lundi 11 décembre 2017

La lassitude de Narcisse

Les autonomo-indépendantistes ont triomphé en Corse avec 56% des voix (même si seul un électeur sur deux a participé au scrutin). Certains s'empressent de traduire cette victoire en dégagisme. Les Corses adresseraient ainsi un sévère avertissement au président Macron et à son gouvernement: on ne veut plus de vous. On entend même des électeurs affirmer leur "lassitude" par rapport à La République en Marche. Qui est au pouvoir, rappelons-le, depuis six mois. Nous vivons en des temps fatigués, nous sommes si vite las. Le simplisme des analyses n'a jamais aidé à comprendre l'évolution du monde.
Et pourtant, même si on ne peut comparer toutes les poussées nationalistes, c'est bien dans un mouvement mondial, et non dans un positionnement franco-français, que s'inscrit le succès des nationalistes corses. La Guerre froide, estime Bernard Guetta, avait endormi les conflits entre nations. On était d'un camp ou de l'autre. Pas du sien. "La Guerre froide, disait-il ce matin (1), avait ainsi fait oublier que l'Histoire est faite de conflits entre nations et que le nationalisme, fauteur de guerres, est en quelque sorte l'état de nature des relations internationales, celui qu'il faut combattre avant qu'il ne nous fasse revenir aux temps mortifères." Le nationalisme, rappelle l'éditorialiste de France Inter, revient en force en Corse comme en Catalogne, en Chine comme en Russie, aux Etats-Unis comme en Iran. Et si on ne peut les mettre tous dans le même sac, on y trouve des racines communes. Et notamment la nostalgie: "celle des temps révolus où chacun pouvait encore comprendre un monde aux configurations tellement anciennes qu'elles étaient familières à tous. Le monde d'aujourd'hui donne la migraine et la nation en est l'aspirine".
Personnellement, je vois aussi un lien entre la montée des nationalismes et les réseaux dits sociaux. Dans ces réseaux, chacun proclame l'amour qu'il a pour lui-même. Y parle de ses goûts et de ses dégoûts, de ses choix et de ses rejets, y présente de ce qu'il fait, a fait et va faire, y publie des photos, d'abord et surtout de lui-même (ces selfies que les Québécois ont pertinement baptisés egoportraits). Le nationalisme, me semble-t-il, c'est la reine dans Blanche-Neige qui dit: "Miroir, mon beau miroir, dis-moi que je suis la plus belle". C'est fermer les volets pour ne plus voir que soi. Le nationalisme, c'est la politique à l'ère de Facebook. Entre soi. C'est tellement mieux.

(1) "Où l'on voit les trois racines de la résurgence du nationalisme", France Inter, ce lundi 11 décembre: https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-11-decembre-2017
Lire aussi sur ce blog: "Indépendance cha-cha" (4 décembre 2017)





1 commentaire:

Grégoire a dit…

L' "avantage" qu'il y avait avec la guerre froide, c'était sa silmplicité. Il y avait eux, il y avait nous et entre eux et nous, une frontière claire matérialisée par du grillage et ponctuée de miradors. Certes, nous vivions avec la menace nucléaire, qui n'a pas pour autant disparu, mais l'ennemi était clairement identifié et identifiable. Aujourd'hui, on voit des dizaines de milliers de personnes arriver en Europe sans que l'on sache très bien qui elles sont et si elles voudront bien s'adapter à notre mode de vie. Alors, par crainte, on se tourne vers ceux qui, en apprence, nous ressemblent. C'est théoriquement plus rassurant, comme lorsqu'on recherchait jadis un conjoint de préférence dans son milieu social. Pas de mauvaise surprise, en principe. Quant à Macron, les Corses ont probablement l'impression qu'il ne doivent rien attendre de lui. Les français qui n'ont pas le profil de winner tel que Macron le conçoit ont déjà compris qu'ils doivent rien attendre de lui non plus. Donc, frustration... Et comme l'a rappelé M. Onfray, qu'importe le candidat face à Le Pen au second tour, il est sûr de gagner. Quant aux réseaux sociaux, le lien que je verrai également avec le nationalisme, c'est l'illusion. Nos amis sur Facebook sont-ils vraiment des amis (je n'y suis pas!)? Qu'aurait-on vraiment en commun, si on était dans une nation ethniquement homogène, de plus avec un autre membre de cette nation et qui nous le rendrait forcément sympathique que n'aurait pas un Bolivien, par exemple, qui partagerait avec soi l'intérêt de la dialectique de Kant, au hasard? Comme l'écrivait Pierre Desproges (qui me manque tant) : "En 1914 (tiens, 14-18 : ça, c’est de la guerre), les jeunes soldats français croyaient dur comme fer que les Allemands avaient les pieds crochus, sentaient le purin, et qu’ils n’arrêtaient de boire de la bière que pour venir jusque dans nos bras égorger nos filles et nos compagnes. Grâce à quoi, à cette époque, les jeunes Français avaient les cheveux courts et ne fumaient pas des saloperies que la morale réprouve. D’accord, ils sont morts, mais les cheveux courts!"