mercredi 23 janvier 2019

Des attentes excessives

Les Gilets jaunes conspuent les élus et vouent une véritable haine à l'actuel président de la République. Qu’ont-ils donc fait pour être l’objet d’un rejet aussi violent ?
En France plus encore qu’en Belgique, les citoyens ont tendance à tout attendre de leurs élus : à eux de prendre en charge la société dans tous ses aspects. Je paie des impôts, trop d’ailleurs, donc je suis en droit d’attendre « tout » et tout de suite de ceux qui me représentent à tous les niveaux. Y compris qu’ils agissent comme je pense.  « C’est une spécificité française, affirme Gilles Finchelstein de la Fondation Jean Jaurès : on croit, à l’excès sans doute, que la politique peut faire beaucoup. »[1] Ce que confirme le philosophe André Comte-Sponville : « Les Français attendent tout de l’Etat, comme si c’était lui qui allait créer des emplois, de la richesse, du bien-être ! -, puis lui reprochent de les avoir déçus… Nos hommes politiques, pour gagner les élections, font semblant de croire à cette toute-puissance de l’Etat, voire finissent par s’en convaincre. Puis perdent les élections suivantes, faute d’avoir pu tenir leurs promesses… C’est toujours le cycle de l’espoir et de la déception. Mieux vaudrait apprendre à vouloir, à agir – mais on ne le peut que sur ce qui dépend de nous. »[2]  La journaliste allemande Helen Bömelburg lui fait écho : « Paradoxalement, on attend encore beaucoup de l’Etat en France. Il doit traditionnellement tout régler : il intervient dans tous les gros contrats industriels – on l’a vu pour Alstom, dont la vente n’a pas été négociée par le conseil d’administration mais directement par le président Hollande. Quand une canalisation éclate dans la rue d’un village on n’appelle pas le plombier mais le maire. Nous, les Allemands, on nous ferait confiance pour réparer nous-mêmes les dégâts sur le champ. »[3]
Est-ce parce que les Français ont un idéal de société trop élevé qu’ils se tournent vers les politiques pour les aider à l’atteindre et les critiquent dans le même temps parce qu’ils savent qu’ils n’y arriveront jamais ? Une étude fait apparaître que la France a un PIB par habitant élevé mais un déficit de satisfaction. "La France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer", affirme l'écrivain Sylvain Tesson. « Les Français se disent beaucoup moins heureux que ce que laisseraient prédire leurs conditions de vie objectives, explique l’économiste Claudia Senik[4], professeure à la Sorbonne. Comme si, à l’échelle européenne, le seul fait de vivre en France réduisait de 20 % la probabilité de se déclarer très heureux. » En France, dit-elle encore, « le rapport à l’Histoire, au passé et à l’avenir est problématique : on veut protéger l’existant, une France éternelle et immuable, au détriment de l’innovation, de l’avenir. » L’économiste compare la France et le Danemark, situés aux deux extrémités du tableau : les Français ont une vision du bonheur utopique, alors que « les Danois ont des aspirations réalistes, on leur inculque une morale de la responsabilité individuelle – c’est à eux de se débrouiller pour contribuer au bien commun. »  Que peut faire le politique s’il est seul responsable du bonheur de citoyens foncièrement insatisfaits?                                                         
Les Français n’ont cependant pas, loin s’en faut, le monopole de la grogne. Un peu partout dans le monde, elle a pris en otage l’opinion publique. D’après le World Happiness Report de l’ONU publié en mars 2017, la Norvège est, selon une série de critères, le pays le plus heureux du monde. « Mais si les Norvégiens sont heureux, pourquoi y a-t-il autant de commentaires  pleurnicheurs et malheureux sur les réseaux sociaux au sujet des réfugiés, des hommes politiques et de la bureaucratie », s’interroge Dagbladet.[5] Peut-être parce que l’époque est  à la plainte, peut-être parce que les réseaux sociaux sont devenus à la fois le réceptacle et le haut-parleur de grognes irraisonnées. La mode est à la bougonnerie.
Heureusement, nombre d’associations font évoluer positivement la société, sans attendre que les élus leur ouvrent la voie. L’émission de France Inter  « Carnets de campagne »[6]  donne, depuis plus de dix ans, la parole à des entrepreneurs, au sens premier du mot, à des responsables d’associations, de coopératives, d’organismes  qui travaillent à redynamiser le milieu rural, à tisser des liens, à développer des projets en économie sociale et solidaire, à soutenir les initiatives de développement durable et d’autonomisation, etc. L’émission se présente comme « le rendez-vous des solutions d’avenir à toutes les questions de vie, de consommation, de formation, de santé, de production, de culture ou d’habitat » et met en lumière les « invisibles des campagnes et des villes et leurs initiatives et inventions ». Dans le sillage de l’émission de Philippe Bertrand sont nés des Cafés des Bonnes Nouvelles[7] qui entendent sortir de la culture de la grogne « pour partager ce qui va bien », diffuser des initiatives positives, soutenir des dynamiques. Pourquoi toute cette dynamique est-elle autant occultée par une grogne finalement très irrationnelle  ? Il y a urgence à créer, en France, des structures de dialogue et de participation citoyenne.

