vendredi 12 avril 2019

Nouveau coup de David à Goliath

Ne laissons pas passer les occasions de nous réjouir. Elles manquent en cette période où les nuisibles triomphent les uns après les autres (même si Bouteflika et Al-Bachir viennent de tomber – mais on est loin d’être sûr qu’ils entraînent leur régime dans leur chute).

Parlons de la terre. De notre Terre.
Paul François (que nous avons eu le plaisir de recevoir à Lignac le 1er mars) a remporté hier une nouvelle victoire contre Monsanto.
La Cour d’Appel de Lyon a, à nouveau, affirmé la responsabilité de la firme américaine dans la grave intoxication dont a été victime le paysan charentais en 2004 et dont il continue à souffrir des conséquences. C’est la troisième fois qu’un tribunal lui donne raison en condamnant Monsanto.
Reste que ce dernier peut encore former un pourvoi contre cette décision et que la question de l’indemnisation n’est toujours pas réglée (1). Mais ne boudons pas notre plaisir: cette condamnation est une victoire pour lui et pour toutes celles et tous ceux qui se battent contre les pesticides.

Paul François est un homme qui force le respect. Hier (entendez jusqu’en 2004), il était, dit-il « accro aux phyto ». Comme la majorité des producteurs de céréales, il pratiquait l’agriculture intensive, persuadé alors que c’était le seul moyen de s’assurer des revenus suffisants, d’accroître les rendements pour nourrir son pays et l’ensemble de la planète.
Chaque printemps, il passait plus de deux cents heures à « nourrir » consciencieusement ses champs avec des pesticides.
C’est ce qu’il avait appris à faire à l’école. Tous les enseignants de la filière agricole répétaient que les pesticides sont indispensables pour éliminer mauvaises herbes, insectes, champignons, etc. Tout ce qui était considéré comme un fléau, un nuisible (pestis) qu’il faut tuer (cide – cædere). Les ventes des pesticides ont doublé dans les années 1990.
Nous étions « tous de parfaits petits chimistes, pas des agronomes », dit-il aujourd’hui. Le sol était devenu un désastre : « comme si on donnait à quelqu’un la même boîte de conserve à manger tout au long de l’année ».

Aujourd’hui, il n’est plus le même homme. Il ne l’est plus depuis le 27 avril 2004, quand, ouvrant une cuve restée au soleil, il prend en pleine figure une bouffée de Lasso, un herbicide produit par Monsanto. Il ressent aussitôt une impression de chaleur intense au visage, puis dans tout le corps. Il ressent des vertiges, des nausées, des difficultés à avancer, sa respiration devient difficile. Son épouse, infirmière, l’emmène aux urgences de l’hôpital voisin, dans le nord de la Charente. Il perd connaissance et est placé sous oxygène.
A partir de ce jour fatal, il multipliera les problèmes de santé et les séjours en hôpital. Et sait que sa vie est à tout moment suspendue à un risque de développer une maladie telle que Parkinson, Alzheimer ou un cancer.
Mais  il faudra longtemps pour qu’un lien soit établi entre ses graves problèmes de santé et l’inhalation de Lasso. Le voilà forcé de se rendre compte que « les produits qui dopaient (son) maïs avaient bousillé (sa) santé », que cette toxicité était connue, mais dissimulée, que l’omerta régnait alors, tant dans le milieu agricole que dans le milieu médical, sur les dangers des pesticides.

Première victoire judiciaire : en novembre 2008 (quatre ans et demi après l’accident), sa rechute est liée à son accident de travail et doit être prise en charge « au titre de la législation professionnelle ». L’assureur doit prendre en charge cette rechute. Jugement confirmé en appel fin janvier 2010. Le lien de causalité est établi entre ses troubles et l’herbicide de Monsanto. Selon son avocat, François Lafforgue, c’est une première en France devant une Cour d’appel.  Avant, de rares atteintes par les pesticides avaient été reconnues comme maladies professionnelles chez des agriculteurs.

Décidé à poursuivre le combat, il dépose plainte contre Monsanto. Son avocat découvre que le Lasso est interdit au Canada depuis 1985 pour « risque inacceptable pour la santé de l’homme » et a été retiré du marché belge en 1991 : « une activité cancérigène chez l’homme de l’alchlore n’est pas formellement exclue ». Ce qui n’a pas empêché le producteur de pesticides de continuer à vendre ailleurs ce désherbant tout en niant sa dangerosité.
Le Lasso sera enfin retiré du marché français en avril 2017, suite au retrait d’autorisation de l’alachlore par l’U.E. : « l’exposition résultant de la manipulation de la substance et de son application représenterait un risque inacceptable pour les utilisateurs ».

