mardi 16 juin 2015

Insomnies

Parfois, la nuit, l'homme ne trouve pas le sommeil. Il en profite pour se poser des questions. Et elles l'empêchent de dormir. Comment, se demande-t-il, comment les croyants de religions monothéistes font-ils pour vivre en acceptant qu'il y a d'autres religions, d'autres dieux que le leur? Chacun se dit-il que les autres sont dans l'erreur et que seul lui a vu juste? Et, si c'est leur dieu qui est à l'origine de l'univers, de la vie, de tout être, chacun est-il l'œuvre de son propre dieu ou les dieux se sont-ils partagé la terre et l'humanité? Le dieu des juifs a-t-il créé le bout de terre sur lequel est plantée la maison d'un juif? La famille d'un musulman est-elle entièrement le fait de son dieu? Et les animaux d'un berger catholique doivent-ils la vie au dieu de leur éleveur?
A force de questions, l'homme insomniaque se demande aussi jusqu'où ira le respect exigé par les religions et leurs affidés, s'il peut encore sortir un livre, ouvrir son journal dans un train, une salle d'attente ou un abribus sans susciter un mouvement de désapprobation si d'aventure ses lectures ne cadrent pas avec les choix et les valeurs de l'un ou l'autre de ses vis-à-vis. S'il peut encore parler de ce qu'il veut, exprimer doutes et critiques sans se faire traiter de provocateur.
En tout cas, mieux vaut ne plus parler de Charlie Hebdo, de ses dessinateurs et journalistes lâchement assassinés, de la liberté d'expression, de la folie islamiste. On ne sait jamais ce qui pourrait nous arriver. L'homme sait à présent qu'il vaut mieux n'en parler que chez soi, à l'abri des oreilles indiscrètes, mais surtout plus en public. 
Une universitaire qui devait intervenir prochainement dans un débat consacré à Charlie Hebdo à l'University of London Institute in Paris a reçu un courrier des organisateurs: réflexion faite, il faudrait changer de thème d'intervention ou alors de lieu, lui indique-t-on (1). Foolz illustre cet article par un dessin: trois personnes discutent: "Réfléchissons à une expo qu'on pourrait annuler sans choquer personne", dit l'une. Autre dessin, de Luz cette fois: "Méfiez-vous, dit un homme à un écrivain: écrire un livre risque d'attiser la haine de ceux qui n'en lisent pas." L'homme se dit qu'on peut évidemment comprendre le souci de sécurité d'organisateurs, mais qu'on ne peut laisser gagner des barbares ignares.
Voilà pourquoi l'homme dort mal.


(1) "Charlie sujet de débat interdit", Gérard Biard, Charlie Hebdo, 3 juin 2015.

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