dimanche 5 juillet 2015

La fête des forçats

Comme tous les ans à la même époque, c'est la fête. Celle du vélo, des bobs, des campings cars, des miss souriantes, des saucisses grillées en bord de route, des bières dans la glacière, des drapeaux nationaux, des maires ravis sous leurs écharpes, des commentateurs sportifs égosillés, des chaises placées devant la porte de la maison dès le matin. Bref, la plus grande course cycliste est repartie pour un tour. Celui qui est de France.
On repense à cette lettre qu'Ernestine Chassebœuf adressa à Jean Lebrun, de France Culture (1). C'était en 1999, mais elle reste d'actualité. Forte de ses 89 années au compteur, Ernestine - dont le mari eut un ancêtre assassiné par les royalistes le 19 septembre 1793 à la bataille du Pont-Barré à Beaulieu-sur-Layon - a connu la vie et il ne faut pas lui raconter d'histoire.
"Quand on en a eu, à la campagne, des vélos, c'était un sacré progrès, écrit-elle. Mais maintenant que je vois tous ces pauvres gars qui passent un mois à pédaler comme des bagnards avec de la publicité jusque sur leur caleçon, je me dis qu'on est tombés bien bas. Pourquoi est-ce qu'il faut toujours aller plus vite, être le premier, bouffer tout le monde pour passer devant?" (...)
"Alors quand je regarde les esclaves du Tour de France à la télé, pour moi, une bonne étape, c'est quand il y a beaucoup d'abandons. Je me dis que ceux qui s'arrêtent, ils vont pouvoir aller se reposer et tant mieux pour eux s'ils n'ont pas eu droit au bouquet et à la bise de Miss Limousin du Sud. Si c'était des chiens qu'on faisait courir comme ça sur des vélos, on aurait Brigitte Bardot qui se coucherait sur la route pour empêcher le départ, mais pour les coureurs il y a pas de SPA, alors ça continue et ça continuera encore, mais faut pas compter sur moi pour aller les applaudir."
Chaque fois qu'on apprendra que des coureurs ont abandonné, on se réjouira, avec une pensée émue pour Ernestine et son bon sens.

(1)"Cent coups de sang d'Ernestine", éditions le Polygraphe, 2010.
A (re)lire sur ce blog: "Aveugle admiration", 18 juillet 2013.

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