Tout
s'explique: de nombreux Gilets jaunes refusent
de participer aux débats que le gouvernement organise sous leur pression parce
que, disent-ils, ce dernier ne fera pas approuver par référendum la synthèse de
ces rencontres. Faut-il en pleurer ou en rire? On s'interroge. Ces débats vont,
fatalement, partir dans tous les sens et voir surgir d'innombrables
revendications, souvent très contradictoires. On a vu, aujourd'hui encore, des
G.J. réclamer la réouverture des mines. Oui, des mines. On ne sait lesquelles,
mais visiblement certains baignent en pleine nostalgie ou en plein délire. Tout
comme ceux, très actifs sur les sites de débat (voir billet précédent), qui
rêvent du bon vieux temps et veulent interdire le mariage homosexuel.
Pensent-ils,
ces rétifs aux débats, que chaque citoyen pourrait être amené à se positionner
sur chacune des 150 ou 500 ou 5000 propositions qui sortiront de ces débats? Et
quand bien même ce serait le cas, trouvent-ils positif que chacun ne puisse que
choisir entre "d'accord" et "pas d'accord", alors qu'il y a
tant de nuances à apporter, tant d'options alternatives à imaginer par rapport
à toute question? Et donc tant de débats à avoir encore et toujours. La
démocratie ne résume pas à se poser pour ou contre une idée.
D'où vient cette idée que le référendum serait
plus démocratique que le système représentatif? Le référendum, c'est la
démocratie pour les nuls.
Les électeurs doivent s’y
prononcer de manière simple (voire simpliste) : ils sont pour ou ils sont
contre la solution ou le projet proposé et ne peuvent en suggérer d’autres. Si
la question n’est pas d’une simplicité évidente, certains électeurs risquent de
mal l’interpréter et de répondre de manière exactement inverse de la position
qui est la leur. Le libellé de la question est donc fondamental et devrait donc
être défini très largement, pas seulement par la majorité qui souhaite la
poser. Ce qui, en soi, n’est déjà pas une sinécure. J’ai un jour entendu un
électeur déclarer à un journaliste qu’il avait voté non à un référendum parce que
le fond du sujet lui échappait et que, ne voulant pas prendre de risques, il
préférait refuser le projet en débat. Son opposition s’apparentait donc, en
réalité, à un vote blanc… qui ne l’était pas.
Il n’est pas rare que des
responsables politiques à l’origine d’un référendum en espèrent un plébiscite
en leur faveur. A l’inverse, l’opposition y voit une occasion de rejeter les
élus en place. « Il (le référendum) risque, écrit le journaliste Thomas
Legrand, de susciter une réponse adressée à celui qui pose la question plutôt
qu’à la question elle-même. »[1]
Enfin, question essentielle : la vox populi doit-elle être considérée
comme la vox dei ? A-t-elle forcément raison ? Quelle connaissance du
sujet abordé, des causes du problème, des implications de la solution proposée
ont les citoyens amenés à se prononcer ? Comment éviter que la vox populi
ne s’exprime dans l’émotion ? Comment se garantir d'avoir une position de chacun qui découle d'une réflexion sur la question abordée? Comment éviter de tomber dans le populisme ?
« Etablir un lien direct entre le peuple et le souverain sur une question
simplifiée en passant par-dessus tous les
intermédiaires, c’est une définition du populisme », fait remarquer
Thomas Legrand qui cite là Pierre-André Taguieff. « Il est beaucoup plus
facile, et immédiatement valorisant, écrit-il encore, de proposer un référendum
que d’imaginer des solutions pour
résoudre la crise de représentation, le problème de la reproduction
inégalitaire des élites, la régénération des corps intermédiaires qui
représentent pourtant ce qui est censé faire vivre la démocratie, en profondeur et au jour le
jour… »[2]
Lors d’un référendum, comme lors d’élections, on demande juste aux
citoyens de cocher une case sans forcément connaître le programme ou les
conséquences de leur choix. On fait appel à leurs sentiments, à leurs émotions,
pas à leur raison.
Le Brexit fut l’exemple même
du référendum dévoyé. A quelle question ont vraiment répondu les
Britanniques ? « Peut-on, de grâce, dépasser le mantra prononcé d’une
voix solennelle selon lequel Le peuple a
parlé ?, demande l’écrivain britannique Julian Barnes. Les gens ont
répondu à une question posée par une élite politique excessivement confiante.
On leur a accordé une réponse monosyllabique. Sur cette base, une version
légèrement différente de cette même élite choisit d’interpréter cette
monosyllabe d’une manière qui convient aux intérêts de sa propre politique et
de son propre parti. Cette volonté du peuple n’exprime, à
l’évidence, aucune volonté commune. Et la volonté
du peuple mène trop facilement aux ennemis
du peuple, cette expression stalinienne désormais adoptée par le Daily
Mail, la Pravda de la droite. »[3]
De nombreux observateurs
s’accordent à dire que ce qu’ont surtout voulu indiquer les participants à
cette consultation qui se sont prononcés pour le Brexit, c’est leur refus de l’immigration bien plus que
leur volonté de rompre les amarres avec l’Union européenne et que nombre
d’entre eux ignoraient totalement les conséquences d’une sortie de leur pays de
l’U.E., ni par rapport aux risques de désunion du Royaume, ni par rapport à
leur avenir sur le plan socio-économique.
Les ténors politiques qui
ont fait campagne pour le Brexit ont d’ailleurs laissé entendre dès le
lendemain de leur « victoire » qu’ils n’en savaient fichtrement rien
et qu’ils avaient utilisé certains arguments fallacieux.
« Tout au
long de la campagne, écrit Le Soir, les nationalistes avaient martelé un
argument de masse. Ils estimaient que le Royaume-Uni envoyait chaque semaine plus de 350 millions de livres sterling
(environ 434 millions d’euros) à l’Union européenne. En cas de Brexit, l’idée
de l’UKIP était de rediriger cette somme vers le National Health Service (NHS),
la sécurité sociale britannique. (…) À la journaliste qui lui demande s’il peut
garantir que ces millions iront au NHS, Farage ne peut que reconnaître l’erreur
de son parti : Non je ne peux pas le garantir et je ne peux pas faire
cette promesse… et de reconnaître quelques secondes plus tard : C’est
une erreur qu’a commise le camp du Leave Europe. »[4]
On se retrouve
donc dans un référendum dans une situation analogue à celle d’une
élection : toutes les déclarations, même les plus mensongères, sont bonnes
pour gagner. Mais ce sont les citoyens – et pas les élus - qui sont directement
responsables de la décision prise, même si les bases de celles-ci sont
faussées.
« Lorsque nous avons eu le référendum, personne n’avait de plan,
cela n’a pas été discuté. Le seul débat était sur l’opportunité ou non de
quitter l’U.E. », déclarait l’ancien ministre conservateur Kenneth Clarke.
Certains leaders tenants du
Brexit ont crié victoire le soir du Brexit, leur ego vibrant de satisfaction,
pour démissionner dès le lendemain de peur de devoir assumer les conséquences
de ce qu’ils ont voulu sans y jamais vraiment y croire… Dans son rapport, la
Commission électorale britannique sur la campagne a enregistré le dépôt
d’un millier de plaintes pour désinformation. Même si 82% des votants estiment
avoir bien compris les enjeux et que 62% d’entre eux considèrent avoir été bien
informés. Mais ce, constate le journaliste Andy Lindfield, dans une campagne
pourtant largement critiquée par les observateurs pour son populisme et ses
mensonges.[5]
Le Brexit pose également la
question de la légitimité du vote de tous. Chaque voix est-elle égale dès lors
que le résultat global engage l’avenir des générations suivantes ? La
question peut sembler s’opposer au principe démocratique, mais comment doit ou
peut s’exprimer le mieux la démocratie ? Par le vote de chacun des
citoyens ou par celui de représentants censés prendre du recul et débattre
longuement avant de se positionner ?
Suite au référendum sur le Brexit, une
analyse menée par l’ancien député conservateur britannique Michael Ashcroft
indiquait que 73% des 18-24 ans et 62% des 25-34 ans ont voté pour rester dans
l'U.E., alors que 60% des plus de 65 ans ont voté pour la séparation avec
Bruxelles.
Un barman de
21 ans déclarait qu’il ne trouvait « pas juste que les vieux parlent pour
nous. Sans vouloir froisser personne, nous allons vivre plus longtemps qu'eux.
Je me sens dépossédé de mon avenir. »[6]
Le journaliste suisse Richard Werly (Le Temps) constate que la question posée n’indiquait rien des
conséquences immédiates du vote. « Il y a un vrai problème d’information,
selon lui. Il faudrait une fiche explicative qui accompagne obligatoirement la
convocation au référendum. »[7]
Les Suisses ont l’habitude des votations :
depuis 1848,
ils ont été invités plus de trois cents fois à se prononcer sur des sujets de niveau fédéral, cantonal ou
communal.[8] La participation y est en
moyenne de 40% (on s’accordera à dire que ce n’est là un taux réjouissant qui témoignerait de la vitalité du système). Le
thème est connu quatre mois à l’avance, ce qui permet aux initiateurs de la
votation de mener campagne et à chacun de recevoir une documentation détaillée
et de débattre du thème. « Ces consultations coûtent cher et l’argent y
joue de plus en plus un rôle important, à grand renfort d’affiches chocs qui
simplifient le débat », déplore la journaliste Virginie Langerock.[9]
Aujourd’hui, s’il est une
nation en Europe qui se trouve en incapacité totale d’imaginer de quoi son
avenir immédiat sera fait, c’est bien le Royaume-Uni dont la moitié des électeurs,
poussés par des populistes irresponsables, a choisi un saut dans l’inconnu. Le
référendum n’est pas la forme la plus aboutie
de la démocratie. Loin s’en faut.
La Catalogne, de son côté, a
perdu par un référendum toute l’autonomie dont elle jouissait. Les tenants de l’indépendance
ont triomphé très brièvement. Ici encore, l’absence de stratégie et de réflexion
s’est retournée contre eux. Il en va de même pour le Kurdistan irakien.
Les politiques utilisent trop souvent le référendum comme « un
instrument tactique pour leur propre carrière politique », estime
Dominique Rousseau, auteur de « Radicaliser la démocratie »[10] Le
juriste considère que « le référendum n’est pas un instrument qui permet
au peuple de parler, mais un instrument qui permet au gouvernement de faire
parler le peuple dans le sens qu’il veut ». Il rappelle qu’existent
d’autres instruments, tels que les assemblées délibératives.[11]
Le référendum a les faveurs des populistes qui souhaitent éviter tous
les corps intermédiaires pour créer, disent-ils, un lien direct entre le peuple
(qu’ils sont, eux populistes, les seuls à pouvoir représenter) et le
gouvernement. « S’ils envisagent un référendum, dit le politologue
allemand Jan-Werner Müller, ce n’est pas pour ouvrir un processus de débat,
mais pour que les électeurs entérinent ce qu’ils ont préalablement déclaré
comme étant l’authentique volonté populaire. »[12]
En Italie, Matteo Renzi a
démissionné suite au « non » qui s’est exprimé lors du référendum de
l’automne 2016. Il voulait notamment mettre un terme à
l’instabilité gouvernementale. Il a réussi l’inverse. Quelle mouche l’a donc piqué pour
qu’il annonce, en lançant ce référendum autour de son projet de réforme de la
constitution, qu’il démissionnerait en cas d’échec ? Il a lui-même vicié
dès le départ l’enjeu de ce référendum en en faisant une question personnelle.
Quel pourcentage d’Italiens qui ont voté « non » l’ont fait pour
faire tomber le président du Conseil plutôt que par opposition à son projet de
réforme ?
« Je ne pense pas que l’on puisse continuer avec un système
“constitutionnel” que tout le monde critique depuis des décennies et ne pas
vouloir le changer », avait déclaré Matteo Renzi. Les institutions
politiques italiennes sont désuètes et il semble bien qu’il y ait un souhait
général de les simplifier et de les moderniser, mais cet objectif ne s’est
finalement pas retrouvé au cœur du débat, la voie référendaire n’était sans
doute pas la meilleure…
Tout flatteur vit aux dépens
de celui qui l’écoute… Plus que jamais, la voix du peuple est présentée comme
celle du bon sens. En France, à
l’automne 2016, lors de la primaire de la droite et du centre pour l’élection
présidentielle, les candidats ont fait assaut de propositions de
référendums : mettre fin au non-cumul des mandats, réduire le nombre de
mandats dans le temps, réduire le nombre de parlementaires, suspendre le droit
automatique au regroupement familial, fixer des quotas d’immigration, au total
ce sont treize propositions de référendums qui étaient avancées par les
différents candidats. Certaines étaient possibles, d’autres douteuses, selon
certains juristes.[13]
Interrogation plus
fondamentale : faut-il confier à la population la responsabilité de régler
des questions dont certaines nécessitent des débats longs et nuancés ? Ce
que peuvent prendre le temps de mener des assemblées, élues et/ou désignées par
tirage au sort, en écoutant avant toute décision les différentes parties
concernées, en analysant les causes des problèmes, en soupesant les conséquences des différentes options, en débattant avant toute décision.
(Note: la majeure partie de ce billet est extraite d'un projet de livre que j'avais intitulé "Pour en finir avec la classe politique - vers une démocratie citoyenne". Projet qui n'a pas trouvé preneur...)
(Note: la majeure partie de ce billet est extraite d'un projet de livre que j'avais intitulé "Pour en finir avec la classe politique - vers une démocratie citoyenne". Projet qui n'a pas trouvé preneur...)
Sur ce thème du réferendum, (re)lire sur ce blog:
- "Référendum piège à cons", 25.6.2018;
- "Arroseur arrosé", 29.12.2017;
- "En avant, y a pas d'avance", 26.6.2016;
- "Sainte Démocratie", 23.6.2016.
- "Référendum piège à cons", 25.6.2018;
- "Arroseur arrosé", 29.12.2017;
- "En avant, y a pas d'avance", 26.6.2016;
- "Sainte Démocratie", 23.6.2016.
[13] http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/10/11/primaire-a-droite-tous-ces-referendums-sont-ils-possibles_5011850_4355770.html
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