jeudi 18 mars 2010

De la nécessité de désobéir

Effrayante émission que celle de Christophe Nick, intitulée "Le jeu de la mort", diffusée fin février par la RTBF et ce mercredi par FR2. Un pseudo producteur d'une soi-disant nouvelle émission de jeu télévisé teste son idée avec des candidats qui savent pertinemment que les enregistrements auxquels ils participent ne seront jamais diffusés. On leur demande de poser des questions à l'autre candidat (qui, selon la mise en scène, aurait pu être eux, si le tirage au sort en avait décidé autrement). A chaque mauvaise réponse, ils doivent lui envoyer une décharge électrique. La puissance des chocs électriques va croissant, de 20 à 460 volts. Jusqu'à être fatale donc.
Une réédition en fait de l'expérience que Stanley Milgram mena au début des années '60 sur la soumission à l'autorité. 62% des cobayes de l'époque avaient obéi aux ordres du pseudo scientifique en blouse blanche qui leur enjoignait d'augmenter sans cesse la puissance des impulsions électriques. Ces tests s'inspiraient des analyses d'Hannah Arendt sur les mécanismes du nazisme et la banalisation du mal. D'autres recherches, inspirées de celles de Milgram, ont été menées en Allemagne en 1971, aux Etats-Unis en 1974, en Italie en 1985 et sont parvenues parfois à des taux de soumission de 85% (1).
A la télé, le taux d'obéissance monte à 81%. Effrayant. A la décharge de ces testés à l'insu de leur plein gré, on soulignera qu'ils opéraient devant un public d'une centaine de personnes, régulièrement pris à témoin par une animatrice extrêmement cassante et autoritaire. Le tout sous l'oeil de plusieurs caméras. Bref, dans un univers qui n'est pas le leur, s'avère extrêmement contraignant et, en définitive, tout puissant.
Aucun candidat n'a refusé d'entrée de jeu de le jouer. Seuls, 19% arrivant à la zone dangereuse et entendant les (faux) cris de douleurs et les demandes pressantes de l'autre candidat ont jeté le gant.
Bien sûr, chacun d'entre nous ne peut s'empêcher de penser qu'il aurait fait partie des rebelles, qu'il serait parti rapidement en claquant la porte, qu'il aurait dénoncé le caractère pervers du jeu. Difficile de savoir évidemment comment on résiste ou non à la pression et au conditionnement.

Dans le Ligueur du 7 octobre 2009, Miguel Benassayag, psychologue et philosophe, invite à enseigner la désobéissance civique aux enfants: "elle est un idéal de référence, un idéal qu'on ne peut atteindre tout à fait, qui veut que l'on obéisse seulement en toute conscience. En d'autres termes, il ne faut pas obéir si l'on n'est pas d'accord avec une loi ou avec un ordre. Nombre de pays sud-américains ont d'ailleurs inscrit dans leur constitution post-révolutionnaire une obligation de désobéissance au cas où le pouvoir tomberait entre les mains de personnes dangereuses. (...) Aujourd'hi plus que jamais, la désobéissance civique consiste à refuser de penser avec ses tripes et à faire marcher son cerveau. (...)
Je crois qu'il faut éduquer les enfants dans cette dynamique. Il faut leur expliquer que les gens qui exercent une fonction, parfois, ne sont pas à la hauteur de la justice. On doit donc dire à nos enfants à la fois 'S'il y a un problème dans la rue, prévenez les policiers' et 'Quand la police vient chercher Mohamed pour l'expulser, il faut cacher Mohamed".

Je me rappelle ces pages de ce livre pour enfants de Janosch. La première histoire raconte la vie de ce veau qui veut sans cesse quitter sa prairie pour aller voir ce qui se passe de l'autre côté de la clôture. Sa maman le met en garde contre les dangers auxquels il s'exposerait alors. Mais la tentation est trop forte: il saute le fil de fer. Et se fait aussitôt écraser par une voiture. Moralité: il faut toujours obéir à sa maman.
La deuxième histoire raconte la vie de ce veau qui veut sans cesse quitter sa prairie pour aller voir ce qui se passe de l'autre côté de la clôture. Sa maman le met en garde contre les dangers auxquels il s'exposerait alors. Il lui obéit. Et le boucher vient le chercher pour le conduire à l'abattoir. Moralité: il ne faut pas toujours obéir à sa maman.

Du Desproges pour terminer: "Contrairement à la rage, le nazisme n'est pas remboursé par la Sécurité sociale. Il est pourtant contagieux."

(1) Télérama, 10.03.2010

Aucun commentaire: