lundi 8 décembre 2014

Croquemitaine

La France grognonne croit s'être trouvé un penseur. Il a écrit un livre sur lequel ces citoyens mal dans leur peau se sont jetés. Son titre ressemble à un appel: "Le suicide français". Il invite les Français à revenir en arrière, à respecter ces valeurs éternelles que sont le travail, la famille et la patrie. Ah! Le bon temps des rois de France, de Napoléon, du catholicisme en sa période terroriste. En ces temps-là, le peuple, quand il ne mourait pas de maladie, tombait à la guerre. Il n'en manquait pas. Les rois, qui furent, pour nombre d'entre eux, très malades, physiquement ou mentalement, ne voyaient dans le peuple que chair à canon et force de production au service de la royauté. Bref, c'était le bon temps et aujourd'hui tout fout le camp. O tempora, o mores.
"Le déclinisme, écrivent Noël Mamère et Patrick Farbiaz - qui ont eu le courage de lire ce livre et démontent le lamentable message d'Eric Zemmour (1) - repose sur certaines croyances pessimistes répétées en boucle. Il se réfère toujours à une époque antérieure: le passé est idéalisé, le présent morne et déliquescent." Pour Zemmour et ses apôtres, c'était mieux avant. "Quand? Avant mai 68? Très bien. Mais cet âge d'or paradisiaque, où se situe-t-il et quand? Qu'est-ce qui était mieux? La peste noire de l'an 1000, le servage des paysans, le génocide des Indiens d'Amérique, l'esclavage des Noirs et le commerce triangulaire, la colonisation forcément positive, la grande boucherie de 1914-1918, la fusillade des Communards ou des ouvriers de Fourmies, le régime de Vichy? (...) C'était mieux avant, mais pour qui? Pour l'aristocratie des Capet ou le petit peuple de Paris?"

"Zemmour, écrivent Noël Mamère et Patrick Farbiaz, agit comme s'il voulait fédérer toutes les chapelles de l'extrême droite et de la droite extrême, en opérant un hold-up idéologique sur leur fond de commerce." Tout en cultivant la nostalgie de périodes sombres et de personnages peu recommandables, Zemmour magnifie le passé et crache sur le présent, il se fait "vendeur de peur". Il crache sur tout et tout le monde, les homos, les étrangers, les antiracistes, les femmes dominatrices, les musulmans, les artistes, les technocrates, les sociologues, les économistes. Même sur les médias - qui l'ont pourtant fabriqué et dont il est une vedette - lui qui joue le même jeu que ces chaînes de télé qui, à suivre chaque jour des équipes de police sur tous les terrains, font entrer quotidiennement la peur dans les salons.
Dans ses délires, il s'en prend même aux humoristes, "coupables de tourner en dérision les valeurs de la politique et de la société. (...) Aux yeux des nouveaux réacs, le rire est suspect parce que l'ironie désacralise et met à nu les rigidités de la société française (1)". Zemmour nous joue le rôle du moine Jorge, dans "Le nom de la rose" (2): "Le rire est la faiblesse, la corruption, la fadeur de notre chair. C'est l'amusette pour le paysan, la licence pour l'ivrogne. (...) Le rire distrait, quelques instants, le vilain de la peur."
L'homme du bond en arrière n'envisage comme futur que le passé. Il n'apparaît que comme un chantre de l'égoïsme, de la régression, du repli sur soi, un brocanteur des idées vichystes, maurassiennes, lepennistes... Tout en pensant sans doute (comme Jean-Marie Le Pen qui l'estime beaucoup) dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas, il se révèle n'être qu'un bas parleur.
Le plus inquiétant n'est pas qu'existe ce sombre Savanarole du XXIe siècle, le plus inquiétant, c'est le succès qu'il rencontre. Demain les bûchers devant les médiathèques?

(1) "Contre Zemmour - Réponse au Suicide français", Les petit matins, 2014.
(2) Umberto Eco, Le livre de poche 5859, pp. 592-593.

1 commentaire:

gabrielle a dit…

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1. Le suicide français (Zemmour)
2. Merci pour ce moment (Trierweiler).
Sic transit gloria mundi.