mercredi 24 février 2016

Les fils des Joseph (Staline et McCarty)

Le terrorisme gagne chaque jour du terrain. Par les kalachnikovs et par les mots. La violence qu'il exerce se diffuse par certains intellectuels. Soit des gens qui sont censés aider les autres à réfléchir, mais qui font tout pour les en empêcher dès qu'il est question d'un dieu. Surtout celui des musulmans.
Voilà que de sombres crétins dans les médias de l'Etat iranien réitèrent l'appel au meurtre de Salman Rushdie (1). Avec 600.000 dollars de récompense pour le lâche qui ira assassiner un écrivain. Quand Khomeiny, le fou de Dieu, avait lancé le premier appel en 1989 il avait provoqué une réprobation générale. Aujourd'hui, la relance de cette fatwa ne suscite quasiment aucune réaction. Les appels scandaleux et meurtriers se sont aussi banalisés que les relations avec l'Iran se sont normalisées. Ainsi va ce monde.
Ceux qui flinguent au nom de leur dieu se sont trouvés d'utiles complices parmi les intellectuels occidentaux devenus de staliniens maccartystes qui veulent empêcher tout débat. Il n'est plus question ni de raison, ni d'esprit critique. Dieu semble s'être imposé comme la meilleure idée qui soit. Incontestable.
L'écrivain et journaliste algérien Kamel Daoud vient encore d'en faire les frais. Il a eu le culot d'affirmer que "le sexe est la plus grande misère dans le monde d'Allah" et de critiquer la manière dont sont traitées les femmes dans cette même culture. Un groupe d'universitaires lui est tombé sur le dos, à bras raccourcis. L'accusant (2) "d'alimenter les fantasmes islamophobes". Comme s'il n'y avait pas lieu de craindre des fanatiques qui, au nom d'une religion, font la guerre aux femmes et à tous ceux qui ne pensent pas comme eux. "Nous vivons une époque de sommations", déplore Kamel Daoud. Que savent, que peuvent savoir ces sociologues, ces historiens, ces philosophes de ce que vit et a vécu quelqu'un comme lui menacé de mort par les islamistes parce qu'il s'exprime librement ? Kamel Daoud dénonce les préjugés de spécialistes : "je sermonne un indigène parce que je parle mieux que lui des intérêts des autres indigènes et post-colonisés". A se vouloir à toute force anti-raciste, on se conduit comme les pires des colons, ceux qui ont choisi de maintenir des populations entières dans l'obscurantisme et la peur. Kamel Daoud annonce qu'il abandonne le journalisme. Qu'ont gagné les censeurs?
L'écrivain algérien a - heureusement - reçu le soutien de nombreux autres intellectuels (3). L'intelligence a toujours survécu à tous les dieux, à tous les inquisiteurs et à toutes les polices de la pensée. "Quand cette guerre contre l'islamisme sera terminée, écrit Riss (4), il faudra faire les comptes de toutes les lâchetés, les complaisances, les trahisons des intellos et des journalistes qui auront tout fait pour intimider et faire taire les voix contestataires."

Pour tous ces censeurs, cet extrait des "Versets sataniques" de Salman Rushdie. Et qu'ils se grattent où ça les démange!
Parmi les palmiers de l'oasis, Gibreel apparut au Prophète et se retrouva en train de débiter des règles, des règles, des règles, jusqu'à ce que les fidèles puissent à peine supporter l'idée d'une autre révélation, dit Salman, des règles sur la moindre chose, si un homme pète, il doit se tourner vers le vent, une règle sur la main à utiliser pour se nettoyer le derrière. Comme si aucun aspect de l'existence humaine n'était laissé sans règlement, libre. La révélation - la "récitation" - indiquait aux fidèles la quantité de nourriture à manger, la profondeur du sommeil, et les positions sexuelles qui avaient reçu l'autorisation divine, et ils apprirent ainsi que la sodomie et la position du missionnaire étaient approuvées par l'Archange, tandis que la loi interdisait toutes les positions où la femme était au-dessus. Gibreel dressa en plus la liste des sujets de conversation permis et interdits, et indiqua les parties du corps qu'on ne pouvait pas gratter quelle que soit la démangeaison.

(1)http://www.rtbf.be/info/medias/detail_des-medias-iraniens-renouvellent-la-fatwa-de-mort-contre-l-ecrivain-salman-rushdie?id=9219925
(2)  http://www.huffingtonpost.fr/ahmed-charai/islam-radical-kamel-daoud_b_9290366.html
(3) http://www.huffingtonpost.fr/2016/02/21/kamel-daoud-accuse-islamophobie-quitte-journalisme_n_9284162.html?utm_hp_ref=france
http://www.huffingtonpost.fr/sophie-belaich/kamel-daoud-islam-femmes-islamophobie_b_9299096.html?utm_hp_ref=france
http://www.huffingtonpost.fr/ruth-grosrichard/kamel-daoud-entre-deux-fatwas_b_9296290.html?utm_hp_ref=france

(4) "Celui croyait au logiciel, celui qui n'y croyait pas", Charlie Hebdon, 24 février 2016.
http://www.marianne.net/pourquoi-monsieur-antiracisme-valls-refuse-parler-islamophobie-100240479.html

7 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

Voir aussi le billet paru sur le blog de Politique qui a été jusqu'ici d'un silence religieux sur cette affaire (dépassant de loin "Cologne") avant le texte de Kamel Daoud. Le billet s'intitule de manière très "badiousienne" : "De quoi Kamel Daoud est-il le nom ?". Le même billet qualifie en passant Mohammed Sifouai de "vide de la pensée".

