samedi 27 février 2021

Sainte Anastasie

L'ordre moral est de retour. Les néo-puritains veillent. Ils sont les gardiens du respect des convenances qu'ils ont eux-mêmes fixées et font la chasse à ceux qui contreviennent à leurs lois. En France, constate Christian Roux dans Le Devoir, "les annulations et les tentatives d'annulation de conférences sont légion". Il cite le chahut qu'a dû subir la critique Carole Talon-Hugon, auteure du livre "L'Art sous contrôle"; le refus de publication qu'a essuyé Yana Grinshpun, enseignante à la Sorbonne, pour n'avoir pas respecté les règles (totalement subjectives) de l'écriture inclusive ; l'annulation à Nantes d'une conférence de l'historien Thierry Lentz consacrée à Napoléon. Sont-ce les censeurs qui décident désormais des sujets qu'on peut aborder et de la manière d'en parler? Cette révolution néopuritaine est effrayante. D'autant qu'elle est soutenue par l'extrême gauche et une bonne partie de cette gauche qui se veut bienveillante et s'avère stalinienne.

Yana Grinshpun constate une "radicalisation progressive de l'espace universitaire". Christian Roux rappelle qu'en 2018 des chercheurs américains en avaient fait la démonstration par l'absurde. "Ils rédigèrent une vingtaine d'articles truffés d'enquêtes bidon et de statistiques bidouillées flattant tous dans le sens du poil les nouvelles idéologies radicales à la mode." L'un voulait démontrer la culture rampante du viol chez les chiens dont certaines races souffriraient d'une oppression systémique. Un autre défendait une astrologie féministe, queer et indigéniste pour supplanter une astrologie masculiniste et sexiste. Seuls six de leurs articles furent refusés par des revues de chercheurs, sept ont été publiés et sept autres en étaient à l'étape du comité de lecture quand la supercherie fut révélée. L'un d'eux reproduisait un extrait de Mein Kampf dans lequel les mots Juifs avaient été remplacés par Blancs. Il fut refusé, ce qui n'a pas empêché plusieurs universitaires d'en faire l'éloge. L'idéologie, constatent les auteurs de ce canular au goût amer, se substitue à l'étude des faits, les doléances et la victimisation entraînent une attitude compassionnelle qui emporte toute rationalité. Les néo-puritains aiment les tiroirs, les étiquettes et les barrières. Seuls, ceux qui souffrent (parce qu'ils souffrent, forcément) peuvent parler de leur souffrance, les autres - les Blancs, les hommes, les hétéros, tous dominants - sont tenus de se flageller en silence. "Les gender, ethnic ou post-colonial studies fonctionnent souvent comme si les femmes, les homosexuels ou les Noirs étaient seuls habilités à parler de ces sujets. Comme si leur parole était par essence sacrée et incontestable. Comme si elle échappait aux règles normales de la critique", constate Christian Roux qui rappelle que la critique est fondatrice de l'université, au moins depuis Montaigne, qu'elle est constitutive de tout travail universitaire, quel que soit le sexe ou la race de celui ou celle qui parle.

Si l'avenir est sombre, regrette l'historien Thierry Lentz, c'est à cause "de la mollesse générale de la société et des administrations". De nombreuses directions n'ont pas osé défendre leurs enseignants victimes d'une chasse aux sorcières, préférant faire profil bas pour éviter les conflits avec des étudiants qu'il faut désormais protéger de tout propos qui pourrait les perturber. "Dire qu'un étudiant est là pour étudier est presque un scandale, affirme Thierry Lentz, empêcher les interventions extérieures d'historiens ou de philosophes entre presque dans les mœurs." Et nous voilà à entendre, en France comme au Québec, souligne encore Le Devoir, la demande d'une loi pour protéger la liberté de parole à l'université. Un comble pour une institution où elle devrait être sanctuarisée.

(1) Christian Roux, "Battons-nous pour le droit de critiquer!", Le Devoir (Montréal), 12.2.2021, in Le Courrier international, 18.2.2021.

Aucun commentaire: