jeudi 1 juin 2017

Un monde parfait

Il y a une vingtaine d'années, certains analystes nous disaient que le succès de Jacques Chirac tenait notamment à son côté tricheur. Un homme qui magouille ne peut être totalement mauvais, ça le rend même sympathique.
Les temps ont changé. L'heure est à la transparence totale et à la perfection.
Nous voulons des élus qui nous ressemblent, mais qui soient irréprochables. Comme nous donc. Qui n'aient jamais favorisé leurs proches, qui n'aient jamais eu d'aventure extra-conjugale, qui n'aient jamais triché aux examens, qui n'aient jamais été saouls, jamais fumé de joint, jamais insulté personne, jamais franchi la ligne blanche. La culture protestante américaine nous a gagnés.
Les néo-ministres français  Ferrand et de Sarnez sont aujourd'hui remis en cause. Ferrand pour une (des?) affaire privée. Et de Sarnez, comme plusieurs autres députés européens de tous partis, apparemment pour les fonctions effectives d'un de ses assistants (1). On n'en sait pas plus. Mais les voilà flingués aussitôt par une opinion publique en quête de représentants purs.
Chacun devient procureur. Même si on ne sait pas bien de quoi il retourne, on juge, on condamne. De toute façon, ils sont tous pourris.
Le député René Dosière (apparenté PS), devenu un fer de lance de la moralisation de la vie publique, estime qu'on ne peut tout confondre, que "la transparence sur la vie privée, c'est un régime dictatorial" (2) Voilà les élus en permance sous la loupe des enquêteurs que nous sommes.
"Membres du gouvernement et collaborateurs, famille et amis, tout est scruté et déballé dans le moindre détail, à peine les intéressés ont-ils été nommés, écrit Jean-Yves Camus (3). Quitte à confondre le trafic d'influence avec le piston, la véritable faute vis-à-vis de l'équité et de la probité avec les petits arrangements qui, inévitablement je crois, sont liés à l'exercice d'une parcelle de pouvoir." Le politologue estime que "le culte de la pureté est une croyance religieuse laïcisée": "depuis que la République existe, l'inexorable mouvement de demande de transparence traduit notre volonté de voir le pouvoir nous ressembler, puisqu'il émane de nous. Il doit être pur comme nous voudrions l'être, nous qui ne nous sommes pas débarrassés de nos schémas de pensée à fondement religieux. (...) C'est la part sombre de chacun que nous demandons aux politiques, dans notre volonté de transparence absolue, d'évacuer d'eux-mêmes pour être dignes de nous diriger." 
Au rythme où le niveau d'exigence augmente, il va devenir difficile de trouver des élus qui répondent à nos critères et qui prennent le risque d'exercer le pouvoir. Il ne nous restera plus qu'à nous porter nous-mêmes candidats. Pour autant que nous soyons blancs comme neige. Qui peut prétendre n'avoir jamais mis un pied de travers, volontairement ou non? Il faut se faire une raison: personne n'est parfait. Oui, c'est dur à admettre.

(1) http://www.huffingtonpost.fr/2017/05/31/avec-les-affaires-ferrand-et-de-sarnez-le-camp-macron-attaque-de-toutes-parts_a_22118593/?utm_hp_ref=fr-homepage
(2) http://www.lexpress.fr/actualite/politique/il-ne-faut-pas-tout-melanger-rene-dosiere-defend-richard-ferrand_1913337.html
(3) "La religion de la transparence", Charlie Hebdo, 31 mai 2017.

2 commentaires:

Grégoire a dit…

Jean Yanne avait jadis fait le constat inverse lors d'une émission des "grosses têtes". Il faisait remarquer, dans son style particulier, que la mansuétude dont bénéficiait les politiques peu ou très corrompus venait du fait que, je le cite, tout le monde aussi voulait en croquer. Sauf, que cette fois-ci, le candidat élu président avait notamment basé son embryon de campagne sur la moralisation de la vie politique. Et que constate-t-on? Le premier ministre Philippe prend la défense de son ministre de la cohésion des territoires en reprenant les mêmes arguments que F. Fillon, à savoir qu'il n'y avait rien d'illégal dans ce qui a été fait, et que ce genre de comportement était accepté à l'époque, mais que les mentalités ont changé. Pourquoi, par exemple, comme je l'ai déjà signalé, le PS français a-t-il choisi successivement deux repris de justice pour premier secrétaire du parti? N'y avait-il pas assez de candidats potentiels sans casier judiciaire? Les Français voulaient du changement, et la déception est une fois de plus au rendez-vous. On attend beaucoup de probité des politiques car ils nous représentent et ils gèrent notre patrimoine mobilier et immobilier commun. Le président du parti socialiste belge francophone déclaré hier qu'il fallait remettre de l'ordre (moral) dans la vie politique, limiter les mandats, etc. Comediante! Tragediante! Comme disait Pie VII. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait plus tôt? Parce ce qu'on a toujours fait comme ça et qu'un parti d'extrême-gauche commence depuis peu à talonner le sien... Je terminerai mon propos en citant Beaumarchais, prenant votre constat à l'envers : " Aux vertus qu'on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d'être valets ?". C'était au temps de l'ancien régime... lorsqu'on ne choisissait pas encore ses dirigeants.

Michel GUILBERT a dit…

Bien d'accord: le rôle que joue Di Rupo lui convient mal. Il préside un parti gangréné et a largement fait son temps. Il n'est plus audible depuis longtemps. Mais j'ai un peu l'impression qu'on passe d'un excès à l'autre.
Peut-être Richard Ferrand (dont je n'avais jamais entendu parler il y a encore trois semaines et pour lequel je n'ai a priori ni sympathie ni antipathie particulière) sera-t-il poursuivi et même condamné par la Justice. Mais j'ai parfois du mal à comprendre la virulence des attaques. J'ai lu, il y a quelques jours, un article - je pense que ce devait être sur le site du Monde - qui expliquait qu'une de ses proches avait été engagée pour le remplacer à la direction des Mutuelles et que Ferrand avait engagé comme assistant le conjoint de celle-ci. Franchement, je n'arrive pas à comprendre où il y a problème. Je suppose que les Mutuelles qu'il dirigeait ont un conseil d'administration et que c'est celui-ci qui a choisi son successeur et est-ce un problème si c'est une proche si elle est compétente? Quant au choix de l'assistant parlementaire, va-t-on demain l'imposer à l'élu concerné ? Sera-t-il forcé d'engager quelqu'un qu'il ne connaissait aucunement, alors qu'il est indispensable de pouvoir travailler avec quelqu'un en qui le parlementaire a une totale confiance"?
Le projet de "moralisation" de la vie politique de Bayrou me paraît intéressant. Mais le problème de la morale, comme disait Léo Ferré, c'est que c'est toujours celle des autres...
Au-delà de ces considérations, tout cela me conforte dans mon idée: il faut, le plus possible, sortir du système démocratique représentatif. Et donc faire jouer à chacun son rôle de citoyen actif. Sortir de l'indignation et s'impliquer. Mais y a-t-il des citoyens modèles?