lundi 12 mars 2018

Le diable tire les ficelles

Ainsi va l'époque. Nos sociétés, à l'heure d'Internet, sont de plus en plus horizontales. Chacun a son mot à dire et ne s'en prive pas. Les mandataires politiques, à peine élus, sont critiqués. Chacun sait mieux qu'eux comment doit marcher le monde et quelles sont les meilleures décisions à prendre. Nos élus ne nous représentent plus, ne nous enthousiasment plus. Nous voulons nous exprimer et on nous en donne mille occasions chaque jour, en tant que lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, consommateurs, électeurs. Nous avons un avis à donner sur tout et on nous garantit qu'il compte.
Mais d'autres restent dans une vision verticale de la société et continuent à croire au chef, à le vénérer même. Marine Le Pen vient d'être réélue, pour la troisième fois, à la tête de son parti. Avec un score dont n'oserait rêver aucun président nord-coréen: 100 %. On la disait critiquée au sein même de son parti suite à sa prestation calamiteuse au débat du deuxième tour de l'élection présidentielle face à Emmanuel Macron. Elle y avait fait la démonstration de ses limites intellectuelles, mais peu importe pour les affiliés du F.N., ils lui gardent une confiance qu'on peut qualifier d'aveugle. Et de sourde. 
En Chine, le parlement vient d'abolir la limite des mandats présidentiels, permettant ainsi au président Xi Jinping, qui dirige le gouvernement, l'armée et le parti (comme Mao Zedong) d'être président à vie. 2958 députés se sont prononcés pour, deux contre et trois se sont abstenus. On se demande quel sort attend ces cinq élus qui ont empêché Xi Jinping de réunir la même adhésion que la cheffe incontestée du F.N.
Vladimir Poutine, lui, se voit en tsar éternel de toutes les Russie et il a globalement le soutien des Russes, résignés et fatalistes peut-être, mais alignés derrière le chef.
La plupart des partis populistes, qui en ce moment recueillent une forte adhésion populaire, sont l'affaire d'un homme, parfois d'une femme, fort en gueule, un chef, un vrai, indispensable, irremplaçable. Un vrai guide qui nous emmène à sa suite, qui pense pour nous. Erdogan en Turquie, Orban en Hongrie sont les chefs si peu contestés (au risque de valser en prison) de leur pays. L'époque est aux chefs.

Revenons au F.N.: il tenait à Lille le week-end dernier un congrès de relance qui, comme le constate Sophia Aram (1), avait des allures d'enterrement. Marine Le Pen y a certes été plébiscitée, mais sans enthousiasme. Par des militants obéissants et résignés, aux applaudissements fatigués. Ils admettent que, s'il faut se débarrasser de l'éructant vieux chef en lui retirant le statut de président d'honneur, c'est bien le moins que de garder sa fille. Elle a eu la lumineuse idée d'inviter à la tribune Steve Bannon (2), héraut de l'extrême droite américaine, du suprémacisme blanc, de l'antisémitisme, du rejet des étrangers et de la démocratie, de la lutte contre la mondialisation. Le parti et sa cheffe semblent avoir oublié leur entreprise de dédiabolisation. Voilà qu'ils invitent à leur congrès l'un des bras droits de Satan. Durant le même week-end, à Lille toujours, le numéro deux de la section Jeunes du F.N. s'est fait épingler pour injures racistes envers un vigile qu'il a qualifié de "nègre de merde". Les cadres du F.N. s'offusquent: ce racisme dans leurs rangs est totalement inacceptable. Mais ils l'applaudissent à la tribune où Bannon affirme qu'il ne faut pas en avoir honte.
Bannon est actuellement en tournée en Europe pour tenter de construire un front mondial populiste pour lutter contre la mondialisation. Les contradictions semblent décidément être un gène de l'extrême droite: on mondialise pour lutter contre la mondialisation.
Enfin, la fille à papa propose de changer le nom du Front national en Rassemblement national, histoire de repeindre la façade. Ignore-t-elle vraiment que ce nouveau nom est un vieux nom, celui d'un parti d'extrême droite, dirigé par Tixier-Vignancourt qui s'est présenté aux élections présidentielles en 1965? Son directeur de campagne était un certain Jean-Marie Le Pen (3). Peut-être finalement ce nouveau nom est-il un hommage à son père. On voit par là que l'inconscient nous faire tant de choses qui nous échappent et que le diable revient facilement pas la fenêtre.

Post-scriptum: sacrée ambiance au F.N.:
https://www.nouvelobs.com/politique/20180309.OBS3354/ce-parti-me-fait-pitie-quand-les-jeunes-fn-se-lachent-sur-marine-le-pen-et-sur-le-reste.html

(1) https://www.franceinter.fr/emissions/le-billet-de-sophia-aram/le-billet-de-sophia-aram-12-mars-2018
(2) http://www.lalibre.be/actu/international/congres-du-fn-en-invitant-steve-bannon-le-fn-ne-change-pas-pour-castaner-5aa3ab44cd702f0c1a3b37e6
https://www.huffingtonpost.fr/2018/03/10/steve-bannon-en-europe-pour-creer-une-internationale-populiste_a_23382101/?utm_hp_ref=fr-homepage
(3) https://www.huffingtonpost.fr/2018/03/11/rassemblement-national-trop-proche-de-rassemblement-national-populaire-ancien-parti-collaborationniste_a_23382664/?utm_hp_ref=fr-homepage

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