vendredi 21 mars 2014

Quand j'entends le mot culture

Les partis d'extrême droite n'aiment pas la culture. On sait pourquoi. Il n'est de bons électeurs qu'ignorants et soumis. Et ne regardant que leurs pieds. Des imbéciles heureux qui sont nés quelque part.

Jacques Bompard, qui en 2004 a quitté le FN (1), parce qu'il a été mis de côté par Le Pen père pour son soutien à Bruno Gollnisch (2), est maire d'Orange depuis 1995. Depuis, la Ville a perdu son label de Ville d'art et d'histoire. Mais le maire, avec la délicatesse qui semble le caractériser, estime  que "les Orangeois s'en tamponnent le coquillard". C'est que Jacques Bompard n'aime pas la culture, "les cultureux de gauche", "les spectacles pour sous-branchés". Aussi veut-il faire naître "une contre-culture populaire", faite de séances d'aromathérapie, de comédies de boulevard et même, excusez du peu, d'une œuvre de Jean-Pierre Pernaut, qui cultive quotidiennement sur TF1 la nostalgie de la vieille France. Le théâtre antique d'Orange accueille des reconstitutions de peplums et des rallyes de voitures anciennes. La grande entreprise de crétinisation qui est devenue l'affaire de la grande majorité des chaînes de télévision ne suffit pas. La culture n'est appréciable que si elle fait oublier leurs soucis aux braves gens, qu'elle les détend. Et puis surtout, il faut "faire plaisir au bon peuple", estime Jacques Bompard qui trouve "scandaleux le financement public du pipi-caca des spectacles d'Avignon, qui choquent le petit peuple et ravissent l'intelligentsia".
Le maire n'a jamais prétendu terminer le chantier de la médiathèque, initié par son prédécesseur socialiste. Il a placé devant le bâtiment un panneau dénonçant sa "laideur indéniable". L'adjoint à la culture n'entend soutenir que des spectacles français et classiques et a fait savoir au responsable du Théâtre du Sablier qu'il voulait que celui-ci lui soumette ses projets "pour approbation". Le cinéma d'art et essai n'a pas droit de cité à Orange. "Le maire a fait supprimer les projecteurs et dallé de béton les balcons de la salle municipale" qu'utilisait l'association cinéphile. Il a bloqué l'achat de certains livres par la bibliothèque et l'a contrainte à acheter des ouvrages de militants FN (3). Bientôt les autodafés?

A Forbach, en Moselle, des responsables culturels craignent le pire. Ici, c'est Florian Philippot, numéro deux du FN, qui est en embuscade. "Je suis là pour ouvrir les esprits, pas pour les fermer, estime Frédéric Simon, directeur de la scène nationale le Carreau. Ce n'est pas une insulte de vouloir se cultiver en dehors de la culture de masse et du prêt-à-penser." Mais il craint l'après-élections: "les deux listes de droite veulent ma disparition pour installer un théâtre de notables bien-pensant, et Philippot va nous rendre la vie impossible" (4).

Pour les partis autoritaires, notamment d'extrême droite, la culture n'existe qu'au singulier et se conjugue au passé. Elle ne nous projette pas, ne nous libère pas; elle nous tire vers l'arrière, nous arrime au sol qui nous a vu naître et n'est qu'outil au service d'un projet politique de "pureté" et d'abrutissement des masses.

Philippe Val, actuel directeur de France Inter, estime que "la civilisation, la culture est toujours composite, impure, négociatrice, c'est pourquoi elle a fini par produire une théorisation politique de cette impureté: la démocratie qui est, entre toutes, la bête noire de (ce qu'il appelle) l'espèce" (5).

"Considérer la culture comme un domaine parmi d'autres ou comme un moyen d'agrémenter la vie pour une certaine catégorie de personnes, estime Amin Maalouf, c'est se tromper de siècle, c'est se tromper de millénaire. Aujourd'hui, le rôle de la culture est de fournir à nos contemporains les outils intellectuels et moraux qui leur permettront de survivre - rien de moins." (6)

Hannah Arendt définissait la culture comme ce qui relie l'homme au monde, ce qui donne sens à l'existence humaine. "La société moderne, écrit Jean Fleury qui la cite (7), en valorisant la marchandise, c'est-à-dire l'utile et la fabrication, minore ce qui intègre vraiment l'homme au monde dans lequel il vit. L'homme produit et consomme de l'utilité et réduit ainsi les relations à des fonctions. (...) La culture est opposée à l'utilité. L'homme utilitaire ne peut avoir de jugement dans la mesure où il est soumis au cycle de la vie".

Les partis d'extrême droite, qu'ils s'appellent Front national, Ligue du Sud, Vlaams Blok ou Belang ou autres n'ont aucune envie que l'homme se relie au monde. Juste qu'il se replie sur lui-même, qu'il rie de ceux qui ne sont pas comme lui, qu'il n'ait aucun jugement, hors ceux qui mènent au rejet de la différence et surtout qu'il ne songe pas un instant à réfléchir. Il risquerait de comprendre, l'homme, que ce type de parti le prend pour un crétin.

(1) dont il est à nouveau proche à l'occasion des prochaines municipales - lire "Un FN identitaire malgré lui", Jean-Yves Camus, Charlie Hebdo, 19 mars 2014.
(2) "Le Front national expliqué à mon père", Charlie Hebdo, hors-série, janvier-février 2014.
(3) informations extraites de l'article "A Orange, pas de quartier pour la culture", Juliette Bénabent, Télérama, 12 mars 2014.
(4) "Forbach, ville minée", Olivier Milot, Télérama, 26 février 2014.
(5) Philippe Val: "Traité de savoir-vivre par temps obscurs", Grasset, 2007.
(6) Amon Maalouf: "Le dérèglement du monde", Grasset, 2009.
(7) Jean Fleury: "La culture", éditions Bréal, 2002 - Annah Arendt: "La crise de la culture - Huit exercices de pensée politique", NRF Gallimard, 1972.




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