mercredi 24 août 2022

Indignation sourde

L'indignation est-elle compatible avec la réflexion ? Nous voilà dans un temps où il faut s'indigner. De tout et de rien. De l'inaction comme de l'action. Beaucoup d'indignés tempêtent à tort et à travers, hurlant sans réfléchir. 
En Finlande, on trouve scandaleux de voir - via des images d'une fête privée qui n'avaient évidemment pas vocation à être diffusées publiquement - la première ministre danser.
La dernière polémique (à cette heure) en France concerne l'organisation d'activités de type Koh-Lanta à la prison de Fresnes. Le 27 juillet dernier, durant une demi-journée, trois équipes de dix membres chacune se sont affrontées amicalement : des détenus, des surveillants pénitentiaires et des jeunes de la commune de Fresnes. Elle se sont rencontrées dans des épreuves ludiques et sportives : quiz, tir à la corde au-dessus d’une piscine, karting. C'est grave, a tonné l'extrême droite, dont l'indignation a été reprise par une partie de la presse et tous les comptoirs de bistrots. 

Des détenus s'amusent comme une vulgaire première ministre finlandaise, voilà ce qui met hors d'eux les gens comme il faut. Les détenus devraient rester enfermés à ne rien faire, le temps de leur peine, voilà ce que pensent sans réfléchir les gens bien. Le Ministre de la Justice jure ses grands dieux qu'il n'a pas été informé des projets de la prison. Mais pourquoi devrait-il l'être, alors que des activités sportives et culturelles sont organisées très régulièrement, comme le prévoit la loi, dans les 187 centres pénitentiaires du pays (1) ? La sélection des détenus s'est faite dans les règles : "le comportement en détention et l’investissement dans une formation ou un travail sont pris en compte dans l’évaluation avant de pouvoir bénéficier d’une telle carotte, y compris pour des personnes incarcérées pour un crime" (2).
Eric Dupond-Moretti a cependant réaffirmé l’importance qu’il accordait aux activités en détention, que ce soit un travail, une formation ou une activité sportive ou culturelle. La prison, c’est « la sanction et la réinsertion », a-t-il martelé, tout en estimant - donnant raison à l'extrême droite - que le karting devrait être exclu des ces activités, sans qu'on comprenne pourquoi le ministre exclut celle-là plutôt qu'une autre.
De plus, le financement de ces activités n'a pas été "payé par le contribuable" mais a été intégralement pris en charge par l’association Unitess qui organise régulièrement des compétitions et des animations entre jeunes de cités et policiers pour récréer du lien.

Le président de l’Observatoire international des prisons, Matthieu Quinquis, estime cette polémique "choquante" et symptomatique des fantasmes que la société plaque sur les conditions de vie des personnes détenues (3).  "Le scandale , dit-il, ne doit pas venir de cette activité mais plutôt du quotidien des personnes détenues et des conditions de détention qui leur sont imposées chaque jour, dans de très nombreux établissements pénitentiaires, qui sont parfaitement connus et documentés et que le ministère de la Justice ne peut ignorer. La France est régulièrement condamnée par les juridictions françaises et européennes. Donc je suis scandalisé de voir que le garde des Sceaux préfère consacrer sa rentrée politique à cette polémique plutôt qu’à enfin mettre en œuvre les réformes qui s’imposent pour que les droits des détenus soient respectés." Il dénonce ces élus pour qui la prison doit se contenter d'enfermer  des condamnés comme s'ils devaient payer leur peine sans être préparés à une réinsertion et qui aiment présenter les centres de détention comme des centres de vacances. "Le quotidien des personnes détenues, c’est beaucoup d’attente et d’ennui, peu d’accès aux formations, peu d’accès au travail, peu d’accès aux activités socioculturelles. C’est beaucoup de temps vide. Et donc chaque fois qu’on peut le remplir pour projeter les détenus vers l’extérieur, il faut en saisir l’occasion."
Ceux qui ont créé cette polémique considèreront toujours que la prison ou même la peine de mort n’est pas suffisante. "C’est un refus de toute réflexion raisonnée sur ce que doit être la justice, ce que doit être une sanction, l’exécution d’une peine et la réintégration dans une société. Aujourd’hui, les politiques qui ont créé cette polémique s’appuient sur la peine que peuvent ressentir les victimes en voyant ces images. C’est de l’instrumentalisation pure et simple. C’est extrêmement regrettable car cela ne sert ni les intérêts des victimes ni des personnes détenues. Ni l’intérêt de la société." (...)  "Il faut que la société admette que toute personne qui entre en prison a vocation un jour à en sortir. Et qu’elle se pose la question de savoir dans quelles conditions elle doit sortir. Tout doit être mis en œuvre pendant la période d’exécution de peine, pendant l’incarcération, pour que l’on puisse tirer le meilleur de chacun et que les sortants de prison puissent aller vers des projets sérieux et crédibles de réinsertion."

Il faudrait pour cela que les indignés réfléchissent. Ce qu'empêchent leurs hurlements.

(1) C'est d'ailleurs pour cela qu'existent les Spip, les services pénitentiaires d'insertion et de probation.
(2) https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/08/24/eric-dupond-moretti-rend-publique-l-enquete-sur-l-affaire-du-karting-a-la-prison-de-fresnes_6138815_3224.html
(3) https://www.huffingtonpost.fr/life/article/karting-a-la-prison-de-fresnes-on-surfe-sur-des-images-d-epinal-qui-n-ont-jamais-existe_206829.html

1 commentaire:

gabrielle a dit…

Privation de liberté n'égale pas privation d'humanité.