mercredi 10 février 2021

Changer

On aimerait être porteur de bonnes nouvelles. Mais c'est difficile. Le pire est devant nous. Même si la moitié nord de la France, la Belgique, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne grelottent en ce moment - comme c'était régulièrement le cas il n'y a pas si longtemps en cette période de l'année - la planète se réchauffe inexorablement. Météo France estime (1) que la France est menacée d’un fort réchauffement climatique, avec son lot de canicules et de sécheresses. On peut s'attendre, dans le pire des scénarii, à une augmentation des températures estivales moyennes de 6 degrés et une multiplication par 10 des épisodes caniculaires. “Toutes les observations recueillies à l’échelle planétaire confirment une accélération sans précédent du changement climatique”, affirme Virginie Schwarz, directrice de Météo France. Le pourtour méditerranéen atteindrait régulièrement les 50° C. Dans certaines zones des Alpes et des Pyrénées, la température annuelle moyenne pourrait augmenter jusqu’à 6 degrés. De quoi oublier la neige et le gel et voir disparaître totalement les glaciers. Avec, au passage, leurs risques de décrochage, comme ce fut dramatiquement le cas dans l'Himalaya il y a quelques jours. Les épisodes de sécheresse augmenteraient de 30 à 50% et on pourrait connaître chaque année jusqu'à 90 nuits tropicales, celles où la température ne redescend pas sous les 20 degrés et met à mal la récupération du corps humain.  L’intensité des pluies extrêmes pourrait également  augmenter, de même que les vents forts dans le quart nord-est du pays. Bref, on va déguster.

Suite à une plainte déposée contre lui par plusieurs associations de défense de l'environnement, soutenues par une pétition signée par 2,3 millions de citoyens, l'Etat français vient d'être condamné, même si ce n'est que symboliquement, pour “carence fautive” dans la lutte contre le changement climatique (2). La Justice estime qu’il a commis une “faute” en ne respectant pas ses engagements en la matière, notamment de réduction des gaz à effet de serre. Un récent rapport scientifique, rendu par le Haut Conseil pour le Climat en juillet 2020, constate une diminution des émissions de gaz à effet de serre de 0,9% entre 2018 et 2019, mais loin des objectifs de l’exécutif actuel. Le rythme devrait être d’une baisse annuelle de 1,5 %, et de 3,2 % à partir de 2025 pour atteindre la neutralité carbone en 2050, prônée par Emmanuel Macron, indique-t-il.

Mais l'Etat peut-il tout en la matière? Et qui est l'Etat? La majorité des citoyens a toujours d'énormes difficultés à s'inscrire dans cette lutte qui bouleverse nos chères habitudes et notre précieux confort. On a vu les Gilets jaunes se mobiliser contre un carburant plus cher, contre les limitations de vitesse, contre les péages sur autoroutes. On voit des conseils municipaux adopter des principes d'opposition aux éoliennes, mis sous pression par des électeurs que l'idée même de voir une éolienne rend hystériques. On voit les grands noms de la distribution - Amazon en tête - se remplir les poches grâce à la crise sanitaire actuelle. Qui les fait vivre? Pas les gouvernements, mais des consommateurs peu citoyens. Et pourtant, selon plusieurs enquêtes récentes, les trois quarts des Français et Françaises déclarent de plus en plus ressentir les effets du changement climatique. Surtout celles et ceux qui habitent les quartiers populaires des villes. "83% des Français reconnaissent avoir déjà réfléchi à l’avenir de la planète et de l’humanité, affirme une tribune publiée par le HuffPost (3), en projetant sur l’avenir une intensification des phénomènes d’aujourd’hui: dérèglement continu du climat et grandes catastrophes naturelles, avancée des déserts en France et migrations des populations, accroissement des inégalités et conflits autour des ressources, effondrement généralisé du vivant. (...) Les expériences du changement climatique sont très prégnantes dans les milieux les plus densément urbanisés. Face aux défaillances imputées aux politiques, les personnes rencontrées en appellent à des engagements écologiques, collectifs mais aussi individuels, pour encourager a minima une autolimitation des besoins et une déconsommation des pratiques. En bref, retrouver un certain sens de la mesure et de la limite écologique dans les manières d’habiter et de vivre."

