jeudi 8 mars 2018

Quotidien de la femme

Cher.e.s ami.e.s,
je vous transmets cette information que vous pouvez réexpédier à celles et ceux autour de vous qui seraient intéressé.e.s: un appel/une invitation est lancé.e au.x musicien.ne.s et aux chanteu.r.se.s, tant professionnel.le.s qu'amat.eur.rice(re?).s pour former un orchestre inclusif. Les jours pairs, il sera dirigé par une cheffe (c'est un tirage au sort qui en a décidé ainsi), les jours impairs par un chef. Il rassemblera violonistes, violoncellistes, contrebassistes, cornistes, hautboïstes, clarinettistes, trompettistes, trombonistes, harpistes, pianistes, bassonistes et chanteu.r.se.s des deux genres et même des autres. La musique adoucit les genres. Les composit.eur.rice.s sont également invité.e.s à se porter candidat.e.s. Ceux et celles d'entre vous qui sont intéressé.e.s sont invité.e.s à envoyer leur candidature à Madame la Cheffe et Monsieur le Chef de l'Orchestre inclusif, 2 rue des Allié.e.s à Saint.e-Martin.e de Beaubourg/Belleville.  
Les candidat.e.s doivent savoir que, par souci d'équilibre, d'autres critères seront pris en compte: origine ethnique, corpulence, couleur (ou absence) des cheveux, quotient intellectuel, capacités et incapacités physiques. Les premières œuvres au programme de l'orchestre seront La Symphonie du Nouveau Monde d'Anton Dvoràk et la Nonette pour cordes et vents de Louise Farrenc.

On le voit, l'écriture inclusive (poussée ici dans ses excès, je le reconnais volontiers) est illisible. Et d'autant plus absurde que l'équivalent est impossible oralement, à moins de tenir un discours encore plus abscons. Tant de gens (hommes comme femmes, précisons-le) rencontrent déjà beaucoup de difficultés à se faire comprendre dans cette langue extrêmement complexe et réglementée qu'est le français. La (tentative de) lecture de commentaires postés sur de très nombreux sites d'information en témoigne. Que veut dire le commentateur? A qui s'adresse-t-il? Ne compliquons pas l'écriture sous le louable prétexte d'assurer l'égalité des genres.
Même les secrétaires de rédaction du mensuel féministe Causette avouent rencontrer certaines difficultés à se mettre d'accord sur l'application de l'écriture inclusive (1).
"La langue, c'est d'abord le reflet de la parole, rappelle le linguiste Louis-Jean Calvet. Une modification écrite qui entraîne un changement de prononciation, ça ne s'est jamais vu dans aucune langue. Il y a ici une double illusion: celle selon laquelle on peut changer la langue par l'écriture, et celle selon laquelle on peut changer les rapports sociaux avec la langue." (2)
Il fut un temps où, dans la langue française, était appliquée la règle de proximité ou de nombre.
"Ces trois jours et ces trois nuits entières", écrivait Racine dans Athalie. "Le cœur et la bouche ouverte", recommandait d'écrire le grammairien Claude Favre de Vaugelas en 1647.
Mais "l'accord de proximité fut peu utilisé", affirme le linguiste Alain Rey, qui estime que la malédiction du français est de ne pas avoir de neutre (2).
On peut aussi s'amuser de constater que "une grande crue est un désastre et un grand cru une merveille" (3). Ou relire ce vers de Jean Genet: "Les folles amours de la sentinelle et du mannequin" (2). Parfois, il est elle et elle est lui.

Finalement n'est-ce pas se tromper de champ de bataille que de porter le combat pour l'égalité sur le terrain de l'écriture? Aux Etats-Unis, dire African Americans plutôt que Blacks n'a en rien amélioré leur situation, constate Louis-Jean Calvet.
C'est sur la place des femmes dans la société qu'il faut travailler, la possibilité pour les filles, partout dans le monde, d'aller à l'école, de se former à toute profession. Travailler à l'égalité des salaires, à l'éducation des garçons au respect des filles et des femmes (il faut passer, propose Causette, de "Balance ton porc" à "Eduque ton porcelet"). Et tout cela passe aussi par la langue, par le nom. Par la féminisation des noms de fonctions et de professions. Par le respect du nom de naissance des femmes.

"La Communauté de communes de la Marche berrichonne vient d'accueillir un premier médecin salarié dans son centre de santé. Le docteur Jouda Karboub est d'origine tunisienne, mais est diplômée de l'Université d'Amiens, et elle a déjà exercé quatorze ans en France." (4) Le docteur est diplômée, lit-on. Curieux accord si on veut respecter les règles du français. Un sujet masculin ne peut avoir un adjectif féminin. Surtout qu'existent les termes doctoresse et même docteure. L'Assemblée nationale française impose désormais et logiquement de dire Madame la Ministre, Madame la députée, Madame la Rapporteure. Certains esprits conservateurs considèrent qu'on ne peut appeler Madame la Maire la femme qui occupe cette fonction, parce que cette appellation désigne l'épouse du maire. Il faudrait donc selon eux l'appeler Madame le Maire. Ils sont restés empêtrés en un temps où aucune femme n'exerçait cette fonction. Maintenant qu'elles sont nombreuses à le faire, comment faudrait-il alors appeler leur mari? Pas Monsieur le Maire, on croirait alors que c'est lui qui occupe la fonction. Faudrait-il donc dire Monsieur la Maire? Il suffit simplement de ne pas qualifier de maire son conjoint ou sa conjointe, ce qui n'a aucun sens. La langue suit l'usage, n'en déplaise au vieux député Julien Aubert (39 ans) que cette féminisation insupporte (5).

Première forme de l'existence et de la reconnaissance: le nom de famille.
Que les femmes gardent leur nom semble être une évidence, un premier signe de respect. Mais curieusement, ce ne semble pas être une revendication en France. Parcourir la rubrique nécrologique dans les journaux français, c'est découvrir la manière dont les femmes sont traitées aujourd'hui encore dans le pays des droits de l'homme. On y annonce la mort de "Madame Jeanne Legrand, née Dupont", parfois même de "Madame Jeanne Legrand", sans autre précision. A lire l'avis mortuaire, on comprend qu'elle était l'épouse ou la veuve de Pierre Legrand. Quelqu'un qui l'ignorerait et l'aurait connue avant son mariage ne peut savoir qu'il s'agit de Jeanne Dupont. En se mariant, tant de femmes françaises perdent leur nom. Le magazine Causette avait un jour publié la photo d'une tombe portant l'inscription suivante: "Ici reposent Pierre Legrand et son épouse". La tombe de l'épouse inconnue.
En France, une femme qui veut être inscrite sous son nom de naissance doit souvent se battre avec l'administration, les banques, différents organismes qui, d'emblée, la baptisent du nom de son mari. Le mariage fait perdre à la femme la base même de son identité: son nom.

Restent les signes qu'envoient les religions sur la place qu'elles attribuent aux femmes: inférieure.
Le voile est un marquage d'impureté et de soumission. La burqa est pire encore: la femme n'est pas montrable.
Les religions musulmane et catholique sont dirigées exclusivement par des hommes. Dans cette dernière, les femmes, même religieuses, n'y ont qu'un rôle subalterne. De bonniches même. Je m'étais, ici-même, il y a plusieurs années (7), effrayé de voir des jeunes femmes catholiques intégristes consacrer leur vie à "décharger les prêtres des soucis matériels tels que: cuisine, couture, ménage, les rendant ainsi plus libres pour accomplir leur ministère". Et voilà qu'on découvre que des religieuses, dans l'Eglise considérée comme moderne, sont confinées aux mêmes tâches au Vatican. "Certaines religieuse se lèvent bien avant l'aube pour préparer le petit-déjeuner de hauts prélats et ne vont se coucher qu'une fois le repas du soir servi, la maison rangée et la lessive et le repassage faits", rapporte l'Osservatore romano (8). Et ce pour un salaire arbitraire et souvent très modeste. Selon une religieuse, derrière tout cela se cache l'idée que dans l'église catholique un prêtre est tout et une nonne rien.

L'écriture inclusive ne sera qu'illusion tant que la femme sera la bonniche de son seigneur et maître, qu'il soit époux, compagnon, frère ou prélat.

(1) "Ecriture inclusive - Cauchemar en cuisine", Causette, décembre 2017.
(2) Romain Jeanticou, "Un . de discorde", Télérama, 20.12.2017.
(3) Marianne, 2.2.2018.
(4) La Nouvelle République - Indre, 3.2.2018.
(5) http://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/2017/12/06/37002-20171206ARTFIG00095-madame-la-deputee-l-assemblee-continue-la-feminisation-des-titres.php
(6) En Belgique, les avis nécrologiques annoncent le décès de " Madame Jeanne Dupont, épouse (ou veuve) de Monsieur Pierre Legrand" et les veuves conservent (ce qu'on appelle encore trop souvent) leur nom de jeune de fille
(7) (Re)lire sur ce blog "Belle jeunesse", 2.12.2012.
(8) http://www.lalibre.be/actu/international/au-vatican-des-nonnes-travaillent-comme-des-esclaves-pour-le-compte-de-certains-prelats-5a987566cd702f0c1a1428ad

2 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

Parfaitement d'accord en ce qui concerne l'écriture inclusive, avec toutes les nuances. Le point-milieu est franchement détestable. Imprononcable, moche, inutile.

Mais outre les excellents commentaires que vous répercutez et le débat qui a traversé la presse et une partie de l’opinion, il y autre chose qui m'inquiète : cette volonté peremptoire d'imposer "d'en haut" une sorte de pureté égalitaire qui devrait plutôt venir d'en bas, des évolutions sociales de la langue et des usages. Cela me rappelle de mauvais souvenirs. Une forme de terrorisme intellectuel culpabilisant qui sépare les “bons progressistes” des “affreux réactionnaires”. L’usage de l’écriture inclusive devenant dès lors le marqueur du progressisme…

En ce qui concerne les nécrologies, j'ai vu récemment apparaître une ancienne sénatrice Ecolo (Thérèse Snoy) sous le prénom et le patronyme de son mari dans une nécrologie de La Libre Begique. Cela m'a sidéré et en même temps instruit sur la forces des modèles familiaux, notamment dans la noblesse belge.

Anonyme a dit…

Pas si folles ces amours, bien que brûlantes, puisque finalement la sentinelle monte la garde tandis que ce mannequin, un hermaphrodite qui a débuté en tant que majordome puis devint un cinéaste, fut un excellent professeur puis un docteur réputé, s’est essayée ( ?) à la politique et fut un maire apprécié.

Jean