mardi 2 avril 2019

Un Brexit sans issue

Où va la Grande-Bretagne? Qui le sait? Même pas la reine. Le pays dérive dans le smog. Le Parlement passe son temps à rejeter toute solution et les partis se déchirent. Depuis sa décision insensée de quitter l'Union européenne, suite au référendum lancé par le premier ministre David Cameron, le Royaume moins uni que jamais a perdu la tête.
"Imaginez la colère que je ressens, témoigne le chanteur Damon Albarn (1), à chaque fois que je vois Cameron, qui réside près d'ici, débouler avec son escouade de gardes du corps aux frais de l'Etat, lui qui a plongé ce pays dans le chaos et s'en lave les mains aujourd'hui. De même, j'aperçois régulièrement Michaël Gove, ex-secrétaire d'Etat à la Justice et principal artisan du Brexit, faire son jogging. Un jour, je l'ai apostrophé en le traitant de xénophobe. A mon étonnement, il est venu me voir, interloqué. On a discuté et il n'a pas été fichu de me donner une seule justification à cette boîte de Pandore qu'il a œuvré à ouvrir. En quoi le Royaume-Uni aurait-il regagné sa dignité et sa cohésion, alors que le pays n'a jamais été aussi déchiré? Aucune de ces conséquences dramatiques n'a été anticipée, réfléchie." (2)
On ne peut s'empêcher de se dire qu'il y a des failles dans le processus démocratique: il est possible que des responsables politiques prennent des décisions extrêmement lourdes de conséquences pour leur communauté, puis s'en aillent, juste après, les mains dans les poches en sifflotant (ce qu'a véritablement fait Cameron), devenus subitement totalement irresponsables. Et sans avoir jamais le moindre compte à rendre à qui que ce soit. Comme des capitaines d'industrie qui font sombrer leur entreprise et s'éjectent avec un parachute doré.
"La malhonnêteté, dit encore Damon Albarn, est d'avoir fait croire aux Britanniques que l'Europe était la cause de leur malheur et qu'il suffisait de la quitter pour que tout aille mieux. Et on ne leur a laissé que le choix de dire 'on reste' ou 'on quite'. La vraie question était de remettre en cause, non pas l'Europe, mais son fonctionnement, ses priorités: chercher à comprendre comment elle pourrait aider des communautés en train de périr en investissant davantage dans le local, en développant une éducation qui ne cesse de se désagréger, en valorisant toutes les identités au sein de la communauté. Le référendum aurait dû servir à ouvrir cette discussion."
L'Union européenne ne sait pas se vendre (le veut-elle vraiment ou est-elle devenue trop prétentieuse?) et n'est plus séduisante pour les jeunes générations. Dans le même numéro de Télérama qui interviewe longuement Damon Albarn, on peut lire dans ses Chroniques européennes un article décrivant des quartiers déshérités de Glasgow (3). "Ici (au sud de la rivière Clyde), le vote sur le Brexit s'est joué au niveau du langage, estime l'auteur Darren McGarvey. Les gens se sont fait leur idée en trois minutes: qui me parle, de quoi et avec quels mots? Incapable de raconter l'Europe en termes positifs, le camp du remain s'est fait laminer par les partisans du leave, des cyniques à la rhétorique grossière mais efficace. Résultat: des personnes en grande difficulté se sont tiré une balle dans le pied en votant pour sortir de l'Europe, dont les normes sociales sont pourtant plus protectrices que le libéralisme sauvage voulu par Theresa May et son camp." Deux lignes plus bas, on apprend que "le quartier a récemment fait l'objet d'une vaste réhabilitation en grande partie financée par l'Europe". Le directeur du centre social The Barn est très inquiet pour sa structure qui permet aux habitants du quartier de se retrouver, de se procurer vêtements et nourriture: comment garantir son fragile équilibre financier une fois que l'Ecosse ne touchera plus la moindre subvention de Bruxelles?
Mais est-ce là un argument pour rester dans l'U.E.? Un jeune du quartier explique qu'il a voté pour le leave: "Pourquoi? J'ai pas trop réfléchi. Ça m'a juste plu d'envoyer un doigt d'honneur à tous ces connards qui nous gouvernent. Et puis nous, on est déjà dans la merde de toute façon... alors ça va changer quoi?".
Choisir le Brexit, pour beaucoup, c'était comme voter pour les populistes: les discours simplistes et le rejet d'une idée qu'on se fait de l'élite l'emportent. Et tant pis si c'est finalement, comme le dit Darren McGarvey, pour faire le choix d'une solution pire.
"Comment peut-on prendre une décision aussi radicale alors que l'écart de voix était infime?, demande Damon Albarn. Voilà les limites d'une certaine forme de démocratie. Elle aussi doit être réinventée si on ne veut pas sombrer dans la démagogie... Les réseaux sociaux ont pris le pouvoir. En prétendant donner la parole à tous, ils n'ont fait que diluer la réflexion au profit de la désinformation. Il n'y a que l'éducation qui peut changer les choses." Il constate aussi que "aujourd'hui, des tas de jeunes en position de voter devraient subir le verdict d'une génération en bout de course!".

Pendant que les parlementaires britanniques rejettent systématiquement, les unes après les autres, toutes les solutions possibles et imaginables, en France, les Britanniques élus municipaux se désespèrent. S'ils perdent leur statut d'européen, ils ne pourront plus exercer un mandat qu'ils exercent avec passion, travaillant ainsi à leur propre intégration dans l'U.E. et à créer du lien entre Français et Britanniques établis en France. Nombre d'entre eux, pour rester européens, vont demander la nationalité française ou alors irlandaise, plus facile à obtenir (4).
Dans le même temps, des écologistes britanniques s'inquiètent (5): pendant que les parlementaires perdent leur temps à s'étriper autour du Brexit, le climat, dans l'indifférence générale, se dérègle. Plus encore que le Parlement de Westminster.

Note: voici ce qui arrivera en cas de "no deal": https://www.nouvelobs.com/monde/20190402.OBS10982/brexit-quelles-seraient-les-consequences-d-une-sortie-sans-accord.html

(1) Chanteur des groupes Blur, Gorillaz, The Good, The Bad and The Queen, auteur de Mali Music, etc.
(2) "Damon Albarn", Télérama, 20.3.2019.
(3) "Chroniques européennes", Télérama, 20.3.2019.
(4) France Inter, Journal de 9h, 2.4.2019.
(5) https://www.huffingtonpost.fr/entry/debat-brexit-militants-ecolo-nus-parlement_fr_5ca249ade4b09786986a924d?utm_hp_ref=fr-homepage

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