vendredi 30 juillet 2021

Désaccordés

Les lecteurs de ce blog ne m'en voudront pas, j'espère, si je reviens une fois encore (je me tairai ensuite pendant deux semaines) sur cette opposition au passe sanitaire, mais elle prend de telles proportions, s'exprime de manière tellement stupide et violente qu'elle inquiète. A sa tête tentent de se faire voir et entendre notamment de petits leaders d'extrême droite qui peinaient jusqu'ici à exister médiatiquement et une députée qui nous démontre qu'être psychiatre n'empêche pas de sombrer dans la folie (1). Lors de manifestations samedi dernier, des pharmacies ont été agressées, des centres de vaccination détruits, incendiés. Les opposants au passe sanitaire traitent les membres du gouvernement de nazis et agissent avec les méthodes de ces derniers. C'est la haine qui s'exprime sans qu'on comprenne bien ce flot de fureur imbécile. Il n'est le fait que d'une minorité, mais une minorité qui fait grand bruit et grande casse. A tous points de vue.

A gauche aussi on s'oppose au passe. Il n'y a pas que le virus qui mute. Ainsi, la CGT et Lutte ouvrière, qu'on avait toujours crus à gauche, sont-ils devenus les porte-parole de l'ultra-libéralisme. Lors d'une manifestation récente à Châteauroux (2), qui a dépassé les espérances des organisateurs, la secrétaire départementale de la CGT de l'Indre affirmait que "le refus de la mise en place d'un pass sanitaire, ce n'est pas qu'une question de vaccination, c'est une question de liberté fondamentale et de démocratie", laissant entendre que chacun a le droit de faire ce qu'il veut de son corps. Loin de toute vision collective.

Le slogan féministe "Mon corps m'appartient" a été récupéré par des opposants nombrilistes incapables de comprendre que tout corps est aussi social. Pendant toute notre existence, rappelle le journaliste et écrivain Jean-François Bouthors (3), notre corps dépend de la solidarité nationale "par laquelle se déploie tout un réseau d’accompagnement : en premier lieu le système de santé, la sécurité sociale, mais ensuite tous les équipements sociaux qui nous facilitent la vie, depuis l’école jusqu’aux transports et réseaux de communication. On peut même y joindre à des degrés divers tout le maillage économique, qui permet de se procurer nourriture, vêtements, travail, logements, équipements, etc. Par conséquent, si nul ne peut disposer du corps d’un autre à sa guise, force est de reconnaître que nos corps n’existent que dans une interdépendance et l’écologie nous a appris que celle-ci s’étend à tout le vivant." Dès lors, aucun corps ne peut se prétendre pleinement autonome. "Il en résulte des responsabilités et même des devoirs, puisque ce que nous vivons individuellement retentit d’une manière ou d’une autre sur tous les autres. C’est particulièrement évident en matière de vaccination, et de façon non symétrique, puisque se faire vacciner ne retire rien à personne, tandis que ne pas le faire affaiblit la protection de tous face à la pandémie. Qui plus est, c’est aussi prendre le risque d’occuper un lit de réanimation dont pourrait avoir besoin un accidenté de la route ou quelqu’un victime d’un infarctus ou d’un AVC… Nier cette dimension collective du corps n’est pas seulement s’entretenir dans une illusion solipsiste et libertarienne, c’est défaire le long travail des générations précédentes, certes imparfait, mais considérable, pour tisser les liens qui permettent d’échapper à la fatalité, à la brutalité dont fait parfois preuve la nature, à tout ce qui fait aussi de l’homme un loup pour l’homme." (...) "Affirmer mon corps m’appartient pour s’affranchir des solidarités essentielles, c’est donc ouvrir grande la voie de toutes les régressions sociales, à tous les replis identitaires qui taillent en pièces la communauté nationale, alors même que ceux qui défilent ces jours-ci prétendent les combattre. C’est aussi donner raison par avance à tous ceux qui demain s’opposeront aux mesures les plus urgentes de lutte contre le réchauffement climatique, en se prévalant de leur liberté pour s’exonérer de toute contrainte."

Parmi les opposants au passe sanitaire, il y a ceux qui s'inquiètent du danger de l'injection de "chimie" dans leur corps, mais qui travaillent au quotidien avec des engins thermiques qui dégagent généreusement des gaz d'échappement très... chimiques. Ceux qui, pour le moindre déplacement, prennent leur voiture, sans aucun souci de la pollution qu'ils génèrent, mais qui, tout à coup, refusent un vaccin parce qu'ils se mettent à rêver d'un monde qui préserverait leur pureté. Comme s'ils n'avaient de leur vie ingéré aucun médicament, reçu aucun vaccin, respiré aucun air pollué. Comme si seul leur corps comptait.

Il y a quelques jours, un sénateur de la majorité, Claude Malhuret, médecin, raillait les antivax: "On nous a tous inoculé dès notre plus jeune âge le DT-coq-polio et depuis, Agnès Buzyn, cette autocrate, a rajouté huit vaccins obligatoires. Le carnet de vaccination, ancêtre du passe sanitaire, instaurait un contrôle généralisé de la population. Big brother avait décidé qu’aucun enfant, tenez-vous bien, ne pouvait entrer à l’école sans cet ausweiss pour parler comme notre collègue (il parle d'un élu RN-ex-FN). Notre droit le plus sacré à choisir la maladie plutôt que l’immunité était bafoué depuis Pasteur. Les Français eux-mêmes avaient intériorisé la servitude, pensant, comme Hobbes, que seul un Léviathan armé de seringues et d’aiguilles pouvait les sauver. Heureusement, comme Zorro, Facebook et Twitter sont arrivés, permettant à une avant-garde éclairée de se regrouper contre le totalitarisme vaccinal. Après que durant des années 11 vaccins nous aient été injectés à l’insu de notre plein gré, au douzième, bingo, nos yeux se sont dessillés, grâce à ces combattants de la liberté qui ont eu le courage de nommer l’infamie du passe sanitaire : apartheid pour Florian Philippot, coup d’Etat pour Asselineau, discrimination généralisée pour Coquerel, et ce soir enfermement généralisé pour Ravier ; étoile jaune ou Shoah pour les plus audacieux. En définitive la meilleure preuve des progrès de l’humanité, c’est qu’en 2500 ans nous sommes passés de Socrate sur l’agora à Francis Lalanne sur Facebook. Quel dommage que les réseaux sociaux n’aient pas existé plus tôt pour défendre contre les dictateurs de la piqûre la liberté de mourir en harmonie avec la nature et ses dons, parmi lesquels nos compagnons de toujours, la variole, la poliomyélite, la peste et le choléra qui ont permis aux plus grands auteurs, Camus, Giono, Thomas Mann ou d’autres, d’écrire les chefs-d’œuvres immortels de la littérature de pandémies. La variole a disparu, le COVID, lui, a des chances de survivre grâce à tous les résistants numériques qui exigent le droit d’attraper le virus et de le combattre, comme les Polonais de 40 contre les chars soviétiques, à la seule force de leurs poitrines et de leurs mains nues, et le seul secours de l’hydroxychloroquine, elle parfois renforcée par un médicament redécouvert : le Ricard. (...) Je voudrais, très sérieusement cette fois, implorer qu’on veuille bien cesser cette mauvaise querelle sur les libertés. Ce n’est pas le gouvernement, le pouvoir médical ou les partisans de la vaccination obligatoire qui les restreignent, c’est la pandémie. Loin d’être un viol de notre liberté, les mesures annoncées sont les conditions de son rétablissement. Vaccination accélérée ou confinement dans deux mois, voilà l’alternative qu’ont très bien comprise la grande majorité des français, qui réalisent que c’est en bornant quelques libertés aujourd’hui qu’on a une chance d’en sauver de bien plus précieuses en septembre. C’est donc ce que nous allons faire et ce choix ne fait pas du Président un dictateur mais un décideur. Il ne fait pas du Parlement un rassemblement de tyrans mais une assemblée de responsables. Cette décision est-elle difficile ? Elle est au contraire limpide. Le vaccin est une prouesse scientifique que des milliards d’êtres humains attendent désespérément d’obtenir. Quel gouvernement serait assez irresponsable pour ne pas le proposer à tous, le plus vite possible et protéger en attendant ceux qui ne le sont pas encore ? Il ne reste donc que des questions de méthode, ce qui ne les rend pas plus simples pour autant. Et d’abord fallait-il choisir la vaccination obligatoire pour tous ou le durcissement du passe sanitaire ? La première solution a l’avantage de nombreux précédents et de la simplicité du message. Son inconvénient est de ne pouvoir être achevée avant plusieurs mois alors que le temps presse. L’épidémie flambe de manière exponentielle. Les Chinois viennent de découvrir que la charge virale du variant delta est mille fois supérieure à celle des variants précédents. Et nous serons dans quelques jours à 40 000 ou 50 000 cas quotidiens. Le gouvernement a choisi le passe sanitaire, estimant qu’il sera mieux accepté et surtout qu’il est d’application immédiate, et enfin qu’il n’exclut pas, le cas échéant, la première solution. Si l’on se rallie à cette stratégie, et c’est mon cas, il nous reste donc à en préciser les contours."

Alors que le variant Delta fait repartir à la hausse les contaminations un peu partout, en Chine, aux Etats-Unis, en Thaïlande, au Sénégal, au Bangladesh et ailleurs, débordant les services de soin, des milliers de gens ne trouvent rien de plus positif et utile à faire que de manifester  contre le passe sanitaire, voire contre le vaccin. Que veulent-ils donc ces opposants ? Que leur gouvernement agisse comme Trump ou Bolsanoro qui ont totalement minimisé la gravité de ce virus avec les conséquences que l'on connaît ? Qu'a-t-il donc ce vaccin qui rend stupides ceux qui s'y opposent ? On se met à rêver d'un vaccin contre la bêtise, l'individualisme, la haine et la violence. Les leaders de cette absurde lutte antivax sont écœurants, mais ils nous font parfois rire, même si c'est jaune. Ainsi, Florian Philippot qui grâce à son passe sanitaire a pu aller en Italie manifester contre... le passe sanitaire. Ou François Asselineau qui vient d'être atteint par la Covid-19 et se soigne, dit-il, avec de l’ivermectine et de l’hydroxychloroquine «fabriquée en Chine», ce qui lui permettra de manifester ce samedi à Paris contre le passe sanitaire, qu'il juge «absurde, injuste et totalement liberticide», et de répandre ainsi le virus autour de lui. Et son venin.

Je suis le nombril du monde / Tu es le nombril du monde / Le nombril, le nombril / La Lune aussi est le nombril du monde / La Lune aussi est le nombril du monde / Je t'ignore, tu m'ignores / Norge

Post-scriptum du 1er août: https://www.liberation.fr/societe/indignation-apres-lagression-dun-pharmacien-a-montpellier-par-des-anti-pass-20210801_F4VT5SEH3BH55OUVELVMZ2FEJM/

P.S. du 12 août: https://www.huffingtonpost.fr/entry/vous-hesitez-a-vous-faire-vacciner-les-reponses-aux-questions-qui-vous-font-douter_fr_61126e5ae4b0710ba2e02803

https://www.marianne.net/agora/les-signatures-de-marianne/les-manifestations-anti-passe-sanitaire-ou-la-liberte-usurpee

Post-scriptum du 14 août: excellente tribune sur les fourvoiements de la gauche: https://www.nouvelobs.com/idees/20210814.OBS47507/tribune-la-critique-de-gauche-du-pass-sanitaire-se-perd-dans-une-impasse-confusionniste.html

(1) https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/07/27/du-masque-qui-ne-sert-a-rien-aux-vaccins-qui-ne-protegent-personne-martine-wonner-itineraire-d-une-deputee-sous-influence-complotiste_6089617_4355770.html

(2) https://www.lanouvellerepublique.fr/indre/a-chateauroux-le-pass-ne-passe-pas?queryId%5Bquery1%5D=57cd2206459a452f008b4594&queryId%5Bquery2%5D=57c95b34479a452f008b459d&page=30&pageId=57da5ce5459a4552008b469a

(3) https://www.ouest-france.fr/reflexion/point-de-vue/point-de-vue-corps-individuel-et-collectif-6d9f1858-ef82-11eb-b392-b52b571b94f4


(4) https://www.vosgesmatin.fr/sante/2021/07/25/il-demonte-les-antis-les-punchlines-du-senateur-claude-malhuret-ont-fait-le-buzz

1 commentaire:

Bernard De Backer a dit…

Bien envoyé. Il y a quelque chose de consternant chez les antivax et apparentés. Un mélange de bêtise affligeante, de haine et d'individualisme messianique et râgeur. De manière latérale, je dirais qu'il y a sans doute aussi une sorte de croyance quasi-religieuse et de rejet de la science médicale. Hier soir à "C'est dans l'air", Jérôme Fourquet faisait remarquer que la carte des antivax correspondait en partie (seulement) avec celle des néo-ruraux qui font de l'agriculture bio. Que l'on se comprenne bien : je suis un partisan du bio depuis plus de quarante ans et j'en mange tous les jours, mais je me méfie de la deep-ecology 2.0 pour qui "la nature" est une sorte de nouveau Grand Autre. Je connais deux ou trois personnes, des universitaires, qui ne veulent pas du vaccin et sont adeptes des huiles essentielles et du néo-chamanisme, pour faire court.