jeudi 11 décembre 2014

Croisés de la haine

On leur donnerait le bon Dieu sans confession. C'est le cas de le dire, parce qu'ils sont chrétiens. Et c'est visiblement en cette qualité que ces jeunes gens, qui ont l'air parfaitement normal, qu'on pourrait croire bien dans leur temps, ouverts au changement et aux autres, à l'évolution de la société, manifest(ai)ent contre le mariage homosexuel. Violemment. Leur calicot affirme que "La France a besoin d'enfants, pas d'homosexuels" (1). Ils sont membres du mouvement catholique intégriste Civitas. On a connu des centenaires plus ouverts et alertes que ces jeunes vieillards de vingt ans. Ils portent un drapeau "Cœur de Jésus". Ils ont rejoint ce mouvement qui s'est hypocritement baptisé "la manif pour tous", alors que très clairement il est dirigé contre les homosexuels. On a y vu et entendu des slogans haineux, imbéciles et abjects: "Les homos, c'est contre la loi de Dieu", "Non aux pédés, la famille, c'est sacré", "Cette loi contre nature mène la France à sa perte", "Ces saloperies, c'est dommage que Hitler ne les ait pas tous tués" (3). 

Dans le documentaire "Homos, la haine", d'Eric Guéret et Philippe Besson (2), plusieurs homosexuels, hommes et femmes, de 18 à 68 ans, témoignent face caméra. Ce qui revient quasi systématiquement, c'est le rejet, le harcèlement, les vexations, l'humiliation, la violence morale et parfois physique. Elle vient de la famille, "première source de violence pour les jeunes lesbiennes" ou d'inconnus croisés dans la rue.
Bruno, revenu vivant de l'horreur, malgré les pronostics pessimistes des médecins, a été violemment agressé dans la rue par quatre hommes. De manière totalement gratuite, juste parce qu'ils avaient repéré un homo. Ils ont pris sa tête pour un ballon de foot, ont-ils expliqué au procès. Wilfred a, lui aussi, été sauvagement attaqué par deux ou trois hommes. Laurent, comédien, adoré des téléspectateurs de la série "Plus belle la vie", dit avoir vu le regard des gens changer dès les premières manifs anti-mariage homo. Des gens venaient lui dire qu'ils ne l'aimaient pas. Jusqu'à cet homme qui l'a frappé et blessé dans un magasin.
Et puis, il y a  ces jeunes, encore éberlués de l'attitude de leurs parents qui, à défaut de pouvoir changer leur orientation sexuelle, leur ont fait la guerre, moralement et parfois physiquement, jusqu'à les chasser de la maison familiale. La religion, les religions ne les aident pas à admettre que leur enfant ait fait un choix qui n'est pas le leur. "C'est contre la religion d'accepter", ont dit à leur fille les parents d'Amina, la traitant de perverse, de nymphomane, de salope, de folle. La mère d'Emmanuelle, pour que sa fille rencontre un homme, lui a même conseillé de sortir dans des bars, des clubs échangistes ou libertins. Des propositions totalement contraires aux principes enseignés par cette mère très catholique. Samuel, d'un milieu juif orthodoxe, a connu les coups, moraux mais aussi physiques.

Tous disent que le débat sur le mariage homosexuel et surtout la rage qui s'est exprimée chez certains opposants ont libéré l'homophobie.
"Dans la société, aucun débat ni mouvement n'existe en soi, estime le sociologue Antoine Idier (3). C'est un lien dynamique: il faut qu'un certain nombre de structures (médias, politiques, intellectuels) légitiment son expression pour que le débat existe. Les partis politiques de gauche comme de droite ont joué un grand rôle dans la violence des débats autour du mariage homosexuel. La droite a instrumentalisé la problématique à des fins politiques: certains de ses élus ont participé à des manifestations; d'autres, comme Nicolas Sarkozy, ont tenu des propos hallucinants. (...) En n'étant pas ferme sur ses convictions, le PS a donné du poids au mouvement conservateur.

En manquant de fermeté, le PS a ainsi laissé entendre que chacun pouvait avoir une opinion, même abjecte, sur la question. En encourageant le mouvement d'opposition, l'UMP a soutenu le rejet et l'exclusion. En courant derrière de sinistres et stupides imprécateurs, des médias ont servi de caisse de résonance à l'irraisonné. Et elle n'attend que cela, la haine, toujours prête à s'engouffrer dans la moindre ouverture de porte. Et à faire le buzz, sur Internet et dans la rue. Surtout, quand elle est portée par des gens qu'on aurait pu qualifier de "gens bien". Emmanuelle, jeune femme souriante qui témoigne dans "Homos, la haine", a constaté que ces attaques viennent très souvent de "gens très propres, très beaux". Des gens des beaux quartiers: "ce sont des gens comme moi, que ma mère apprécie, fréquente."

Ce qui frappe dans ce documentaire, c'est bien sûr la violence dont sont victimes ces personnes à cause de leur orientation sexuelle, mais c'est aussi que, malgré les vexations, malgré le rejet, malgré les coups parfois, elles s'expriment souvent avec le sourire, ont l'air bien dans leur peau. On se dit que pour les agresser il faut, au contraire, être très mal dans sa peau. On se pose des questions: de quelle pathologie souffrent ces gens qui s'opposent aux droits des homosexuels, vont jusqu'à les agresser physiquement? Qu'est-ce qui les amène à délirer autant, à confondre homosexualité et pédophilie, homosexualité et bestialité, homosexualité et polygamie? Comment vivent-ils cette religion qui tout en leur enseignant que "Dieu est amour" les amène à se conduire aussi vulgairement en crachant, en tapant sur d'autres qui ne leur font aucun mal? Pourquoi tant de haine? Qu'y a-t-il dans le "cœur de Jésus" qu'arborent sur leur drapeau ces jeunes chrétiens haineux? 

(1) photo de Kenzo Tribouillard / AFP, dans Télérama, 3 décembre 2014.
(2) diffusé sur France 2 ce mardi 9 - à revoir sur www.france2.fr
(3) "Homophobie, qui ne dit mot consent", Télérama, 3 décembre 2014.

Aucun commentaire: