dimanche 14 août 2022

Rushdie et les sombres crapules

Il n'y a pas d'âge pour être un sombre salaud. C'est à quatre-vingt-sept ans que Khomeiny a proféré une fatwa contre Salman Rushdie appelant à le tuer. Et c'est, trente-trois ans plus tard, un autre sombre crétin de vingt-quatre ans qui l'a exécutée en poignardant l'écrivain (heureusement sans réussir à lui ôter la vie) . Le jeune agresseur n'a sans doute jamais lu Les Versets sataniques, à peine en a-t-il entendu parler. Sans doute lui a-t-il suffi de savoir que ce livre est prétendument islamophobe pour se transformer en assassin de la liberté d'expression et de création.

"Un nouveau mot avait été inventé pour permettre aux aveugles de rester aveugles : l'islamophobie", écrit Salman Rushdie dans sa remarquable autobiographie Joseph Anton (1). "Critiquer la violence militante de cette religion dans son incarnation contemporaine était considéré comme du fanatisme. Une personne phobique avait des positions extrêmes et irrationnelles, c'était donc elle qui était fautive et non pas le système religieux qui revendiquait plus d'un milliard d'adeptes à travers le monde. (...) Une religion n'était pas une race. C'était une idée, et les idées résistaient (ou s'effondraient) parce qu'elles étaient assez fortes (ou trop faibles) pour supporter la critique, non parce qu'elles en étaient protégées. Les idées fortes accueillaient volontiers les opinions contraires."

Pour expliquer l'agression de Salman Rushdie, le journal iranien Javan évoque aujourd'hui, (2) de manière totalement incompréhensible, comme si Khomeiny n'avait jamais appelé au meurtre, l'hypothèse d'un complot ourdi par les Américains : "Un autre scénario, c'est que les Etats-Unis veulent probablement propager l'islamophobie dans le monde". Alors que l'islamophobie si elle existe se nourrit des actes violents de tous ces fous furieux de Dieu. Une fois encore - air connu, on tente de faire passer l'agresseur pour la victime.
"Les manifestations, les mots de haine, les agressions sous couvert de défense, les menaces de ceux qui se prétendent menacés, le couteau affirmant qu'on cherche à le poignarder, le poing accusant le menton de l'avoir attaqué, tout cela devint familier, la grande hypocrisie malveillante de l'époque, a écrit Salman Rushdie (3). Même le prêcheur sorti de nulle part n'étonnait plus personne. De tels saints hommes bien peu saints surgissent tout le temps, issus d'une sorte de parthénogénèse pathologique, un bizarre tour de passe-passe qui transforme des nullités en sommités."

"Lorsqu'elle est combinée avec l'armement moderne, écrit encore Salman Rushdie, la religion, cette forme médiévale de déraison, devient une véritable menace pour nos libertés. Ce totalitarisme religieux a causé une mutation meurtrière dans le cœur de l'islam et nous en voyons les tragiques conséquences à Paris aujourd'hui. (note : après le massacre barbare de l'équipe de Charlie Hebdo) Les religions, comme toutes les autres idées, doivent faire l'objet de critique, de satire et, oui, méritent que nous leur manquions de respect sans avoir peur. (4)"

Pour tous les dangereux obscurantistes qui tuent celles et ceux qui ne pensent pas comme eux - et en particulier pour l'agresseur de Salman Rushdie assez lâche pour ne pas assumer son acte -, cet extrait des "Versets sataniques" de Salman Rushdie. Et qu'ils se grattent où ça les démange !
Parmi les palmiers de l'oasis, Gibreel apparut au Prophète et se retrouva en train de débiter des règles, des règles, des règles, jusqu'à ce que les fidèles puissent à peine supporter l'idée d'une autre révélation, dit Salman, des règles sur la moindre chose, si un homme pète, il doit se tourner vers le vent, une règle sur la main à utiliser pour se nettoyer le derrière. Comme si aucun aspect de l'existence humaine n'était laissé sans règlement, libre. La révélation - la "récitation" - indiquait aux fidèles la quantité de nourriture à manger, la profondeur du sommeil, et les positions sexuelles qui avaient reçu l'autorisation divine, et ils apprirent ainsi que la sodomie et la position du missionnaire étaient approuvées par l'Archange, tandis que la loi interdisait toutes les positions où la femme était au-dessus. Gibreel dressa en plus la liste des sujets de conversation permis et interdits, et indiqua les parties du corps qu'on ne pouvait pas gratter quelle que soit la démangeaison.

(1) Plon, 2012, p. 400.
(2) https://www.lalibre.be/international/amerique/2022/08/14/lattaque-contre-rushdie-est-un-complot-des-etats-unis-pour-propager-lislamophobie-dans-le-monde-selon-un-journal-iranien-GBUXADWPJJFK3K6EQRK5SSZALQ/
(3) Salman Rushdie, "Deux ans, huit mois et vingt-huit jours", traduction Gérard Meudal, Actes Sud, 2016.
(4) publié sur le site de l'English PEN, association d'écrivains qui défend la liberté d'expression, in Le Courrier international, 15 janvier 2015.
A lire :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/08/14/ce-qu-incarne-salman-rushdie-c-est-la-liberte-d-expression-face-a-l-islamisme-et-aux-fondamentalismes-et-il-l-a-payee-a-plusieurs-titres_6138000_3232.html
https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/08/13/attaque-contre-salman-rushdie-faire-front-contre-l-obscurantisme_6137951_3232.html
https://www.marianne.net/agora/les-signatures-de-marianne/de-charlie-hebdo-a-salman-rushdie-de-la-kalachnikov-au-poignard

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