lundi 4 décembre 2017

Indépendance cha-cha

L'indépendantisme est-il irrationnel? On est en droit de se poser la question.
Les partisans du Brexit n'avaient visiblement anticipé ni les conséquences ni le coût de la sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne. Les Catalans navigaient à vue dès le lendemain de leur déclaration d'indépendance qui (pour l'instant du moins) semble s'être retournée contre eux. Aujourd'hui, ce sont les indépendantistes corses qui triomphent. Mais s'ils devaient aller jusqu'au bout de leur rêve, si l'île devait réellement, un jour, rompre les amarres avec la République française, leur Etat nouveau se retrouverait face à lui-même, sans les avantages incroyables qui ont été accordés à la Corse par les gouvernements français successifs depuis des décennies.
Les vins produits et consommés en Corse ne sont pas soumis à la TVA. Le tabac y est en moyenne 25% moins cher que sur le continent. Et de nombreux biens et services bénéfient d'un taux de TVA extrêmement réduit. Sans base légale, les véhicules de transport de marchandise de plus de 12 tonnes ne circulant que sur île sont exonérés de la taxe qui frappent ceux qui circulent sur le continent. Les entreprises et les ménages bénéficient aussi d'avantage fiscaux non accordés ailleurs, notamment une exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties (1). Dans le même temps, on voit un maire (2) annoncer que sa commune réservera désormais les permis de construire aux seuls Corses, affirmant froidement qu'il n'a pas besoin des non Corses.
En juin 2016, la Cour des Comptes condamnait ces "pratiques dérogatoires reposant sur des dispositions obsolètes, voire dépourvues de tout fondement légal, qui méconnaissent le principe général d'égalité devant l'impôt". 
Tous ces avantages fiscaux, scandaleux par rapport aux autres régions françaises, ne peuvent exister que dans le cadre de l'Etat français. Sauf à se transformer en paradis fiscal pour les grandes entreprises et les grandes fortunes, une Corse indépendante devrait, pour vivre, assumer ses impôts et ses taxes. Selon toute vraisemblance, le coût de la vie exploserait et on peut penser que, comme dans d'autres cas récents, certains se mettraient, discrètement ou non, à regretter leur vote. La facture de l'indépendance pourrait être... corsée. Et les Corses ne seraient plus les enfants gâtés qu'ils sont aujourd'hui.
Peut-être ou sans doute la majorité des Corses ne souhaite-t-elle pas l'indépendance, mais la coalition nationaliste est quand même arrivée en tête hier avec 45,3% des voix au premier tour (même si seul un électeur sur deux s'est déplacé) (3). Alors de deux choses l'une: ou il s'agit avant tout de se faire plaisir et de pouvoir pleurer de bonheur en tombant dans les bras les uns des autres emballés dans le drapeau nationaliste, ou il s'agit réellement d'aller vers l'indépendance mais avec toutes les conséquences qu'elle implique, notamment en termes de fin des avantages fiscaux accordés par l'Etat-papa poule.
Ça n'engage que moi, mais j'ai vraiment le sentiment que la plupart des volontés d'indépendance n'a pas grand-chose à voir avec la raison et la réflexion, beaucoup plus à voir avec le romantisme, la fierté, le sentiment national. Et avec l'émotion. Par définition, irrationnelle.

(1) http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2017/12/02/20002-20171202ARTFIG00025-ces-surprenants-avantages-fiscaux-dont-beneficie-la-corse.php
(2) dans un Journal de France 3, il y a deux ou trois jours.
(3) http://www.lemonde.fr/elections/article/2017/12/03/victoire-des-nationalistes-en-corse-maintenant-c-est-a-paris-de-comprendre-ce-qu-il-se-passe-ici_5224057_5001134.html

Aucun commentaire: