mardi 15 octobre 2013

Triomphe du café du commerce

Il est de bon ton de dire qu'on ne l'aime pas, qu'il déçoit. Ou plutôt qu'il a déçu. On en parle déjà au passé. François Hollande ne fait plus illusion, si tant est qu'il l'ait fait. Ce fut, en mai 2012, un choix par défaut dont aujourd'hui la plupart des électeurs français se défaussent. Ils ne voulaient plus du "teigneux monarque" (1) qu'était Nicolas Sarkozy, de son attitude rogue et suffisante, de sa vulgarité. Aujourd'hui, de  quoi rêvent-ils? D'un chef, un vrai, un fort un gueule? En tout cas pas d'un président trop normal, voire bonhomme. Avec Sarkozy, c'était "Au théâtre ce soir" tous les jours, le spectacle était permanent. Avec Hollande, c'est "Faut pas rêver".
Hollande perd des points dans les sondages chaque jour. Et les sondages mènent la France. Ils font la part belle à la fille à papa Le Pen.
Opinion publique (?) et médias s'accordent à dire que ce président est mou, que rien ne change, sauf l'espoir qui se désespère. Les Français sont grincheux et on ne le sait pas assez. Au point que le Journal télévisé de France 2 se sent obligé de leur donner la parole: "on va les écouter, cette France qui en a ras le bol, qui s'exprime. On ne les entend pas toujours", disait Laurent Delahousse le 22 septembre dernier dans le "13h15" (2). Et de donner la parole à  des réacs qui font le café du commerce à domicile. Dans son édition de demain, Charlie Hebdo exprime son "ras l'bol de la France qui en a ras l'bol". Ils râlent sur les impôts, sur l'insécurité, sur les jeunes, sur les Roms, sur les autres, sur le temps qu'il fait ou qu'il va faire. 
Et pourtant, même si on n'est pas hollandiste, on peut reconnaître au président normal et à son équipe quelques belles avancées. Le droit au mariage pour les couples homosexuels, malgré la résistance de réactionnaires particulièrement excités; la réforme annoncée du système pénitentiaire, qui tente de remplacer pour les peines les plus légères, la prison criminogène par une réparation qui ferait plus sens; les contrats de génération; les emplois d'avenir (des "emplois aidés" par les pouvoirs publics, critique l'opposition de droite, qui ne veut pas voir que c'est presque la seule solution en ces temps où le capitalisme, qu'elle défend, les supprime par milliers); le départ à la retraite facilité pour les carrières longues ou pénibles; l'interdiction du cumul des mandats; la création de huit mille nouveaux postes dans l'éducation (au déficit du secteur de la Défense qui perdra autant d'emplois); la garantie universelle des loyers. Bien sûr, il reste des motifs d'insatisfaction: une politique environnementale et énergétique à la traîne, le report sine die du droit de vote des étrangers, le redressement de l'économie, des projets aberrants comme celui de l'aéroport nantais...
Mais les avancées du gouvernement sont passées au bleu et le président est présenté comme inactif. Plantu, en première page du Monde de ce jour, le montre dormant sur ses dossiers. Une analyse populiste en quelques traits qui renforcent l'image. Car on est ici dans l'image, et presque uniquement dans l'image.
"La question principale, estime Denis Pingaud, conseil en stratégie d'opinion et de communication, auteur du livre L'homme sans com' (Seuil), est que les Français, particulièrement défiants vis-à-vis de leurs élites politiques, se mobilisent aujourd'hui autour de ceux qui leur paraissent les plus proches de leurs préoccupations par-delà même la pertinence de leurs propositions." (3) Derrière "ceux, il faut surtout voir "celle" qui  "paraît" ne pas appartenir à une élite qu'elle dénonce, elle qui est née avec une cuillère d'argent dans la bouche et qui sait, mieux que beaucoup d'autres, profiter d'un système qu'elle dénonce.
La politique est art du compromis et du dépassement de la complexité. Pour trop d'électeurs, elle est simple, voire simpliste, dans une société qui veut des réponses immédiates aux effets directement vérifiables. "Pour le gouvernement, dit Denis Pingaud, l'enjeu est désormais de faire comprendre le lien qui existe entre des décisions apparemment lointaines, macroéconomiques, souvent peu compréhensibles, et un quotidien proche marqué par l'angoisse du chômage et la peur du déclassement. C'est un exercice difficile qui suppose de quitter le seul registre de l'explication et de la pédagogie pour aborder celui de l'écoute et de la relation."


(1) expression de Patrick Rambaud dans "Tombeau de Nicolas Ier et avènement de François IV", Grasset, 2013.
(2) cité par Luz, dans Charlie Hebdo, 2 octobre 2013.
(3) La Nouvelle République, 15 octobre 2013.

2 commentaires:

gabrielle a dit…

Le 13H15 de Delahousse le dimanche est consacré - depuis avant la présidentielle de 2012 - à la série "Elysée, Matignon, Solferino". Soit un camping du Gard, une commune de Bretagne et un village landais.
Et c'est plutôt sympa.
La parole est donnée à la France "profonde", à des gens qui ne la ramènent pas, à ceux que l'on entend jamais sur les plateaux télé parisiens, à des personnes de toutes tendances politiques et de tous horizons professionnels.
Ils sont frais et bruts, ils ont plein d'idées et d'opinions, ils maugréent parfois, c'est sûr, mais existe-t-il des Français qui ne râlent pas?

Michel GUILBERT a dit…

Oui, j'en ai rencontrés. MaIs c'est vrai que les Français sont nombreux à se considérer comme râleurs. Le problème, c'est qu'on a de plus en plus l'impression que c'est la France qui râle qui mène le jeu aujourd'hui en France.