(Note: la majeure partie de ce billet est extraite d'un projet de livre que j'avais intitulé "Pour en finir avec la classe politique - vers une démocratie citoyenne". Projet qui n'a pas trouvé preneur...)




[1]  France Inter, 29.9.2016, entre 8h20 et 9h.
[2] A. Comte-Sponville, "C'est chose tendre que la vie".
[3]  [3]  « Les Allemands, si loin, si proches »,  Stern, 18.09.2014, in Le Courrier international, 02.10.2014.
[4] « Malheureux comme un Français », interview de Claudia Senik, par Juliette Cerf, Télérama, 10.12.2014.
[5]  « Le bonheur est dans le Nord », in Le Courrier international, 23 mars 2017
[6] du lundi au vendredi de 12h30 à 12h45.
[7]  https://cafebn.wordpress.com

3 commentaires:

Gregoire a dit…

Puisque, selon vous, il faudrait attendre moins des politiques, eh bien payons les moins! Payons-les en fonctions des promesses qu'ils auront tenues, et à partir desquelles on aura voté pour eux.
Hier à Bourg-de-Péage (Drôme), un habitant lambda a interpelé E. MAcron : "Je n'ai plus du tout confiance en les politiques. Vous aviez dit qu'à la fin de l'année qu'il n'y aurait plus de SDF en France. Cinq-cent-dix sont morts l'année dernière dans les rues. Ces SDF là vous les avez complètement oubliés".
"Je n'ai pas pris l'engagement de campagne qu'il y ait zéro SDF", lui a répondu le président. "J'entends beaucoup ça mais je n'ai jamais dit ça. J'ai eu un mot sur les demandeurs d'asile qui dorment dehors".
Il a menti.
E. Macron a déclaré le 27 juillet 2017 :"La première bataille, c'est de loger tout le monde dignement. Je ne veux plus d'ici la fin de l'année avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois.".
Aucun engagement de campagne pour zéro sdf, selon lui, en revanche la suppression de l'ISF, elle, n'a pas trainé.
J'ai déjà signalé sur ce blog que selon les informations de Philippe Pascot (je vous renvoie à ses livres et ses vidéos sur Youtube), il ne faut pas de casier judiciaire vierge pour être élu, alors que c'est le cas pour pouvoir exercer au moins 396 métiers en France. L'homme politique a, selon son niveau de pouvoir un portefeuille d'argent public. Il a donc un moyen d'agir. Ce qu'il en fait, c'est donc une question de choix, de priorités. La priorité de Macron, ce fut donc les riches, et pas les 517 personnes mortes dans la rues en France l'année dernière, faute de logements, de moyens. Cela suffit pour ma part à justifier la grogne. Ne serait-ce qu'un seul mort, alors que le moyens existent...
Les Français n'ont pas juste un idéal de société trop élevé, selon moi, seulement une envie de société juste. Figaro (ou Beaumarchais...) disait : "Alors que tout le monde pillait autour de moi en exigeant que je fusse honnête..."
Ce matin, sur une radio publique francophone, on annonce la cinquième édition du Grand Nettoyage de Printemps, du 29 au 31 mars dans toute la Wallonie, les organisateurs espèrent attirer quelque 150.000 volontaires. Au lieu d'engager, et de payer, des personnes pour nettoyer les routes, etc. On préfère culpabiliser les citoyens et les faire bosser pour rien.
Pour terminer, Macron... Quand il a reçu Poutine, ce ne fut pas au Palais de l'Élysée, résidence officielle et siège de la présidence de la République, mais au Château de Versailles. Tout un symbole...

Michel GUILBERT a dit…

Il faut sans doute attendre moins non pas des politiques mais plutôt des élus, et surtout attendre plus des citoyens. De manière à ce que tout le monde fasse "de la politique", d'une manière ou d'une autre.
Par ailleurs, je ne trouve pas culpabilisant d'appeler les citoyens à gérer leur propre environnement, juste responsabilisant. Quand je tonds, aménage, plante, organise l'espace public autour de chez moi (ce que je fais, ici où j'habite), je n'ai pas l'impression de bosser pour rien. Juste de bosser pour moi et pour tous. Payer des gens pour nettoyer l'environnement me paraît déresponsabilisant. Je peux jeter les déchets puisqu'il y a des gens payés pour les ramasser. Voir les pays où cette action de gestion de l'environnement est une obligation citoyenne.

gabrielle a dit…

Qui a menti? Le lambda ou le PR ?
Car le dit PR n'évoquait pas les sans-abri mais les migrants dans sa déclaration de 2017.
https://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2017/07/27/emmanuel-macron-ne-veut-plus-de-migrants-dans-les-rues-d-ici-a-la-fin-de-l-annee_5165755_1654200.html
J'aurais été lui, j'aurais évidemment ajouté "et les sans-abri", mais ce n'était pas le sujet ;-)
Par ailleurs des ONG recommandent de cesser l'utilisation de l'expression administrative/policière "SDF".