samedi 5 janvier 2019

Débattre, au-delà des lobbies et du court terme

Pour tenter de répondre à la volonté de changement exprimée par les Gilets jaunes, le président et le gouvernement français lancent dans quelques jours de grands débats.
L'ancienne ministre Chantal Jouanno, présidente de la Commission nationale du débat public (qui existe depuis vingt ans), est chargée de piloter la "grande concertation nationale". Elle souligne qu'il s'agit là d'une première, il n'y aura jamais eu en France de débats d'une telle ampleur, tant par le territoire concerné (l'ensemble de la France) que par les thèmes abordés, à savoir tout ce dont veulent débattre les citoyens. "Un très beau défi!", affirme Chantal Jouanno.
Elle promet d'écouter tout le monde, de partir de constats, de ne laisser aucun avis de côté, d'être ouverte à toutes les suggestions et de relayer l'ensemble des contributions auprès du gouvernement. D'expérience, dit-elle, dans de nombreux cas, les décideurs sortent des débats avec des solutions auxquelles ils n'avaient pas pensé auparavant.
Le débat a déjà commencé avec les maires ruraux qui ont ouvert des cahiers de doléance dans leurs mairies.
A partir du 15 janvier, chacun (associations, syndicats, mairies, groupes de citoyens) peut organiser une réunion. Une plateforme numérique mettra des outils à disposition de tous ceux qui veulent participer activement à la réflexion collective.
Le gouvernement souhaite que quatre grands thèmes au moins soient abordés: transition écologique, fiscalité, citoyenneté et démocratie, organisation de l'Etat et services publics. Mais tout autre sujet peut être abordé à la demande des citoyens. Une synthèse sera rédigée par des personnes indépendantes du gouvernement. A celui-ci ensuite de s'en saisir. (1)

Certains lobbies ont déjà compris qu'ils devaient saisir cette opportunité unique de se faire entendre: durant trois semaines le Conseil économique, social et environnemental a mené une grande consultation sur Internet pour recueillir les inquiétudes des citoyens et lister les thématiques à mettre en débat. Arrive en tête la demande de mettre fin au mariage homosexuel, qui n'est jamais apparue parmi les multiples revendications des G.J. (2) Preuve que ce lobby très droitier de ceux qui n'aiment pas les autres ne désarme pas et sait se montrer opportuniste. Les meneurs de débats, les rédacteurs de la synthèse et le gouvernement enfin devront se montrer habiles pour faire la part des choses et distinguer les vraies revendications des citoyens de celles des lobbies. Et refuser tout recul des droits individuels et de la défense de l'environnement. La démocratie reste une pratique délicate et fragile, à la merci des nuisibles.

Une faction des G.J. qui se nomme les Gilets jaunes en colère!!! (on notera les trois points d'exclamation qui indiquent qu'ils crient fort) a décidé de ne pas participer aux débats. Ils sont en colère - ce qui empêche de discuter - et entendent bien le rester. Une attitude enfantine, difficilement compréhensible. La colère ne peut être que passagère. Entretenue, elle devient stupide et ne mène à rien. Sinon à l'épuisement et à l'auto-destruction. Passer des cris aux échanges et laisser de la place aux autres reste un défi pour certains.

Une revendication à porter lors des grands débats: celle de la création de l'Assemblée citoyenne du futur. (3) L'idée en est portée par la Fondation pour la Nature et l'Homme qui entend ainsi apporter sa contribution au projet de réforme constitutionnel annoncée par le président Macron et touchant la réforme du Conseil économique, social et environnemental. L'idée est de sortir du court-termisme qu'induit le système démocratique représentatif électif et de voir loin. 
La Constitution pourrait se voir ajouter les principes suivants: "Une génération ne peut assujettir des générations futures à des lois moins protectrices de l'environnement que celles actuellement en vigueur. La République veille à un usage économe et équitable des ressources, respectueux des limites de la biosphère. Elle organise le financement des investissements nécessaires à l'adaptation publique aux grands changements naturels en cours et à venir."
Le Conseil économique, social et environnemental pourrait être transformé en Chambre du futur. "Une troisième chambre parlementaire, dont l'objectif est de faire entrer la considération du long terme de manière systématique et permanente dans l'élaboration de la loi. Dotée de pouvoirs inédits et d'une composition originale, elle a pour objectif d'éclairer et d'enrichir le processus législatif, d'inciter à l'innovation et à la cohérence des politiques publiques."
Selon ses concepteurs, cette nouvelle assemblée, dont l'avis resterait consultatif, pourra "s'autosaisir des grands projets et propositions de lois en préparation ou déposés à l'Assemblée nationale ou au Sénat dont les conséquences potentielles justifient la consultation préalable de l'ensemble des citoyens avant leur discussion au Parlement". La consultation pourra passer par une plateforme en ligne, des débats publics dans les territoires, des conférences de citoyens et d'autres formes de participation. Cette Assemblée citoyenne du futur sera composée de 50 citoyens "ordinaires" tiirés au sort, de 50 spécialistes de l'environnement et de 50 personnes de la société civile organisée. Ses concepteurs parient, avec confiance, sur l'intellignec collective.
L'Assemblée nouvelle disposerait de quatre pouvoirs: d'initiative législative spécialisé, d'alerte législative, de demande d'une nouvelle délibération de la loi et enfin de de saisine du Conseil constitutionnel. 

A l'heure où la prise en compte des multiples et néfastes impacts du réchauffement climatique et de la transition énergétique sont, malgré leur extrême urgence, effacés par le bruit et la fureur de la rue, une telle proposition a le grand mérite de remettre de l'ordre dans les priorités et d'offrir des voies à la participation citoyenne. Reste à la faire entendre.

(1) France Inter, "Une semaine en France", 4.1.2019, 18h10.
https://www.franceinter.fr/emissions/une-semaine-en-france/une-semaine-en-france-04-janvier-2019
(2)  https://www.huffingtonpost.fr/2019/01/04/gilets-jaunes-l-abrogation-du-mariage-pour-tous-revendication-n01-de-la-consultation-en-ligne_a_23633909/?utm_hp_ref=fr-homepage
(3) A lire: Dominique Bourg, "Inventer la démocratie du futur - L'Assemblée citoyenne du futur", éd. Les Liens qui libèrent, 2017 (ce paragraphe a été rédigé à partir de ce livre).

Aucun commentaire: