dimanche 14 juin 2020

Monarchie française

Ce soir, le président français va, une nouvelle fois, s'exprimer. Ce sera sa quatrième allocution depuis le début de la crise du Coronavirus. Emmanuel Macron va apparaître assis à son bureau de l'Elysée, précédé d'un extrait de la Marseillaise. Le moment sera solennel. Des millions de Français vont suivre son allocution. Pour aussitôt l'applaudir ou le conspuer. Les Français ont toujours eu un rapport très particulier à leur président, quel qu'il soit. Ils adorent l'élire et le détester.  
Dans les autres pays européens, c'est le premier ministre qui s'exprime, en général dans une conférence de presse, entouré d'autres ministres, voire d'experts. En France, le président est seul. Au sommet de sa pyramide.
Ci-dessous un extrait, à ce sujet, d'un projet de livre que j'avais écrit sur la démocratie.

« Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement  un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a créé un vide émotionnel. »[1] C’est Emmanuel Macron qui s’exprimait ainsi en 2015. Et, écrivait alors le journaliste espagnol Enric Gonzalez, « le retour du monarque républicain semble plaire aux Français ». François Hollande, en président normal, n’a pas plus convaincu que Nicolas Sarkozy, président énervé. De très nombreux observateurs de la vie politique française le constatent : la France ne s’est jamais remise de sa révolution et cultive une nostalgie de la monarchie. Les Français restent en attente, tous les cinq ans maintenant, de l’homme providentiel. Le président français est un roi élu. « La France, selon le journaliste allemand Thomas Schmid, est « une démocratie particulière : une espèce de monarchie élective républicaine. Cela s’explique en partie par le rôle que Charles de Gaulle, fondateur de la Ve République, a conféré au président, qui doit être le père, à la fois sévère et bienveillant, de la nation.. Il lui a ainsi octroyé une stature surdimensionnée, on pourrait même dire surhumaine. (…) Un président français doit être le plus haut représentant d’une collectivité démocratique et en même temps le roi de la République. C’est trop pour tout titulaire de la fonction. Le lien qui unit la démocratie et l’autocratie ne correspond plus à notre époque. Si la France profonde est aussi réfractaire au changement, c’est notamment à cause de l’illusion soigneusement entretenue qu’un bon président peut protéger ses citoyens des tempêtes du monde. »[2] 
Les Français attendent tout de leur président et d’abord qu’il les protége : qu’il préserve les commerces de proximité en milieu rural, qu’il soutienne les PME, qu’il améliore le taux de réussite à l’université, qu’il empêche les fermetures ou les délocalisations d’entreprises, qu’il redonne sa grandeur internationale à la France, qu’il lutte contre le terrorisme, qu’il soutienne les productions françaises, qu’il change tout en douceur…
Thomas Legrand , dans son ouvrage « Arrêtons d’élire des présidents », estime que « notre mode d’élection présidentielle abaisse le débat et infantilise la scène politique ». Il démontre combien les campagnes électorales présidentielles ne sont que combats de coqs qui ne font que cliver le pays, pousser des candidats à des promesses insensées et maintenir les citoyens dans l’illusion qu’une seule personne a la capacité de changer un pays. « L’élection présidentielle, écrit-il, devenait un mensonge, une supercherie, un déni de la réalité, un moment de fantasme de puissance. »[3]
L’éditorialiste de France Inter propose de continuer à élire le président au suffrage direct, mais en ne lui confiant plus qu’un rôle de représentation et de gestion de la politique étrangère et de la défense. Ce ne serait plus à lui de nommer le gouvernement qui procèderait dès lors du parlement.

