lundi 24 mars 2014

Le diable au corps

Voilà, on s'y attendait, on le craignait, le FN et la fille à papa Le Pen triomphent. Ils ont déjà gagné Hénin-Beaumont (1). Ils entendent bien prendre d'autres communes dimanche prochain.
La grande entreprise de dédiabolisation de l'extrême droite fonctionne bien, même si elle n'est que poudre aux yeux. Le racisme, l'antisémitisme, l'homophobie ne peuvent plus s'exprimer en public, mais dans les locaux, entre frontistes, ils ont la voix libres. Deux anciens militants, bernés par le discours de la cheffe, en témoignent dans un livre (2): en côtoyant d'autres militants, ils ont découvert "les propos racistes, homophobes, néonazis".
Un peu partout, ce parti présente de bien étranges candidats. Des malades d'Alzheimer, candidats contre leur gré; des centenaires dont on ne peut être sûr qu'ils seront toujours vivants le jour des élections; des femmes qui sont invitées à se présenter avec leur second prénom et sous leur nom de jeune fille; des candidats, à Morlaix notamment (3), "qui ne veulent ni se montrer, ni se faire photographier"; bref, des candidats malgré eux ou honteux de l'être pour un parti pourtant dédiabolisé.
Il y a les candidats étrangers, belges notamment, qui apportent leur soutien aux listes de cette extrême droite qui ne veut plus dire son nom. Même si le FN est contre le droit de vote des étrangers. Mais s'ils peuvent rapporter des voix, ils constituent sans doute une exception intéressante (4).
Et puis, il y a aussi des candidats qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales de la commune dans laquelle ils se présentent. Rien de grave, juste une impression de manque de sérieux, pour dire les choses gentiment. Mais l'écrire a valu à une journaliste de L'Indépendant un sms d'insulte de Louis Aliot, vice-président du FN et compagnon de la fille à papa: "je viens de signifier à cette pute de Michalac que dimanche je ne me déplacerai pas dans sa boutique", voilà le délicat message qu'il lui a envoyé. Par erreur, on le comprend (5). Le compagnon de la présidente du FN n'a pas encore été dédiabolisé. Il reste du travail.
La fille à papa se rengorge: "le seul adversaire du système, c'est le FN", affirme-t-elle (6). On ne peut, pour une fois, que lui donner raison. C'est le seul parti qui s'illustre autant en tripatouillant le système démocratique. Voilà qui n'empêche pas de plus en plus d'électeurs de penser, apparemment sérieusement, pour certains naïvement, pour d'autres cyniquement, que ce parti est celui du renouveau, différent de ce qu'il était du temps du père Le Pen.
La fille à papa donne l'image de cette évolution, mais "elle est plus dangereuse que lui, estime Nadia Portheault. On ne la voit pas venir, mais derrière, en coulisses, c'est du pareil au même" (2). 

Soyons de bon compte: ce système démocratique se met lui-même à mal et nombreux sont les électeurs dont on aimerait comprendre les critères de choix. Le slogan qu'on entend sans doute le plus, c'est "tous pourris". Mais comme ils sont aimés ceux qui sont traités de la sorte! Déjà douze maires qui ont quelques problèmes avec la justice ont été réélus (7).
Et on garde le meilleur pour la fin: cette candidate qui l'est sans l'être: elle se présente en n'ayant "aucune envie de commencer une carrière politique". Elle était tête de liste à Propriano en Corse, à la place de son mari, maire sortant mais inéligible jusqu'en mai. Elle ne connaît rien au programme, n'entend rien à la politique, ne comprend pas les questions qu'on lui pose. A chacune d'entre elles, elle répond qu'elle fera comme son mari a fait, même si le journaliste relève les erreurs du passé. Elle a été élue. A 69% (8).
Les électeurs, tous pourris.


