mercredi 18 avril 2018

L'illusion universitaire

J'avoue ne pas bien connaître le projet Parcours Sup porté par l'actuel gouvernement français. Et j'avoue aussi ne pas bien comprendre les oppositions à ce projet. Qu'il complexifie à l'extrême les conditions d'entrée à l'université et soit difficile à mettre en œuvre, je peux l'imaginer. Mais j'ai du mal à croire qu'il veuille à tout prix opérer une sélection aveugle à l'entrée.
Cette sélection, comme le faisait remarquer ce matin le président de l'Université de Nanterre (1), s'opère actuellement et depuis toujours: c'est la sélection par l'échec. Est-elle tolérable?
J'ai enseigné durant une dizaine d'années dans une haute école en communication. Chaque année, nous, enseignants, faisions le constat que certains étudiants n'avaient pas le niveau nécessaire pour ce cursus. Notamment en français, dont la maîtrise est indispensable pour devenir plus tard journaliste, animateur socioculturel ou chargé de communication. Certains présentaient de telles lacunes en vocabulaire, en syntaxe, en grammaire que leurs textes étaient absolument incompréhensibles. Ce sont en général ces mêmes étudiants qui soit disparaissaient très rapidement, soit, opiniâtres, effectuaient leurs études non pas en trois ans, mais en cinq, voire six ans. Pour, le plus souvent, se trouver ensuite un emploi dans un tout autre secteur. Ces étudiants n'auraient-ils pas pu plus utilement suivre plus tôt des formations qui leur convenaient mieux? 

On ne peut évidemment accepter que l'université sélectionne ses étudiants sur base de leurs origines socio-économiques et socioculturelles. L'enseignement supérieur doit être accessible à tous. Et il ne s'agit évidemment pas de laisser les lycéens s'enfermer dans des choix qu'ils auraient fait trop jeunes en leur coupant toute possibilité de changer de discipline. Mais on ne peut non plus bercer les étudiants d'illusions en leur laissant croire que n'importe qui peut effectuer n'importe quelles études. 
Un lycéen (entendu récemment dans un journal de France Inter) déplorait qu'étant en filière scientifique, il lui serait interdit d'accéder aux études à caractère social qu'il a envie d'entreprendre. Prendre en compte, au-delà des compétences de base, les motivations du futur étudiant me semble dès lors tomber sous le sens. Et être plus démocratique que le système du tirage au sort, actuellement pratiqué.

L'école de la réussite est un objectif ambitieux et généreux. Qui ne souhaiterait voir tous les écoliers, tous les élèves, tous les étudiants réussir? Mais les systèmes mis en place pour parvenir à cet idéal s'avèrent parfois pervers. En Communauté française de Belgique, les étudiants peuvent, s'ils n'ont pas réussi leur année mais cependant obtenu un certain nombre de crédits, passer dans l'année supérieure. A charge pour eux de réussir les crédits ratés précédemment. Trop heureux d'accompagner leurs camarades qui ont réussi pleinement, ils délaissent souvent ce qu'on appelle leurs crédits-casseroles. Plus dure est la chute. En fait, ils se rendent compte que ce système de fausse réussite alourdit leur barque. Et qu'elle devient parfois impossible à manœuvrer. 

L'Université de Nanterre, affirme son président, reçoit chaque année 100.000 demandes (ce qu'on appelle en France les vœux) pour 6.000 places de néo-étudiants. On peut bien sûr regretter que toutes ne soient pas acceptées. On a bien sûr le droit de se mettre la tête dans le sable.
Finalement, cette volonté que tout post-lycéen puisse entreprendre n'importe quelles études, quelles que soient ses compétences de base et ses motivations, est très égalitariste. Comme si tout le monde était capable de tout. N'est-elle pas aussi ultra-libérale? Tout le monde a le droit de tout faire et tant pis pour les étudiants qui se trompent de voie. Cette ouverture totale fait le jeu d'universités et d'écoles qui savent bien qu'elles acceptent des étudiants qui n'ont pas le niveau de base pour entreprendre ces études mais font entrer de l'argent dans les caisses de l'école, avec le soutien de la collectivité.

Au-delà de cette contestation du projet de loi Parcours Sup en lui-même, il semble que certains aient envie de célébrer à leur manière les 50 ans de mai '68. De le rejouer en fait. Même si la situation, l'Etat français, les rapports avec l'autorité, le travail, la religion, la sexualité, les parents, l'école, les médias, la liberté d'expression n'ont strictement plus rien à voir (2). Il faut être sacrément conservateur pour vouloir faire revivre le passé. S'il y a des situations et des projets à contester (et ils ne manquent pas), pourquoi faudrait-il attendre un anniversaire pour le faire? Et pourquoi faudrait-il ressusciter un modèle plutôt que d'inventer le sien?

(1) France Inter, 18.4.2018, 8h20.
(2) (Re)lire sur ce blog "Pour ne (surtout) pas en finir avec mai '68", 22 mai 2007.

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