, en septembre 2022, rendu hommage à Jean-Luc Godard par ces termes : « il refusait qu’un drame en masque un autre, tel que la Shoah pour la Palestine ». C’est elle encore qui, en décembre 2022, a accueilli à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle Salah Hamouri, condamné pour complicité d’attentat contre un rabbin, en qualifiant son expulsion d’Israël de « déportation ». Et c’est elle toujours qui le 7 octobre 2023, jour du massacre par le Hamas, n’a pas eu un mot pour les morts israéliens et a minimisé ce pogrom : « #Gaza est une prison à ciel ouvert depuis bien longtemps, dans l'indifférence générale ! La haine attire la haine, et certains semblent découvrir que ce sont toujours les civils qui payent le prix de la guerre ».
Elle ne participera évidemment pas à la marche contre l'antisémitisme organisée ce dimanche à Paris. Le grand gourou de LFI a décidé que son parti n'en serait pas, pour dénoncer la présence du Rassemblement national dont on connaît effectivement le passé lourdement antisémite. 
"Dans un tweet publié mardi, Jean-Luc Mélenchon est allé beaucoup plus loin, invoquant une autre raison, écrit Cécile Prieur, directrice de la Rédaction de L'Obs (5). Il a condamné l’esprit même de la manifestation contre l’antisémitisme, l’assimilant à un « soutien inconditionnel » aux bombardements de l’armée israélienne sur Gaza et recherchant une nouvelle fois le clivage. Cette lecture est non seulement absurde mais dangereuse. Elle revient à communautariser la société en reproduisant l’antagonisme entre Juifs et Arabes et en assimilant les Français juifs au gouvernement israélien. Elle aboutit par ricochet à relativiser la lutte contre l’antisémitisme, puisque les valeurs de citoyenneté et de fraternité ne sont plus convoquées. En ces temps brouillés, le défilé du 12 novembre apparaît comme une indispensable piqûre de rappel : le rejet de l’antisémitisme n’est pas négociable."

Plus jamais ça ? Avec tous ces bas du front, on n'est guère optimiste...

(1) Tanya Gold, "Le silence assourdissant de mes amis progressistes", The New Stateman, 18.10.2023, in Le Courrier international, 9.11.2023.
(2) Divers auteurs, "Ce qu'on vit en ce moment marque un tournant", Der Spiegel, 28.10.2023, in Le Courrier international, 9.11.2023.
(3) Charlie Hebdo, 5 pages de dossier, 8.11.2023.
(4) Source : Fondapol (cité par Florence Bergeaud-Blackler in "Le frérisme et ses réseaux - L'enquête", éd. Odile Jacob, 2023.
(5) https://www.nouvelobs.com/edito/20231108.OBS80586/edito-l-antisemitisme-nous-concerne-tous.html


1 commentaire:

Didier L. a dit…

Ce merveilleux lapsus d'Alexis Corbière, disant "Jean-Marie Le Pen" alors qu'il voulait dire "Jean-Luc Mélanchon"...