mardi 24 janvier 2012

Les voix de leurs maîtres

Ils sont les gardiens de l'ordre social existant. C'est ce qui apparaît clairement dans le documentaire de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, "Les nouveaux chiens de garde" (1). Ces chiens de garde sont présentateurs des principaux journaux télévisés en France, éditorialistes en radio et dans la presse écrite. Ils peuvent changer de fonction, de média, de chemise ou de coupe de cheveux, jamais d'optique: hors le système libéral, point de salut. Ils invitent des experts économiques, toujours les mêmes, prêcheurs de réformes. Ces réformes, en général synonymes de perte d'acquis sociaux, les Français y sont réticents. Ce qui signifie qu'ils sont conservateurs, qu'ils ne savent pas évoluer avec leur temps. Ces experts sont aussi, la plupart du temps, administrateurs de plusieurs grands groupes économiques. Des entreprises qui pèsent lourd en bourse. Mais c'est sous leur fonction de chercheur ou de professeur qu'ils sont cités. Les journalistes oublient d'évoquer leur statut d'administrateur. Les journalistes sont des gens pressés. Tous ces experts économiques et politiques, d'une pseudo gauche ou d'une franche droite, débattent entre eux, pour dire qu'ils sont d'accord sur l'essentiel, sur l'économie, sur l'insécurité, sur la solidité et la flexibilité du système capitaliste. Ils jouent à je t'invite, tu m'invites, nous nous invitons. Ils se reçoivent les uns les autres dans leurs émissions. Chaque dernier mercredi du mois, ces membres du gratin politique, économique et médiatique se retrouvent dans un restaurant parisien. Ils n'y refont pas le monde, ils le protègent.
Ils sont l'élite, ont la délicate mission d'éduquer la masse, de rendre les cerveaux disponibles, de formater les esprits. Ce présentateur enjoint un éducateur social d'appeler les jeunes à cesser de brûler des voitures. Cet autre invite un syndicaliste à calmer ses troupes qui manifestent contre la fermeture de leur usine. Ils sont convaincus que le message de la télé est parole d'évangile. Ils veulent le bien de la France.
Le documentaire, au langage joliment ironique, est une adaptation du livre de Serge Halimi, au même titre, publié en 1997. Depuis, le système n'a pas changé, il s'est légèrement fragilisé. Ses thuriféraires sont juste un peu moins fiers. PPDA avait écrit que Halimi avait "une façon archaïque de voir le monde". Lui, on le sait, en a une vision moderne: il pique les textes des autres, trafique ses interviews. Il joue son rôle, il aboie sur les intrus, flatte ses maîtres.
La presse française est indépendante, objective et pluraliste. C'est qu'ils disent, s'offusquant qu'on puisse mettre en doute ces qualités. On est loin de l'ORTF du Général où le ministre Peyrefitte venait sur le plateau du JT expliquer comment il avait décidé que celui-ci serait dorénavant mené. Aujourd'hui, la presse française est aux mains de grands groupes économiques, appareil idéologique au service de la politique libérale, diffusant un message à la pensée unique.
Présentant Paul Nizan, qui avait écrit en 1932, "Les chiens de garde", Pierre Desgraupes estimait qu'il y avait assez d'écrivains agréables. "Ce qui nous manque, disait-il, ce sont des écrivains désagréables", plaçant Nizan parmi ceux-ci. Après la vision des "Nouveaux chiens de garde", on ne peut que regretter qu'il y ait trop de gentils journalistes aux dents longues. Et au profil bas.

post-sriptum: cet avis de Benoît Delépine (de Groland, notamment): " J'ai une télé chez moi où il n'y a que les chaînes normales et la TNT. C'est une caricature de télévision. De la télé comme à l'époque de Berlusconi en 80. C'est zéro. Minable. Qu'on le veuille ou non, il y a un vrai verrouillage intellectuel des médias en France. Il y a un sarkozyste dans chaque chaîne, chaque journal". (2)

(1) présenté au Ramdam Festival à Tournai ce 22 janvier
(2) "Et l'impolitesse, bordel?", Focus/vif, 23 décembre 2012

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