(1) lire http://rue89.nouvelobs.com/2014/03/24/quand-steeve-briois-15-ans-jubilait-bus-rempli-dimmigres-250929
(2) Nadia et Thierry Portheault: "Revenus du Front", Grasset
(3) Ouest-France - édition Quimperlé, 17 mars 2014.
(4) http://www.lalibre.be/actu/international/un-belge-tete-de-liste-aux-municipales-francaises-532ab89b35707711f4ab4416
(5) http://www.lindependant.fr/2014/03/22/le-candidat-fn-derape,1862113.php
(6) La Nouvelle République, mars 2014.
(7) http://rue89.nouvelobs.com/2014/03/24/balkany-woerth-deja-douze-maires-delicatesse-justice-reelus-250925 
(8) http://www.lalibre.be/light/insolite/cette-candidate-incompetente-a-fait-69-532fdd2535709734f4195864 

3 commentaires:

Grégoire a dit…

Je partage l'analyse sur le FN.
A propos de cette candidate qui ne l'est pas vraiment, ne serait-ce pas quelque part une "bonne" idée? Les électeurs ont l'habitude d'avoir en face d'eux régulièrement des candidats qui accumulent les promesses pour se faire élire. Et tout à coup, ils ont à faire à une personne qui, finalement, par le total désintérêt qu'elle manifeste à l'égard de la fonction ne promet rien à personne et par définition ne devra rien à personne. Une simple citoyenne qui retournerai à sa place de simple citoyenne à la prochaine élection. La politique ne devrait pas être un métier, une carrière. Reste à croiser les doigts de tomber sur quelqu'un d'honnête et qui voudra bien se dévouer...
Etienne Chouard propose des tirés au sort, avec contrôles permanents, comme garde-fous.
Après-tout, ma belle-mère qui n'entend rien non plus à la politique a toujours su tenir les comptes de la famille, sans s'endetter inutilement, et en s'occupant de 4 enfants. Pourquoi ne ferait-elle pas une bonne ministre de l'économie?
Quand le président français est issu d'un parti qui est dirigé par un repris de justice (Harlem Désir a été condamné, le 17 décembre 1998, à 18 mois de prison avec sursis et 30 000 francs d'amende pour recel d'abus de biens sociaux) et que personne ne semble trouver à y redire, comment ne pas désespérer du monde politique?
Tout cela est provoquant de ma part, c'est mon humeur de jour...
Enfin, une petite citation de Pierre Desproges me vient à l'esprit. "S'il y a si peu de femmes en politique, ne serait-ce pas par le simple mépris qu'elles en ont?"

gabrielle a dit…

Ce qui énerve c'est que la gauche est, comme toujours, prête à constituer un front républicain pour contrer le FN, mais que la droite campe sur le "ni-ni" (mais n'hésitera pas sans doute à s'allier à certains frontistes).


Michel GUILBERT a dit…

D'accord avec Grégoire sur le fait que les élus devraient se succéder, faire deux mandats, puis céder la place. Pour éviter les professionnels qui ont absolument besoin, pour vivre, de se faire réélire. Et prennent dès lors des positions tièdes, quand elles ne sont pas populistes. Mais, même chez Ecolo, on a maintenant des pros de la politique, qui n'ont jamais fait et ne feront jamais autre chose. (C'est une des raisons qui m'ont amené à prendre mes distances avec ce parti, même si je crois, plus que jamais, à l'écologie politique.)
Mais pas du tout d'accord, avec l'exemple de cette candidate corse. Elle est juste là pour tenir au chaud la place de son mari qui n'a pas respecté les règles. On est là dans l'insulte vis-à-vis de la démocratie et de l'électeur. Et visiblement, il y a de nombreux électeurs qui adorent qu'on se foute de leur gueule! C'est comme si vous alliez assister à un concert et que, le soliste étant malade, il est remplacé par un de ses proches, qui joue pour la première fois de cet instrument et sait à peine déchiffrer la musique.
Sur les "repris de justice", on fait hélas, les mêmes constats partout: les électeurs, comme les fans de sport (cf Richard Virenque), adorent les tricheurs. Alain Juppé est le politique préféré des Français, alors qu'on sait qu'il fut inéligible. En Belgique, ils sont nombreux les politiques à être revenus au pouvoir après un passage par la case prison...