lundi 1 juin 2015

Ce besoin de culture

On la sent en petite forme la culture ces derniers temps. Elle a l'air abandonnée dans un coin poussiéreux. On ne peut pas la jeter, on s'y est attachée, elle fait partie des meubles, mais c'est comme si elle avait fait son temps. Alors, on lui rabote ses budgets et on passe à autre chose, à l'essentiel plutôt qu'à l'accessoire. Alors que c'est elle l'essentiel, c'est elle qu'il faut soutenir en ces temps troubles. "Après l'attentat (du 7 janvier), on a parlé du vivre-ensemble en permanence, c'était devenu un mot fourre-tout", estime le comédien Philippe Torreton (1). "En oubliant que la culture est la clé du vivre-ensemble, si elle est accessible à tous." Elle est selon lui le seul rempart contre le terrorisme et nécessiterait un redéploiement de moyens budgétaires. "Parce que notre société ne sait pas où elle va, dit-il, qu'elle se questionne, parce que le retour du religieux est inquiétant, que des spectacles se retrouvent censurés ou menacés, c'est maintenant qu'il faut investir. Et ce gouvernement fait l'inverse."
Son collègue François Morel déplore aussi la diminution des subventions à la culture et en particulier au théâtre (2): "les théâtres sont des lieux d'écoute, de rencontre, de discussion, d'intelligence, de beauté, d'humour et de joie". Il se demande où est passé le fameux esprit du 11 janvier et regrette que tant de maires qu'on a vu manifester ce jour-là sabrent aujourd'hui dans les budgets culturels de leurs communes. 
Les représentations du monde, de la société, de ce qui la fonde et la divise permettent un recul et donc une réflexion. "Représenter une chose ou une personne est un élément fondateur du langage, écrivait Philippe Val (3). "La représentation, qui met à distance une figure de la réalité, permet d'entretenir avec elle un rapport, au lieu de la subir comme la subissent les minéraux, les végétaux et les animaux. Or c'est dans ce rapport que l'on entretient avec la réalité que la liberté humaine s'exprime. " 
En cette période de politiquement correct où la majorité des débats évitent les problèmes de fond, le rôle de la culture, c'est donc notamment de s'attaquer aux tabous, aux barrières, aux œillères, à tout ce qui nous dérange. "On doit tout jouer, estime Philippe Torreton. Le théâtre est l'endroit où l'on parle le mieux de l'être humain, et c'est un territoire sans dogmes. C'est un immense champ de liberté. (...) Le théâtre foisonne de caricatures."
François Morel rappelle cette phrase de Winston Churchill à qui on proposait de couper dans les budgets culturels pour soutenir les efforts de guerre: "mais alors, pourquoi nous battons-nous?", a-t-il répondu.

(1) Charlie Hebdo, 27 mai 2015.
(2) France Inter, 29 mai 2015, 8h55.
(3) Charlie Hebdo, 8 février 2006.

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