lundi 15 avril 2019

Le temps de la démocratie

Le Gouvernement français entend privatiser La Française des Jeux et la société Aéroports de Paris. Les partis non gouvernementaux y sont fermement opposés. Les Gilets jaunes aussi. Ces sociétés sont publiques, disent-ils tous. Donc, elles nous appartiennent. L'Etat ne peut s'en défaire en les revendant au privé. De nombreux parlementaires voudraient que ce projet fasse l'objet d'un R.I.P.: un référendum d'initiative partagée. Partagée entre les parlementaires et la population. Il faut, selon la loi, un certain nombre des uns et de l'autre pour qu'un référendum soit organisé sur la question en débat.
Il en fut question sur Arte au cours de l'émission 28 minutes de vendredi dernier. Encore une fois, la complexité du dossier apparaît rapidement. Quelle(s) question(s) poser? Une question large sur le principe de privatisation des biens de l'Etat (les bijoux de famille, comme on a l'habitude de les nommer)? Ou une question sur les deux privatisations en projet ou sur chacune d'entre d'elles, sachant que les enjeux sont très différents pour l'une ou pour l'autre? Et si l'Etat s'en défait, doit-il y conserver des parts? Et si oui, de combien? 20%? 33%? 49%? Ajoutons à cela qu'on peut s'interroger sur l'intérêt qu'il y a pour un Etat de posséder ces types de société d'une logique profondément capitaliste. On peut aussi se demander si l'Etat peut être juge et partie, s'il est capable de réguler, pour le bien des consommateurs, des citoyens, des riverains et de l'environnement des structures dont il est lui-même propriétaire? Si l'on veut que l'Etat protège d'eux-mêmes les gens qui pratiquent les jeux de hasard, peut-il, doit-il les organiser lui-même? Ou, au contraire, sera-t-il plus à même de fixer des règles strictes pour une société qui ne lui rapporte pas directement de l'argent? Et à l'heure de la nécessité, pour cause de réchauffement climatique galopant, d'une diminution des déplacements, notamment aériens, l'Etat doit-il être propriétaire de structures qui n'ont d'intérêt qu'à voir augmenter ces déplacements? On le voit, ces questions sont trop nombreuses pour être réduites à une seule posée lors d'un référendum auquel les citoyens répondront bien plus dans l'émotion que dans la raison. Le principe de celui-ci est aussi simple que son application est complexe.
Une assemblée d'élus ou de citoyens tirés au sort serait bien plus à même de débattre de ces questions fondamentales. Et surtout d'en prendre le temps.
Bonne nouvelle: voilà qu'on apprend (1) qu'un collectif a décidé de se lancer et de créer une assemblée de citoyens tirés au sort, représentatifs de la société française. Il y a trois mois, ses membres avaient accueilli avec enthousiasme le lancement du Grand débat mais déploraient notamment "la précipitation" du processus. Mais le président français, sous l'extrême pression des Gilets jaunes, pouvaient-ils attendre encore et en peaufiner l'organisation avant de le démarrer? La semaine dernière, le premier Ministre en a dégagé les premiers enseignements. Quelques jours après, on apprenait que tous les textes n'avaient pas encore été traités. Mais tant de gens, journalistes, citoyens, partis politiques, Gilets jaunes s'impatientaient, trouvaient que gouvernement et président traînaient trop avant d'annoncer des décisions. Le temps dit réel devient dictatorial. Il faut aller vite, décider vite. Et  même tout de suite. Quitte à se voir reprocher ensuite un excès de précipitation.
Les tenants du principe du référendum accepteront-ils celui d'assemblées citoyennes qui devront prendre le temps? Le temps de se former, de s'informer, d'examiner les causes d'un problème, d'envisager toutes les solutions possibles, de consulter, de débattre, de décider. Et ces assemblées citoyennes seront-elles vues comme légitimes, comme représentatives de tout un peuple? 
Car pour certains, désormais, seul le peuple, rien que le peuple, tout le peuple seul peut et doit décider. Parce que le peuple a toujours raison. C'est aussi le peuple qui a porté au pouvoir Orban, Salvini, Trump, Poutine, Erdogan et tant de nuisibles. Ce peuple admirable, tant admiré par les populistes de tous poils. C'est le peuple français qui pourrait bien amener au pouvoir, un jour proche, une des membres de la dynastie Le Pen. Ce peuple-là est effrayant. 
(Re)lire sur ce blog "Une fausse bonne idée", 6.1.2019.

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