mardi 3 septembre 2024

Devenir calife à la place du calife

On l'a déjà écrit ici et d'autres avec nous : la France a un curieux rapport à la démocratie. La fonction de président de la République y est décriée. A raison, tant le président ressemble à un monarque élu qui fait la pluie et le beau temps. Les parlementaires de tous bords demandent à exister face à un président omnipotent. Et les voilà qui laissent passer l'occasion, attendant de lui qu'il nomme un premier ministre, alors que, pour la première fois, l'initiative pourrait venir d'eux. Mais chacun reste coincé dans son rôle. Les élus attendent la décision du roi qu'ils critiquent, voire maudissent, alors qu'ils pourraient - ou auraient pu - prendre, pour une fois, les devants. Des parlementaires de différents bords auraient pu poursuivre sur la lancée du front républicain (seul vainqueur de l'élection, comme le relevait un analyste) qui, au second tour des élections législatives, a permis d'éviter la victoire de l'extrême droite. Ils auraient pu se concerter, négocier, trouver des compromis et couper l'herbe sous le pied de ce président aussi arrogant que maladroit en lui présentant un projet de gouvernement avec un programme négocié.
Evidemment, le processus serait inédit dans cette France qui cultive l'art de la conversation mais se refuse au dialogue. Les différentes composantes de la gauche se sont enfermées dans une union avec une France aussi insoumise qu'infréquentable par ses excès et ses prises de position nauséabondes et continuent à faire semblant de croire qu'on peut gouverner sans majorité. Le Nouveau Front populaire s'entête à vouloir confondre arriver en tête et être majoritaire. A gauche comme à droite, on se drape dans ses positions, considérant que tout compromis est une trahison de ses idéaux et de ses principes. Et pourtant, le compromis est l'essence même de la démocratie. Tout couple, toute famille, tout groupe d'amis, toute association, de nombreuses équipes de travail fonctionnent par compromis. L'absence de compromis s'apparente au contraire à l'autocratie. On touche ici aux contradictions de certains qui ne voudraient surtout pas qu'on leur reproche d'avoir laissé passer des projets contraires aux leurs, ce qui leur barrerait la route vers leur objectif principal : occuper enfin la fonction tant critiquée, devenir en 2027 président de la république.

A lire à ce sujet :
https://www.telos-eu.com/fr/les-trois-meprises-du-parti-socialiste.html
https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/08/25/un-accord-de-non-censure-serait-la-seule-issue-pour-sortir-de-la-crise-politique_6293871_3232.htmlhttps://www.lemonde.fr/idees/article/2024/08/27/une-situation-politique-inedite-et-dangereuse_6296753_3232.html

Post-scriptum :
Extrait d'un article du Monde du 13.9.2024 :
" « Si une discussion approfondie entre partis avait abouti à la rédaction d’un contrat de gouvernement, Emmanuel Macron n’aurait pourtant pas eu le choix : il aurait été obligé de nommer le chef de cette coalition à Matignon, analyse le constitutionnaliste Denis Baranger. Le problème, c’est qu’en France les élus semblent tout ignorer du mode d’emploi d’une coalition. »
Emmanuel Macron n’a pas semblé plus inspiré : s’il a invité les responsables politiques à bâtir des compromis, il a été incapable de renoncer à sa conception jupitérienne de la présidence."
https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/09/13/coalitions-politiques-un-blocage-francais_6316608_823448.html

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Tu as tout à fait raison !
La France râle, les médias critiquent, les autres pays se gaussent, les Jeux s'olympisent à qui mieux mieux, et rien ne se passe. Tout le monde reste paralysé.
Les résultats des élections sont pourtant bien nets dans leur flou total : Macron a perdu et personne n'a gagné. Ca oblige à composer, à négocier, à construire une majorité, ce que personne ne veut faire. Comme si, de manière atavique, fruit d'une Constitution sans doute obsolète, les femmes et hommes politiques français étaient dans l'incapacité d'ébaucher ne fût-ce que les prémisses d'une pensée dialectique. Non, non : c'est notre programme, tout notre programme, rien que notre programme !
La plus fute-fute reste Le Pen, qui joue un jeu intelligent. Elle tire les ficelles sans en avoir l'air. Et lorgne, comme finalement tous les leaders politiques qui n'en ont rien à cirer de l'état de l'Etat, sur le seul objectif valable, l'Elysée.
Dans ce pays qui a tué son roi, l'aspiration à en être le prochain reste bien vivace. Pour le plus grand malheur du peuple.

Bernard De Backer a dit…

Comme disait je ne sais plus qui : "La République n'a jamais été aussi belle que sous l'Empire". Je l'ai déjà écrit en commentaire de manière assez brutale, "La France n'est pas encore entrée en démocratie". Ce qui me frappe, c'est la récurrence du terme "absolu" ou "tout ou rien que", "tuer son roi pour le devenir", "Calife", etc.. Ce n'est à mon avis (un peu provoquant) pas sans rapport paradoxal avec la revendication de l'universalisme (français, bien évidemment). Mais c'est vite écrit, pas une thèse de doctorat... Le timbre-poste est trop petit !