En mars 2011, Paul François crée l’association Phyto-victimes, pour venir en aide aux professionnels victimes de pesticides et pour « donner un supplément de sens à nos épreuves ». Une forme de résilience collective. Il passe ainsi de son statut de malade à celui de victime engagée dans une quête de justice et un combat contre les pratiques déviantes des fabricants de phyto.
L’association offre un accompagnement moral et juridique aux agriculteurs, viticulteurs, jardiniers, etc. dans leurs démarches pour la reconnaissance d’une maladie professionnelle.

Février 2012, le tribunal de Lyon donne raison à Paul François face à Monsanto, constatant « la réalité d’une intoxication provoquée par l’inhalation de Lasso ». La présence du solvant n’est pas mentionnée sur l’étiquette  et les précautions d’utilisation et de dangers potentiels sont passées sous silence.
En 2015, un jugement de la Cour d’appel lui donne gain de cause : Monsanto a failli à l’obligation d’information sur les risques liés à l’utilisation du Lasso. Les juges reconnaissent le lien de causalité entre le non-respect de l’obligation d’information et le préjudice subi par Paul François. Cassée suite à un recours de Monsanto, cette décision a donc été confirmée hier.

Entretemps, Paul François a converti en bio ses 160 hectares de cultures et a pu se rendre compte que ses rendements sont bons.  Il avait déjà constaté que la réduction des pesticides ne nuit pas, au contraire, à la productivité (une étude le prouve).  De plus, ses revenus ont augmenté :  le maïs bio est vendu 280 € la tonne, soit deux fois le prix du conventionnel sans le coût des pesticides.
Il s’est aussi rendu compte que, passant au bio, ses champs revivent, la nature revient : coquelicots, bleuets, abeilles, lièvres, odeurs d’humus. Les plantes sont plus saines. Plus question de guérir mais de prévenir.

Aujourd’hui, il veut encore aller au-delà et formule des propositions :
-       Créer un fonds d’indemnisation des victimes des pesticides (comme pour l’amiante) qui serait alimenté par les fabricants.
-       Fédérer les victimes de la chimie (au-delà de la seule agriculture) et inventer à l’échelle internationale la notion de crime d’écocide, pour atteinte grave à l’environnement.
Selon lui, l’agriculture de demain  doit fonctionner avec une rotation des cultures, une diminution des dosages de pesticides ou – mieux – une conversion à l’agriculture biologique. Seules 32.000 fermes (7% des exploitants) le sont actuellement. Il appelle aussi à rééquilibrer au niveau européen les aides à l’agriculture en faveur du bio et à multiplier les aides à la conversion.
« Ce combat n’est plus seulement le mien, écrit-il. Puisse ma victoire donner aux paysans de tous pays le courage de s’organiser, de lutter, de relever la tête. »

Suite à la nouvelle condamnation de Monsanto hier, Paul François a appelé les politiques à prendre enfin leurs responsabilités par rapport aux pesticides, rappelant que le président Macron, contrairement à ses promesses, n’a toujours pas interdit le glyphosate (2). 
Au même moment, ce même glyphosate vient d'être interdit par le Vietnam à cause de la toxicité de ce produit et de son impact sur la santé et l’environnement. Ce pays connaît le coût pour la santé de ses habitants de l’usage massif de défoliants: cinquante ans après, plus de trois millions de Vietnamiens souffrent toujours des conséquences de l’utilisation par l’armée américaine de l’agent Orange, commercialisé par Monsanto (3).

Autre info toute récente: Greenpeace a identifié le cours d’eau le plus pollué d’Europe: un ruisseau de Belgique coulant dans une zone d'élevage intensif. La concentration en pesticides y est de 94 milligrammes par litre et on y trouve 70 sortes de pesticides (dont 20 aujourd’hui interdites en Europe) (4).
Oui, le combat doit continuer.

When these seeds rise
They're ready for the pesticide
Then Roundup comes and brings in the poison tide
From Monsanto, Monsanto
Neil Young, "Monsanto Years", 2015

La plupart des informations de ce billet sont tirées du livre de Paul François et Anne-Laure Barret, « Un paysan contre Monsanto », éd. Fayard.


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