Dans de nombreuses républiques, le président n’a qu’un rôle protocolaire, de sage au-dessus de la mêlée, de représentant de l’Etat auprès d’autres instances étrangères, de garant de l’unité nationale.
En Italie, le président a un rôle honorifique. Cette personnalité, au prestige reconnu, est élue par la Chambre des Représentants, le Sénat et des représentants des régions.
En Suisse, le président de la Confédération exerce des fonctions purement représentatives, et ce uniquement pendant une année au terme de laquelle il est remplacé par son vice-président.
En Allemagne, le président fédéral fait figure de pouvoir neutre, de gardien des valeurs morales, exerçant une charge essentiellement honorifique.[4]
En fait, ces présidents exercent quasiment le même rôle que la plupart des souverains des monarchies constitutionnelles d’Europe. A la différence notable que c’est à partir de leurs mérites et de leur expérience et non de leur sang qu’ils se retrouvent à exercer cette fonction et que celle-ci est limitée dans le temps.
(...)
Le système français, majoritaire à deux tours, amène les électeurs à un choix par défaut au second tour. Aujourd’hui, ce système semble avoir atteint ses limites.
« Les gens ne votent plus pour aux élections, ils votent contre, écrivait Paul Jorion un mois avant l’élection présidentielle de 2017. Et si l’on additionne l’extrême droite et l’extrême gauche, cela fait du monde. Je reçois des mails qui me disent :  si Jean-Luc Mélenchon n’est pas au deuxième tour, je vote Marine Le Pen. Ce drainage de la gauche vers l’extrême droite n’est pas terminé, et je ne suis pas sûr que ceux qui hésitent entre Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon se reporteront sur Emmanuel Macron, qui représente l’ultralibéralisme à visage humain. Il faudrait aussi que les politiques arrêtent de manier un langage séditieux, pas si éloigné de celui des années 1930. »[6]
Effectivement, ils furent nombreux, les Français à déclarer refuser de voter contre, mais, étrangement, on n’a entendu personne réclamer un changement du système. Un ancien élu Vert me disait que retirer aux Français  l’élection de leur président serait s’attaquer à la base de leur démocratie

Si les Français décident de conserver le principe de l’élection et de la fonction présidentielle actuelle, ils pourraient néanmoins changer radicalement le système : actuellement, il est arrivé que les électeurs éliminent dès le premier tour un candidat qui, de l’avis général (en tout cas majoritaire), avait des chances de l‘emporter au deuxième. On pense, par exemple, à Lionel Jospin en 2002. Absurde, n’est-il pas ? David Louapre, créateur de la chaîne Youtube « Les statistiques expliquées à mon chat », en fait la brillante démonstration dans une vidéo intitulée « Réformons l’élection présidentielle ! » et propose d’adopter la méthode du « jugement majoritaire » en attribuant à chaque candidat une mention sur une échelle qui en compte sept (de « à rejeter » à « excellent »). Celui qui obtiendrait la meilleure mention majoritaire gagnerait l’élection.[7] On peut penser que le président élu par ce système bénéficierait ainsi d‘un soutien beaucoup plus large des citoyens et que les candidats les plus populistes seraient rejetés.
Mais les Français peuvent-ils envisager d'abandonner le système actuel d'élection de leur roi? Ils adorent l'élire, puis le guillotiner.


[1]  Emmanuel Macron, dans un entretien en 2015, cité par Enric Gonzalez, El Mundo, 30.5.2017, in Le Courrier international, 8.6.2017.
[2]  « Un chantier titanesque attend le futur président », Thomas Schmid, Die Welt, 24.4.2017, in le Courrier international, 27.4.2017.
[3] Thomas Legrand, op. cit., p. 71.
[4]  http://www.arte.tv/guide/fr/072310-006-A/karambolage
[5] France Inter, 2 avril 2016, 7h55.
[6]  Télérama, 22.3.2017.

(Re)lire sur ce blog: "Donnez-nous un sauveur", 22.11.2019.
A voir dans Karambolage sur Arte, une séquence sur la conférence de presse présidentielle, un rite bien français: https://www.arte.tv/fr/videos/091140-015-A/karambolage/

2 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

Excellent et tellement vrai. Les Français ont un rapport hystérique à leur président : ils cherchent un maître sur lequel ils puissent régner. Mais l'affaire est ancienne (absolutisme royal,"Roi soleil", Napoléon, de Gaulle, Mitterand surnommé "Dieu"), profonde et irrigue toute la société, de l'aménagement du territoire à la vie intellectuelle et artistique. Il suffit de openser au culte de la personnalité de Lacan, à la divinisation du sociologue Bourdieu, au "grand philosophe", etc. A un niveau micro, la passage d'un refuge de montagne français à un refuge italien est très instructif. Dans le premier, sérieux et fanfaronnade, dans le second, chants, humour et modestie.

Philippe Dutilleul a dit…

Répondre à certains "maux" de l'Hexagone par la caricature anti-française ne fait pas avancer le débat... Que du contraire....