Pour la suite, le propos n'attaque pas directement la personne de Daoud ou son oeuvre ("grand écrivain", "journaliste engagé et courageux") mais bien sa tribune du Monde où "il tente d'expliquer l'inexplicable" par une "racialisation des violences sexuelles" et inviterait malgré lui à "imputer toute la violence sexuelle aux musulmans".

Un peu cauteleux, l'auteur du billet écrit en effet que "ce n’est pas ce que le texte de Daoud fait mais c’est ce qu’il invite à faire implicitement". Voilà donc Daoud complice de racisme et d'islamophobie (ah ce terme digne du DSM5 qui tétanise toute pensée critique sur l'islamisme ou l'islam) à l'insu de son plein gré. Et, conclut l'auteur qui, lui, n'est pas menacé par le "vide de la pensée" : "L’épisode Kamel Daoud est le nom d’un triste avatar de la rapide régression intellectuelle à laquelle nous faisons face." En effet.

Michel GUILBERT a dit…

On est en effet en pleine régression intellectuelle. L'obscurantisme est une maladie contagieuse qui semble affecter des gens qu'on croyait vaccinés. Elle sont insupportables ces leçons de pseudo humanisme assénées, depuis leur salon bruxellois ou parisien, par des "bien pensants" à des gens menacés depuis longtemps de mort par des islamo-fascistes.De quoi sont-ils le nom, ces "intellectuels" donneurs de leçon? Pas de la pensée.

Michel GUILBERT a dit…

Je n'avais plus lu depuis longtemps le magazine "Politique" à qui on doit d'excellentes analyses.
Mais le billet dont vous parlez et que je viens de lire à l'instant ne me donne pas envie d'en reprendre la lecture lire. Quelle indigence intellectuelle! On en est donc là?! Déjà le titre - "De quoi Kamel Daoud est-il le nom?" - est d'un banal aujourd'hui! Un peu plus d'originalité relèverait un peu le niveau. Mais là n'est pas l'essentiel.
Passons sur les basses attaques sur Chalgoumi et Sifaoui. Passons sur l'argumentiare, hélas déjà classique, qui veut que puisque des femmes souffrent de violences partout et de la part de tous les hommes il n'y a dès lors pas de quoi faire un fromage avec Cologne.Tout cela est d'une faiblesse argumentaire et d'une lâcheté ahurissantes.
Mais l'essentiel, c'est cet amalgame. J'imagine que l'auteur (de qui s'agit-il?) doit faire partie de ceux qui crient à l'amalgame dès qu'on est dans la confusion. Et voilà qu'il tombe à pieds joints dans le panneau. Le voilà qui parle de race en parlant d'islamistes. Car c'est bien des islamisteset 'une certaine manière de vivre l'islam que parle Kamel Daoud. Et l'auteur du billet traduit aussitôt en "étrangers", affirme qu'il ne faut pas "ethniciser cette question" et éviter "la racialisation des violences sexuelles". Donc, selon lui, islamistes = race !? Il revient évidemment avec cet argument ultime (et stupide) d'islamophobie. Fin du débat. On est dans une espèce de terrorisme intellectuel. Ceux qui ont le toupet de pointer du doigt les responsabilités d'une religion dans les agissemenst inacceptables de certains de ses adeptes se voient aussitôt traités de fascistes et sont à la base d'une "rapide régression intellectuelle". Effrayant de... mauvaise foi. Et de régression intellectuelle.

Bernard De Backer a dit…

J'ai posté un assez long commentaire à ce billet sur le blog en question, mais il n'a pas (encore) été publié. Sur la condition des femmes en terre d'islam, j'ai fait référence à l'excellent livre, peu suspect "d'islamophobie", de Gabriel Martinez-Gros et Lucette Valensi, "L'Islam, l'islamisme et l'Occident" (Points Histoire, réédition 2013). Le chapitre "La condition des femmes" (pp. 250-291) est très documenté et historicisé. Il montre les évolutions et les régressions, mais est au final assez implacable.

Sur "la racialisation des violences sexuelles", le procès d'intention est en effet ahurissant. Mais il s'explique, je pense, par la très grande difficulté qu'éprouvent nombre "d'intellectuels de gauche" à penser le facteur culturalo-religieux comme variable explicative de comportements humains. Entre le "socio-économique" et le "biologique", il n'y a de place pour rien. Dès lors, si vous invoquez la dimension culturelle et religieuse, vous êtes raciste. C'est affligeant mais c'est ainsi.

Bernard De Backer a dit…

Complément à ce qui précède : mon commentaire intitulé "Une fatwa de plus" a finalement été publié le 4 mars par le rédacteur en chef de Politique, Henri Goldman. Il est visible en dessous du billet : http://blogs.politique.eu.org/De-quoi-Kamel-Daoud-est-il-le-nom (il suffit de cliquer sur "lire la suite" pour le voir se déplier dans sa totalité).

Michel GUILBERT a dit…

Merci pour ce commentaire clair publié sur le blog de Politique.
Les fatwas, effectivement, ça suffit!

Michel GUILBERT a dit…

A lire aussi à ce propos dans le dernier n° de Charlie Hebdo (2 mars 2016)
"Daoud, homme révolté", par Philippe Lançon
et "Les nouveaux staliniens contre Kamel Daoud", par Jean-Yves Camus.