mercredi 10 juin 2015

Correct?

Le politiquement correct devient une valeur à part entière dans nos sociétés. Grâce à lui, la censure et l'autocensure se portent bien. Il est des mots qu'on ne peut (plus) prononcer, des choses qu'on ne peut (plus) montrer, des situations qu'il faut taire. Au nom du respect de "communautés", de "groupes" qu'il ne faudrait surtout pas stigmatiser. La critique devient interdite, les débats se réduisent, chacun se replie sous sa tente.
On ne peut critiquer l'islam sans se faire traiter d'islamophobe, toute religion sans risque de passer pour un blasphémateur ou un "laïcard intégriste". Alors, plutôt que de prendre le risque d'être mal compris, pire d'être menacé, on se tait.
Dans une interview à Charlie Hebdo, le comédien Philippe Torreton déclare que "l'autocensure, ce n'est pas seulement celle qui pourrait être liée au religieux. Dans mon milieu, on s'interdit des représentations par peur de polémiques. Je vais jouer Othello dans une mise en scène de Luc Bondy. Je vais donc jouer un Noir, être peint en noir. Il y en a qui s'inquiètent déjà de la façon dont cela nous nuira. Mon ex-femme, metteur en scène, a subi un flot d'injures au moment de la représentation des Enfants du silence à la Comédie française cette année, parce qu'elle a fait jouer des comédiens entendants qui ont appris la langue de signes pour le spectacle, et pas des personne sourdes."
Récemment, le choix d'Eric Lartigau de faire jouer le rôle de parents sourds par Karin Viard et François Damiens , dans son film la famille Bélier a aussi suscité une polémique.
On se souvient que, il y a peu, l'exposition Exhibit B, dénonçant l'attitude colonialiste, a été violemment critiquée parce que cette mise en scène de Noirs avait été réalisée par un Blanc.
Si on suit toutes ces critiques, qui s'inscrivent dans le politiquement correct, demain les comédiens ne pourraient jouer que leur propre rôle, plutôt que celui d'un boucher, d'un huissier de justice, d'un agriculteur ou d'un flic, les hommes ne pourraient plus jouer des femmes, les hétéros des homos ou inversement. Les écrivains ne pourraient évoquer que ce qu'ils vivent, les peintres représenter leur environnement. Moi qui suis Belge ai-je le droit de parler de la France, des Etats-Unis, de l'Afrique? Suis-je incorrect si je me mets à critiquer le milieu sportif (qui n'est pas le mien), le secteur automobile (moi qui ne connais rien en mécanique) ou la production de viande (moi qui n'en mange jamais)? Dois-je être sectaire pour pouvoir critiquer le pseudo-Etat islamique, Boko Haram ou les militants de la Manif (dite) pour tous?
En ces temps où le b.a.-ba de la politesse semble ignoré par trop d'intervenants qui manient l'insulte et l'agressivité comme s'il n'avaient pas d'autre outil de communication, il est inquiétant de voir combien de sujets ne peuvent être abordés, même sereinement, dans le respect de ses interlocuteurs et de manière assertive.
Résumons-nous: le politiquement correct est souvent ridiculement incorrect. Il nous mène en des temps obscurs de repli sur soi.

(1) Le théâtre foisonne de caricatures, 27 mai 2015.

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