Soyons de bon compte: les décisions évoluent. Exemple parmi d'autres, celui d'un projet de construction d'une autoroute de 41,5 km qui devait contourner Rouen par l'est. Le président de la Métropole, Nicolas Mayer-Rossignol, y était favorable lorsqu'il présidait l'ex-région Haute-Normandie, mais il a changé d'avis. "J'avais sous-estimé l'état de la planète, les conséquences dramatiques du réchauffement", a-t-il déclaré récemment. Lundi dernier, après plus de cinq heures de débat, le conseil métropolitain a décidé par 76 voix contre 43 et quatre abstentions de "ne pas financer" ce contournement où la circulation produirait 50.000 tonnes de C02 par an, soit 50 jours d'émission d'une zone de 700.000 habitants. (4)

Celles et ceux qui veulent poursuivre le business as usual sortent le slogan usé de l'écologie punitive. En quoi l'est-elle? Favoriser les transports en commun, les sources d'énergie renouvelable, l'agriculture biologique, une consommation et une mobilité plus responsables, le respect de la biodiversité, est-ce punitif? Ce qui l'est pour la planète et l'ensemble de ses habitants, c'est le capitalisme, la volonté de croissance perpétuelle avec son corollaire de production et de consommation sans fin. Ce qui est punitif, c'est la liberté absolue qui voudrait que chacun agisse exactement comme il l'entend. "La liberté, centrale dans la pensée des Lumières, estime la philosophe Corine Pelluchon (5), n'est plus celle d'un sujet moral individuel mais celle d'un sujet relationnel, qui accepte sa vulnérabilité, donc son besoin des autres, et ne cherche plus à fuir sa condition corporelle. Il assigne ainsi des limites à son bon droit en accordant sa considération aux humains autant qu'aux non-humains. La liberté n'est plus une abstraction hors-sol. Elle est investie (...), c'est-à-dire infléchie par ma responsabilité envers l'autre. Celle-ci implique que mon identité personnelle dépende de la manière dont je réponds à l'appel d'autrui comme à celui des autres vivants. Ce n'est plus l'affirmation de l'identité qui est la grande affaire de la vie, mais la responsabilité - qui est inquiétude pour l'autre et crainte que le monde commun ne soit détruit." 

(1) https://www.huffingtonpost.fr/entry/climat-la-temperature-moyenne-pourrait-fortement-augmenter-selon-des-projections-de-meteo-france_fr_601814d2c5b6bde2f5c1912c

(2) https://www.huffingtonpost.fr/entry/letat-condamne-pour-inaction-climatique-ce-que-ca-veut-dire_fr_601a6bd1c5b69137248e2155

(3) https://www.huffingtonpost.fr/entry/de-nombreux-francais-vivent-mal-le-rechauffement-climatique-et-ses-canicules_fr_601acd30c5b69137248edf34

(4) https://www.capital.fr/economie-politique/rouen-la-construction-dune-autoroute-de-contournement-en-passe-detre-abandonnee-1393504

(5) "Enfin responsables?", Télérama, 20.1.2021.


1 commentaire:

Bernard De Backer a dit…

En effet, les changements nécessités par la crise écologique dans ses diverses composantes (climat, biodiversité, déchets, ressources, mobilité..) doit se faire à la fois "par le haut" et "par le bas", sans oublier la dimension géopolitique. En démocratie "le haut" est en principe déterminé par "le bas", même si le premier ne suit pas toujours le second (et inversément).

Une variable qui est qualifiée par Stéphane Madaule dans Le Monde comme "le chaînon manquant du développement durable" est la démographie. Même si, selon des démographes, « la bombe P n’a pas explosée », la stabilisation démographique et le vieillissement de la population sont inéluctables. Or cette question est très sensible (relations nord-sud, géopolitique, etc.) et fait l'objet d'une sorte de déni. Combien de fois n'ai-je pas entendu des responsables politiques, des experts ou des journalistes se lamenter du "déclin démographique". Je me souviens, lors d'une conversation privée avec une responsable écologiste belge "de haut niveau", qu'elle me disait, alors que j'abordais la question : "Mais Bernard, je ne sais jamais quoi dire sur la démographie". Pourtant, cette question est à mettre en haut de l'agenda, avec toutes ses composantes. Je l'ai abordée à partir du cas du Japon (url sur mon nom, comme d'habitude)