vendredi 30 mars 2018

Antisémitisme, territoires et intelligence

Elle était rescapée de la rafle du Vel' d'Hiv' en 1942. Son mari, lui, avait survécu à la Shoah. Elle avait 85 ans, était malade et handicapée. Et voilà qu'elle est assassinée chez elle par un jeune voisin pour la seule raison qu'elle était juive (1). Comme Sarah Halimi un an auparavant, Mireille Knoll a été victime d'un antisémitisme qui ne cesse de croître. Jusqu'ici dans une certaine indifférence. Comme si c'était inéluctable, comme s'il fallait, même douloureusement, s'en accommoder. Les Juifs de France représentent moins d'1% de la population mais sont victimes d'un acte raciste sur trois commis dans ce pays.
C'est une vieille, une trop vieille, une trop triste, une trop répugnante histoire, l'antisémitisme. Il a gangréné tous les milieux dans tant de nations depuis la nuit des temps. A l'époque de l'affaire Dreyfus, même un Jean Jaurès fut d'abord "hostile à ce Juif riche et protégé par l'argent", avant de reconnaître son erreur (2). 
Le revoilà donc de retour en force, les juifs étant attaqués parce qu'ils seraient tous riches et/ou responsables de la situation des Palestiniens. La bêtise mène à la violence. Et elles sont entretenues par certaines franges de l'extrême droite et par l'islamisme.
"Nous savons, écrit le politologue Jean-Yves Camus, qu'il existe une forme d'antisionisme qui démonise les juifs et attise la haine, comme il existe une montée du fondamentalisme musulman dans nombre de nos villes. (...) Il faut rappeler que la règle de droit s'impose à tous sans exception dans la France laïque. Pour le faire avec succès, il faut arrêter l'hypocrisie: ce nouvel antisémitisme est-il propre aux banlieues, aux populations issues de l'immigration, a-t-il un lien avec la culture musulmane? On ne doit plus éluder les réponses." (3)
Ne se sentant plus en sécurité, de nombreuses familles juives en arrivent à placer leurs enfants dans des écoles privées, voire à quitter la France pour Israël. "Nous en sommes arrivés à des logiques de territoires qui s'inscrivent dans l'urbanisme, le logement, les loisirs. C'est une logique qu'il faut casser et ce n'est pas une mince affaire: les enfants juifs quittent aussi le public (l'enseignement public) parce qu'il existe des secteurs où ils n'y sont plus en sécurité, sinon physique, du moins psychologique."
Et à force de ne plus se connaître, de ne plus se rencontrer, on renforce les clichés assassins.
Les antisémites qui confondent, sciemment ou non, antisémitisme et antisionisme, juifs et Israéliens, Israéliens et gouvernement Netanyahu (les mêmes qui crient "pas d'amalgame!" quand l'islamisme est rendu coupable de crimes), qui s'en prennent aux Juifs pour défendre les Palestiniens ne se rendent pas compte qu'en rendant aux Juifs la vie impossible, ils les poussent à s'exiler en Israël, où ils vont le plus souvent s'installer dans des colonies, des terres prises aux Palestiniens. A quoi reconnaît-on un imbécile? A son incapacité à imaginer les conséquences de ses actes. Les antisémites sont stupides. Le chacun chez soi ne fait qu'aggraver les tensions entre communautés.
Mais Francis Kalifat, le président du CRIF, le Conseil représentatif des institutions juives de France, entretient les mêmes confusions en s'opposant à la présence, dans la récente marche blanche contre l'antisémitisme, des représentants de la France insoumise, sous prétexte qu'ils prônent le boycott d'Israël. Que vient faire ici, dans une manifestation contre l'antisémitisme en France, Israël et sa politique, critiquable, vis-à-vis des Palestiniens? Associer tout Juif au territoire israélien, c'est participer aux mêmes raccourcis que les antisémites.
Dans le même temps, les locaux de l'Union des étudiants juifs de France à la Sorbonne ont été saccagés et leurs murs tagués de slogans haineux et antisémites. "A mort Israël", "Vive la Palestine", pouvait-on notamment y lire (4). Le fait, à nouveau, d'esprits faibles qui ne voient le monde qu'en noir et blanc: les Palestiniens sont le bien, les Israéliens le mal. Et tant pis si le Hamas, organisation islamiste au pouvoir à Gaza, est une plaie pour son propre peuple. Et tant pis s'il y a de vrais démocrates en Israël qui cherchent inlassablement une solution à ce vieux conflit. Si même à la Sorbonne, temple de l'intelligence, certains en viennent à (si peu) réfléchir de la sorte en classant les bons et les méchants, il y a lieu de s'inquiéter.
La lutte contre l'antisémitisme nous concerne tous, c'est un combat contre la bêtise et la haine, contre la territorialisation et les étiquettes, contre les analyses imbéciles. Et pour le vivre ensemble.

(1) https://www.huffingtonpost.fr/2018/03/27/meurtre-de-mireille-knoll-a-paris-deux-suspects-mis-en-examen-pour-homicide-volontaire-a-caractere-antisemite_a_23396102/?utm_hp_ref=fr-homepage
(2) Jean-Denis Bredin, L'Affaire, Julliard, 1983, cité par Mohamed Sifaoui, L'Insoumission, Plon, 2017 (p. 356).
(3) Jean-Yves Camus, "Qui casse du juif?", Charlie Hebdo, 7.2.2018.

1 commentaire:

Grégoire a dit…

"Israel et la Palestine" ou comment plomber l'ambiance d'un repas de famille ou d'une tablée de collègues... A un collègue, justement, qui critiquait la façon dont Israël tenait compte de la population palestinienne, territoires occupés, etc. Je lui faisais remarquer que nous ne vivions pas là-bas et qu'entre ce que les médias pouvaient ou voulaient bien nous montrer et le vécu sur place, il y avait très probablement une marge. Je lui faisais aussi remarquer, car c'est de notoriété, que depuis deux mille ans, les juifs sont persécutés ou assassinés au seul motif qu'ils sont juifs, sous des tas de prétextes fallacieux et que le seul moyen qu'il leur restait pour être en sécurité quelque part était sans doute d'avoir un pays bien à eux, où ils ne seraient plus l'éternelle minorité persécutée. A ceux qui m'ont dit qu'ils ne comprenaient pas pourquoi un peuple persécuté depuis si longtemps pouvait se faire aussi persécuteur, je répondais que je n'exonérais pas pour autant les excès de la part d'Israël. Ceci dit, quitte-t-on, en général, son pays natal de manière volontaire et pour le plaisir? La crise des migrants nous démontre que non.
Au collègue évoqué plus haut, j'envoyais jadis ceci:
Maroc : 260.000 juifs en 1946 ; 6.000 en 2014.
Tunisie : 100.000 juifs en 1948 ; 1500 en 2003.
Egypte : 50.000 juifs en 1956 ; 100 en 2014.
Lybie : 35.000 en 1949 ; plus aucun en 2014.
Algérie : 130.000 en 1962 ; quelques uns en 2014.
A titre d'exemple, en Egypte, dès 1945, les juifs sont victimes de mesures discriminatoires, telles que l'exclusion de la fonction publique. En 1956, suite à une proclamation mentionnant que tous les Juifs sont des sionistes et des ennemis de l'État, ceux-ci seront expulsés.
Quant au boycott d'Israël par la France Insoumise, soit, mais quels autres pays boycotte-t-elle? Selon l'indice de démocratie, Israël est le pays le plus démocratique du Moyen-orient et arrive juste derrière la France (29ème, considérée comme imparfaite) dans le classement général sur 167 pays. Et la Belgique se situe après (32ème)...