dimanche 12 novembre 2023

Le bal des hypocrites

La guerre entre le Hamas et Israël est l'occasion pour les pires régimes de la planète de se faire passer pour des colombes. On avait déjà bien ri en entendant Poutine et Erdogan (1). Le président russe réclame la paix, se propose comme médiateur et appelle à épargner les civils. Et le sultan turc considère que "le Hamas n’est pas un groupe terroriste, c’est un groupe de libérateurs qui protègent leur terre ». Quand on sait tout ce que ces hommes ont de sang sur les mains et comment ils traitent ceux qui tentent de se libérer de leur emprise, on sait que penser de leur compassion pour le sort des Palestiniens.

Hier, les dirigeants arabes et musulmans se sont réunis à Riyad en un sommet extraordinaire conjoint de la Ligue arabe et de l’Organisation de la conférence islamique. C'est le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman (MBS) qui présidait la rencontre. Comme l'écrit Le Monde (2), il "a endossé son rôle de leader du monde arabo-musulman en conviant ses alliés – le roi Abdallah II de Jordanie, le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, ou encore le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi – et ses rivaux – le président iranien Ebrahim Raïssi, le président turc Recep Tayyip Erdogan, et l’émir du Qatar, cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani – à se mobiliser pour Gaza". Tous condamnent  "l’agression israélienne contre la bande de Gaza, les crimes de guerre et les massacres barbares et inhumains perpétrés par le gouvernement d’occupation". "Ils appellent, écrit encore Le Monde, à un cessez-le-feu immédiat, à la levée du siège de Gaza et à un accès sans entrave de l’aide humanitaire. Tous rejettent le déplacement forcé des Palestiniens de l’enclave vers l’Egypte ou de Cisjordanie vers la Jordanie et réclament l’arrêt des exportations d’armes vers l’Etat hébreu. Ils appellent à une relance du processus de paix pour permettre l’établissement d’un Etat palestinien, aux côtés d’Israël."

Passons sur les déclarations du président iranien qui écrase brutalement chez lui les femmes, toute personne un peu critique et son peuple en général. "Nous baisons les mains du Hamas", a déclaré le dictateur qui doit ainsi ressembler à un vampire, avec du sang plein les lèvres
Les gentilles déclarations de MBS semblent, elles, accueillies avec estime. Il a dit toute la tristesse qu'il éprouvait pour ses "frères palestiniens" et a dénoncé la "guerre barbare" que leur mène Israël. Le monde entier a vite oublié le meurtre, en 2018, du journaliste Jamal Khashoggi dans le consulat d'Arabie saoudite en Turquie. Tout indique que c'était sur ordre de MBS. Oubliée aussi la répression brutale des voix dissidentes et l’emprisonnement des militants des droits de l'homme en Arabie saoudite. Plus récemment, les crimes commis par les gardes-frontières saoudiens ont été quasiment ignorés : de mars 2022 à juin 2023, ils ont tué un à un, à bout portant ou à l'arme explosive, des centaines - voire plus - de demandeurs d'asile éthiopiens, dont des enfants. Ces migrants espéraient pouvoir être accueillis si pas comme des frères, au moins comme des êtres humains dans la dix-huitième plus grande économie du monde. Mais l'Etat saoudien les a abattus froidement. Télérama (3) rappelait récemment que ce régime considère les femmes comme inférieures aux hommes, les couples adultères, les athées, les homosexuels et les toxicomanes passibles de la peine de mort. MBS, dans son opération de séduction, fait venir chez lui quantité d'artistes qu'il rémunère grassement. Ainsi, Jean Nouvel, appelé à construire un centre touristique, Isabelle Adjani, invitée à un festival de cinéma, ou encore Maïwenn qui a obtenu de ce même festival une aide pour la production de son dernier film. Versent-ils, eux aussi, des larmes de crocodile sur le sort de leurs frères et sœurs palestiniens ?

(2)  https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/12/les-etats-arabes-et-musulmans-a-l-unisson-pour-demander-un-cessez-le-feu-a-gaza_6199580_3210.html
(3) Yasmine Youssi, "Un encombrant soutien", Télérama, 30.8.2023.

2 commentaires:

Philippe Dutilleul a dit…

Je n'ai aucune sympathie pour Erdogan mais on ne peut raisonnablement le comparer à Poutine qui transforme son pays en seconde Corée du Nord, pays totalement totalitaire que j'ai eu l'occasion de fouler lors d'un reportage toujours d'actualité... En Turquie, il y a des élections, l'opposition existe même si elle est durement réprimée et minorée dans les médias, personne n'a remis en question la régularité de la dernière victoire électorale d'Erdogan... Bref, la Turquie n'est pas un pays totalitaire mais géré autocratiquement par son leader avec en ligne de mire la communauté kurde...

Michel GUILBERT a dit…

Cher Philippe, je compare Poutine et Erdogan dans leur capacité d'hypocrisie. Difficile de voir en faiseurs de paix ces deux guerriers.
Comme je l'ai écrit, Erdogan considère, que "le Hamas n’est pas un groupe terroriste, c’est un groupe de libérateurs qui protègent leur terre". On peut donc imaginer qu'il en est de même des militants kurdes qui, eux, n'ont pas été responsables de pogrom. Et pourtant, depuis le 5 octobre, les troupes turques bombardent les régions autonomes kurdes de Syrie, s'en prenant aux hôpitaux, aux centrales électriques ou encore aux systèmes d'approvisionnement en eau. Même les mosquées sont bombardées par ce grand croyant.
Ceci dit, des élections démocratiques ne mènent pas forcément à la démocratie...