lundi 16 janvier 2012

Vieilles marmites

Dans la famille La Haine, je choisis la fille, Jeanne-Marine. Un sondage récent (1) nous apprend que près d'un tiers des Français seraient d'accord avec les idées du Front national. Un tiers des Français auraient le front bas, les idées courtes. On a du mal à le croire. L'extrême-droite a l'habitude d'affirmer qu'elle dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas (2). Ses représentants seraient juste des caisses de résonance. Mais pas de raisonnement. Ces bas parleurs pensent que le peuple est idiot, fait de cerveaux disponibles prêts à avaler les soupes les plus rances, que le simplisme, les boucs émissaires, le rejet de l'autre, le yaka fonctionnent bien dans une opinion publique désemparée. Yaka réinventer le franc, yaka renvoyer les étrangers chez eux, yaka (r)appliquer la loi du talion. Bref, la politique est chose simple pour qui veut ramasser des voix sans se fatiguer: yaka revenir en arrière. Car elle est là la solution: revenir à une bonne vieille France (ou une bonne vieille Flandre, une bonne vieille Hongrie, une bonne vieille Italie du Nord), quitte à réécrire et enjoliver l'Histoire.
Cependant, celle qui se prend pour la réincarnation de Jeanne d'Arc refuse de se retrouver étiquetée à l'extrême droite. Elle menace même de procès les journalistes qui l'y classerait. Une attitude courante à... l'extrême droite. "Mme Le Pen ne constitue nullement une rupture dans l'histoire de l'extrême droite, écrit Paul Klein (3). C'est parce qu'elle rompt avec son père, symbole de l'extrême droite pour nous, que nous ne le voyons pas. Mais si nous jetons un coup d'œil sur l'histoire de l'extrême droite, nous verrons que M. Le Pen en représente la tradition minoritaire, toujours perdante, et que sa fille en représente la tradition majoritaire, dynamique, moderne, et capable de renverser la République". Une tradition qui, selon Paul Klein, remonte aux années 1880 quand se sont mêlés socialisme, valeurs révolutionnaires, nationalisme, antisémitisme et xénophobie. Cette extrême droite, dit-il, on l'a retrouvée "florissante dans l'affaire Dreyfus, dans le PPF de Doriot ou le PNF de La Roque, tous partis qui ont connu un immense succès en France". On retrouve ce patchwork dans le fascisme et le nazisme, dit-il.
C'est dans cette tradition que s'inscrit Marine Le Pen, explique Paul Klein: "on dit qu'elle vole chez les autres. Rien de plus faux: elle réactive un héritage que son père avait remisé au placard. C'est lui, en fait, l'anomalie: en revendiquant la tradition marginale des contre-révolutionnaires, des intégristes et des collaborateurs, il s'interdisait de remporter jamais plus que des succès de feu de paille".
En fait, tout le talent de Marine Le Pen est là: se démarquer de son père tout en marchant dans ses pas. "Le FN de Marine Le Pen, écrivent Caroline Fourest et Fiammetta Venner (4), tient, comme celui de son père, un discours opportuniste, à double sonorité: laïque et républicain côté face, mais nationaliste et xénophobe côté pile. Il ne dénonce pas la mondialisation, mais le mondialisme (...), le libre-échange mais le libre-échangisme (...), l'intégrisme mais l'islamisation (...). (...) Au bout du compte, écrivent-elles, la France dont elle (la présidente du FN) rêve est à l'inverse de ce qu'elle promet. Non pas belle, forte et sûre. Mais craintive, divisée, isolée et en danger". Est-ce de cette France-là que rêvent un tiers des Français?

(1) lu sur www.rue89.com ce 12 janvier
(2) comme Laurent Louis, député belge, et ses consternantes et scandaleuses pseudo révélations sur Elio Di Rupo
(3) Charlie Hebdo, 9 novembre 2011
(4) Caroline Fourest et Fiametta Venner: "Marine Le Pen", Grasset, 2011

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