mardi 9 juin 2015

La honte

Empêcher les migrants d'arriver en Europe semble être la seule politique que soient capables d'envisager nos pays. Ce qui n'empêche pas - et n'empêchera pas - des dizaines, sans doute des centaines, de milliers de gens de prendre la mer, pour fuir la guerre et la misère. Au péril de leur vie. Depuis le début de cette année, 1800 personnes sont mortes lors de leur tentative de traversée de la Méditerranée. "Depuis vingt ans, on estime qu'au moins 18 000 à 20 000 personnes ont perdu la vie en tentant d'atteindre l'Europe", écrit Riss (1). Ils meurent par noyade le plus souvent, mais aussi de soif, de faim ou de froid, assassinés, écrasés, suicidés, étouffés dans des camions, tués par un champ de mines...
En 2014, 274 000 personnes sont entrées illégalement dans l'Union européenne, dont 170 000 sur les côtes italiennes. L'Italie et la Grèce se sentent abandonnées par le reste de l'Europe.
L'Union européenne a néanmoins établi un plan de répartition des migrants dans ses différents pays en fonction de quotas. Mais qui l'accepte? 40 000 demandeurs d'asile syriens et érythréens, arrivés en Italie et en Grèce depuis le 15 avril, seraient ainsi répartis dans le reste de l'Union. Ce qui ne représente que 40% d'entre eux. "Et on parle d'un million de candidats au départ en Libye, point de convergence de tous ceux qui fuient guerre ou persécution au Nigéria, en Syrie, en Érythrée, en Somalie...", écrit Juliette Bénabent dans Télérama (2). Elle précise que les 274 000 illégaux recensés ne représentent que 0,05% de la population de l'Union et cite Simona Taliani, une anthropologue de l'université de Turin: "les flux ne sont pas si élevés. Ces migrants montrent largement la faillite de nos politiques militaristes et postcoloniales, par exemple l'intervention de 2011 en Libye. Les accueillir reviendrait à reconnaître cet échec, et l'Europe n'y est pas prête". 
On ne peut accepter une immigration "illégale", disent les Tartuffe. "Mais quelle différence y a-t-il entre un être humain qui entre légalement dans un pays et celui qui entre illégalement? Celui qui entre illégalement serait-il moins humain que celui qui a ses papiers en règle?", demande Riss (1).

Au nom de la lutte contre l'immigration illégale, le racisme devient légal. "A la frontière entre l'Italie et l'Autriche, chaque jour, on chasse du Noir", écrit Yannick Haenel (3). Dans les trains, "plus besoin de contrôler les passagers, plus besoin de vérifier qui est en règle ou ne l'est pas, la Trilatérale (une brigade de policiers italiens, autrichiens et allemands) ne s'intéresse ni aux papiers d'identité ni aux billets de train; elle n'a qu'un seul objectif: empêcher les Noirs, tous les Noirs, de prendre le train." (...) "Autrement dit, après avoir laissé mourir les réfugiés au large de Lampedusa, l'Europe en traque les survivants aux frontières. On fait sortir des trains et on laisse à quai des personnes qui ont traversé des déserts et des mers, qui ont passé des années dans des camps en Ethiopie, en Libye: on traite de manière juridique, policière une situation qui est avant tout politique et humanitaire.
Faire descendre des trains tous les Noirs est un acte qui signifie donc qu'il est interdit aujourd'hui d'être Noir. L'illégalité est-elle un concept racial? Quand une loi est injuste, la justice passe avant la loi. Mais quand ce qui est injuste n'est même pas une loi?"

Il y a aussi ceux qui rêvent de passer la Méditerranée mais qui restent à quai, coincés dans des camps en Libye ou ailleurs. Leurs témoignages recueillis par Le Monde nous interpellent (4). On a tout pris à ces hommes. Surtout l'espoir.

Mais on ne peut accueillir toute la misère du monde, disent les autruches. En 2013, 3,2% de la population mondiale ont migré et les mouvements concernent toutes les régions du monde. Du sud vers le sud: 82,3 millions et du sud vers le nord: 81,9 millions, indiquent des militants du Collectif poitevin "D'ailleurs nous sommes d'ici".
Ils rappellent que la part des étrangers dans la population française était de 6% en 1926, 6,3% en 1990 et 5,8% en 2008, qu'en 2012 accueillait 286 000 migrants, l'Allemagne 400 000 et la France 258 900.  "L'immigration coûte chaque année 48 milliards d'euros à la France, ajoutent-ils, mais elle rapporte 60 milliards d'euros en impôts cotisations sociales." Et de citer le secrétaire général de l'OCDE, Angel Gurria pour qui "il faut oublier cette idée reçue qu'accueillir des migrants coûte cher".

Mais tant de partis politiques vivent aujourd'hui de la peur d'une invasion totalement imaginaire.
En Hongrie, le premier ministre Viktor Orban a distribué un questionnaire à la population dont le thème est "Immigration et terrorisme"; Une question innocente parmi d'autres: "la mauvaise gestion de l'immigration par Bruxelles favorise-t-elle le terrorisme?" (5). On comprend par là que le premier ministre a déjà les réponses à toutes les questions qu'il pose. La Hongrie compte 1,4 % d'immigrés.

(1) Charlie Hebdo, 20 mai 2015.
(2) Le grand naufrage, 10 juin 2015.
(3) Il est interdit d'être Noir, Charlie Hebdo, 13 mai 2015.
(4)  http://www.lemonde.fr/international/visuel/2015/05/30/nous-sommes-la-pour-etre-vendus_4642829_3210.html
(5) Arte Journal, 9 juin 2015.

1 commentaire:

gabrielle a dit…

Un microscopique carré : http://rue89.nouvelobs.com/2015/03/08/les-migrants-refugies-europe-lan-dernier-cest-tout-petit-carre-blanc-258098