lundi 18 avril 2016

Des bas

Alain Finkielkraut a été faire un tour avec son épouse à la "Nuit Debout" à Paris, histoire d'écouter ce qui s'y dit. Ce fut une mauvaise idée. Il s'est fait expulser sous les insultes, traité de "facho", de "connard", de "salaud". Il a répliqué en traitant ceux qui le chassaient de "fascistes" et de "pauvre conne" (1).
On voit par là que la culture d'Internet est passé du virtuel à la réalité, on sait s'injurier dans la rue aussi bien que sur la Toile. Que l'insulte est devenue un mode de communication tant pour ceux qui veulent refaire le monde que pour un néo-académicien. "Tandis qu'avec les formes disparaissent les égards envers l'autre empirique, le culte idéologique de l'Autre bat son plein. Le fascisme ne passera pas, mais la muflerie s'installe." Cette citation est tirée de "L'identité malheureuse", ouvrage d'un certain Alain Finkielkraut (2). C'est lui aussi qui cite ce texte de Libération  publié à l'occasion de son forum consacré en 2011 au respect: "Il faut être coupé des réalités pour ne pas voir que le lien social s'est étiolé, que nous ne savons plus dire bonjour, accepter l'autre dans sa différence et qu'à force d'accepter cette accumulation de petites indifférences, on se retrouve un jour avec une énorme masse d'incivilités qui débouche sur une société de plus en plus individualiste, violente, dans laquelle l'avidité a tendance à supplanter la fraternité." 
On voit aussi par là que la démocratie est un exercice difficile, que pour certains de ceux qui la défendent elle n'est réservée qu'à ceux qui pensent comme eux, ce qui - allez savoir pourquoi - la rend beaucoup moins séduisante.
Enfin, on voit que le qualificatif de fasciste est totalement galvaudé et que les années seront longues encore avant que le monde soit refait.

Pendant que certains se voient interdits d'écouter, d'autres sont interdits d'écrire. C'est - il en fut beaucoup question ici (3) - ce qui est arrivé à l'écrivain et journaliste Kamel Daoud, accusé d'islamophobie par un groupe de sociologues français pour avoir eu l'outrecuidance d'écrire que "le sexe est la plus grande misère dans le monde d'Allah". L'écrivain algérien vient de recevoir un prix de journalisme  (4) et s'est, à cette occasion, réjoui que "la francophonie se porte mieux que la cacophonie". Hier, dans son billet dominical (5), Antoine Perraud est revenu sur les attaques dont a été victime l'écrivain qui a décidé de ce fait d'abandonner le journalisme. Il le défend avec virulence face à ces "sociologues et anthropologues pas très brillants, voire complètement obscurs" à la "mentalité de chaisières dictant la bienséance politique". A la lecture de leur "texte niaiseux", il constate que "l'intellectuel sera reconnu à condition qu'il s'avère harki des flics de la pensée en métropole".

Dans ces deux cas, c'est la défaite du débat et de l'intelligence. Celle de l'écoute aussi et du respect.

http://www.lesoir.be/1183648/article/actualite/france/2016-04-17/alain-finkielkraut-expulse-par-nuit-debout-sous-quolibets-cette-democratie-est-u
http://www.huffingtonpost.fr/2016/04/18/alain-finkielkraut-nuit-debout-place-republique-paris_n_9721826.html?utm_hp_ref=france
A écouter: le blllet de Sophia Aram ce matin (8h55) sur France Inter.
(2) Stock, 2013.
(3) Sur ce blog: "Les fils des Joseph", 24 février 2016, et "Les fils des Joseph (suite)", 29 février 2016, et leurs commentaires.
(4) http://www.france24.com/fr/20160414-kamel-daoud-recoit-le-prix-jean-luc-lagardere-journaliste-lannee
(5) Le Monde selon Antoine Perraud, France Culture, 17 avril 2016, 12h45:
http://www.franceculture.fr/emissions/le-monde-selon-antoine-perraud
(4) A propos des Nuits Debout:
http://www.huffingtonpost.fr/caroline-fourest/nuit-debout_b_9658618.html?utm_hp_ref=france

3 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

Il faudrait refaire l'histoire du mot "fasciste" et "fascisme" pour comprendre comment il est arrivé à occuper la place d'un signifiant représentant le mal absolu (y compris pour désigner le fils de survivants de la Shoah - les parents de Finkielkraut -, qui l'utilise par ailleurs à son tour de manière quasi pavlovienne, comme un vieux gauchiste). C'était déjà le cas quand j'étais étudiant il y a 40 ans, je constate que c'est toujours le cas aujourd'hui (du moins dans certains milieux et dans une certaine partie du monde). On a beau avoir eu toutes les révélations implacables sur les meurtres de masse de bolchévisme ou du nationalisme turc et, plus récemment, de l'islamisme, il semble impossible de sortir de la magie hypnotisante de ce mot. Cela me laisse perplexe, même si je sais que des livres considérables, comme "Le passé d'une illusion" de Furet, ont retracé sa généalogie. Voir les humains de "Nuit Debout" penser avec des slogans qui sont comme de vieilles cuillères rouillées qui ont trempé dans toutes les bouches, a quelque chose de totalement désespérant. Que Finkielkraut, qui est à des années lumières d'être un imbécile et un "pseudo-intellectuel, cède, lui aussi, à cette invective (si j'ai bien compris) en rajoute une couche.

