dimanche 17 mars 2024

Ces pacifistes qui aiment la guerre

Ils sont admirables, ces pacifistes. Ceux qui osent dire non à la guerre d'Ukraine. Il ne peut être question d'envisager de se retrouver dans une situation de guerre avec la Russie. "Le meilleur moyen d'affaiblir Poutine, c'est d'arrêter cette guerre", a clamé Mathilde Panot, chef de groupe à l'Assemblée nationale de la France soumise à la Paix à tout prix. Comment arrêter cette guerre ? En laissant à Poutine les territoires ukrainiens qu'il a envahis, ce qui revient à lui reconnaître la victoire et l'inviter à aller au-delà. Et tant pis si Poutine a affirmé clairement qu'il ne négocierait jamais, qu'il veut détruire l'Ukraine pour l'annexer définitivement à la Russie.
Que font les gentils pacifistes pour que cesse cette guerre ? Rien. Ils laissent faire et regardent ailleurs. Ils se contentent de dire "non à la guerre". Ils font penser à ces braves gens qui, il y a une trentaine d'années, avaient apposé à l'arrière de leur voiture un autocollant disant "non à la drogue". Comme si les toxicomanes allaient abandonner leur assuétude en les voyant. 
Les conditions de la paix, selon Poutine (il l'a répété le 14 décembre dernier) : "dénazification, démilitarisation et un statut de neutralité pour l’Ukraine".  Gérard Grunberg, politologue, directeur de recherche émérite au CNRS, constate (1) qu'il n'existe, pour Poutine, ni Ukraine ni nation ukrainienne. Ce pays fait partie de l’Empire russe : « La Russie est le seul garant de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. » (...) « S’ils veulent négocier, qu’ils le fassent. Mais nous ne le ferons que sur la base de nos intérêts. » 
"Chacun ou presque, écrit encore Gérard Grunberg, a désormais compris que le dessein du despote russe est de liquider purement et simplement l’Ukraine comme nation, comme pays, comme culture. Ses voisins, baltes, polonais, moldaves, géorgiens, finlandais, norvégiens sont profondément inquiets et la Finlande et la Suède, vieux pays neutres, ont fini par adhérer à l’OTAN face à l’envahisseur russe."

La position claire et ferme du dictateur russe n'empêche pas Manuel Bompard, coordinateur de cette France dite Insoumise, de plaider, malgré tout, pour une négociation avec lui. Pourquoi ? Hypothèse de Grunberg : "Lui et son parti ne considèrent pas l’enjeu ukrainien comme très important. Que le peuple ukrainien soit réintégré de force à la Russie – et on peut imaginer facilement ce que cela signifie – ne représenterait pas pour eux une catastrophe géo-politico-stratégique. Deux arguments peuvent soutenir cette hypothèse. Le premier est que Jean-Luc Mélenchon a appelé depuis longtemps la France à quitter l’OTAN et que, jusqu’à une date récente, il défendait l’idée d’un partenariat stratégique avec Moscou, estimant que notre pays serait mieux protégé par la Russie que par les États-Unis. Le second est que LFI s’oppose depuis l’invasion Russe à la fourniture d’armes offensives à l’Ukraine alors qu’elle ne peut ignorer que, dans la phase actuelle de la guerre, sans ces armes l’Ukraine risque fort d’être à terme détruite par la Russie. Ces positions laissent ainsi penser que les Insoumis ne sont pas disposés à empêcher à tout prix la défaite de l’Ukraine, préférant même une Ukraine dans le giron russe que dans l’Alliance atlantique. (...) Le pacifisme est toujours naturellement populaire. Il cache parfois cependant de plus sombres desseins."

De l'autre côté de l'échiquier politique, le Front du Rassemblement national, qui apparaît depuis longtemps comme un porte-voix du Kremlin, s'est abstenu récemment lors d'un vote à l'Assemblée nationale sur le soutien à l'Ukraine. Etrange attitude de la part d'un parti souverainiste qui est très critique par rapport à l'Union européenne qui empêcherait les nations de décider de leur sort et qui soutient de facto la Russie qui entend s'approprier par la guerre un pays voisin. Pour l'extrême droite comme pour l'extrême gauche, le sort de l'Ukraine et de ses habitants est sans valeur. Circulez, il n'y a rien à faire.

On voit par là que les pacifistes sont parfois d'hypocrites va-t-en-guerre.

Post-scriptum : Sophia Aram ce lundi 18 sur le même sujet, avec le talent et la verve qu'on lui connaît :
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-du-lundi-18-mars-2024-5510991

(2) https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/03/12/debat-sur-l-ukraine-au-parlement-jordan-bardella-annonce-que-le-rn-s-abstiendra-ses-opposants-denoncent-son-ambiguite_6221559_823448.html

2 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

Si je partage totalement cette analyse, je pene qu'il faut ajouter un autre facteur à la position des "Insoumis" sur l'Ukraine : un facteur électoral interne à la France. En effet, le réservoir de voix de LFI se situe dans les banlieues et plus particulièrement dans les populations issues de l'immigration magrhébine et africaine. Ces dernières, comme une majorité du "Sud global", ne s'intéresse pas à la guerre en Ukraine (et contre l'Ukraine comme Etat souverrain aux frontières reconnues... par la Russie) qui leur apparaît "une guerre de blancs". Gaza, dont la situation est effectivement dantesque, est une question internationale beaucoup plus porteuse. Y ajouter un zeste d'islamo-gauchisme, ces populations immigrées prenant la place du prolétariat blanc (qui lui, vote majoritairement RN - 57% de la population ouvrière selon un dernier sondage).

Michel GUILBERT a dit…

Bien d'accord avec toi, Bernard. Le clientélisme est une plaie de la démocratie.