Grégoire a dit…

Malgré l'existence d'Internet, la visibilité sociale dépend encore souvent des médias "traditionnels" (TV, radio, magazines, journaux, etc.), lesquels donnent encore plus de temps de parole à un philosophe qu'on a déjà vu 1000 fois (ou à ces experts en quelque chose) plutôt qu'à un citoyen qui raisonne tout aussi bien et qui résonnerait tout bien... C'est une explication qui en vaut peut-être une autre, mais il se peut que la foule qui a vu arriver Alain Finkielkraut s'en soit prise plus au symbole qu'à la personne. Je doute que tous ceux qui l'ont traité de facho aient lu son oeuvre complète pour s'en faire une telle opinion. La première chose qui me soit venue à l'esprit fut une citation de Beaumarchais : "ne pouvant avilir l'esprit, on se venge en le maltraitant", mais je dois être un peu naïf... Quant aux insultes qui volent en escadrilles ces derniers temps, je m'étonne de l'absence de procès en diffamation. "Fais ton mouton et on viendra te tondre" dit un proverbe.
Quant à Michel Houllebecq, l'intérêt que lui portait Bernard Maris (oh, qu'il me manque...) est pour moi déjà une sorte de "garantie intellectuelle", même si j'attends d'en avoir lu plus pour m'en faire une opinion plus personnelle.
Le qualificatif de fasciste est en effet galvaudé, comme celui d'otage (surtout en période de grèves) ou comme celui d'islamophobe qui désigne, en réalité, quelqu'un qui a peur de l'Islam et non quelqu'un qui le hait.
Pour en revenir à Alain Finkielkraut, j'imagine que, blessé dans son amour-propre, voire de son orgueil de philosophe médiatique, il a réagi sous le coup de l'émotion. Cela me fait penser à la démarche, que l'on peut trouver discutable de Noël Godin (dit l'entarteur) qui provoque sa "victime" pour que l'on voie, à la réaction naturelle de celle-ci face à un événement imprévu, quelle est sa vraie nature. L'entarteur déclare ne s'attaquer qu'à l'image de personnes qui nous prennent de très haut, et qui méprisent les autres. Si je trouve Alain Finkielkraut souvent intéressant, il me paraît, de ce que j'ai pu entendre de sa part, cependant plus loin des préoccupations du français moyen que M. Onfray.
Ceci étant dit, bon week-end.

Bernard De Backer a dit…

Ce dernier commentaire m'inspire deux réflexions.

La première c'est de se demander pourquoi le mot "fasciste" a pris cette place quasi religieuse de désignation du mal absolu dans notre sphère culturelle. Il est d'autant plus curieux que ce soit "fasciste" et non pas "nazi", alors que le nazisme a été infiniment plus meutrier que le fascisme italien, et que si ce dernier a finalement déporté les Juifs, c'est parce qu'il a été entièrement aspiré dans la sphère d'influence nazie après l'affaiblissement de Mussolini. C'est très probablement (je n'ai pas les références sous la main) la rémanence d'une phraséologie soviétique qui, ayant gagné la guerre avec les alliés, s'est trouvée blanchie de ses propres crimes. Le mot "fasciste" désignant en effet, chez les soviétiques, le mal absolu (forcément lié au capitalisme, etc.), il a occupé cette même place chez les intellectuels de gauche européens. La situation ne semble guère évoluer, tant ce mot est gravé dans les esprits.

La seconde concerne la violence verbale et l'invective manichéenne. Je ne crois pas que cela soit très nouveau. Cela tient sans doute à la difficulté qu'éprouvent les humains de supporter le tragique de la condition humaine (au sens de l'intrication des contraires, du caractère ambivalent de beaucoup de choses...) et face auquel ils se construisent des "arrières-mondes", comme disait Nietzsche, et peignent l'univers en noir et blanc. Mais nous devons d'avoir l'intelligence et la force morale de tenter d'échapper à cela, tout en ne reproduisant pas le même méchanisme avec les "manichéens" comme boucs émissaires...

PS. Je me souviens d'une militante anti-raciste avec laquelle je travaillais. Lors d'un procès de "casseurs de bougnoules", elle me les montrait du doigt en disant : "Regarde ! Ce sont des racistes ! Ils ont vraiment des têtes de racistes !". Dans ce cas, bien entendu, le "raciste" quasi-biologique était devenu le "nègre" de ma collègue antiraciste...