jeudi 30 mai 2019

Et maintenant

Peut-on être optimiste au vu des résultats de cette élection européenne?
La participation aux élections a augmenté de 8% par rapport à celles de  2014. Cette année, le taux moyen aura été de 51% dans l'ensemble de l'U.E. Soit le taux le plus élevé depuis vingt ans. Reste quand même que la moitié des électeurs ne s'est pas déplacée.
Comme dans la plupart des pays, les vieux partis ont pris des coups au Parlement européen. Et on assiste à une recomposition avec l'apparition de nouvelles forces, tant anti-UE que pro-UE.

Les populo-europhobes ne l'ont pas emporté autant qu'ils l'espéraient. Même s'ils ont des raisons de triompher. En Italie, Matteo Salvini et sa Lega font, de loin, la course en tête. En France, la fille à papa Le Pen et son parti arrivent en tête, mais perdent 1,5% et un siège par rapport aux élections de 2014. Le RN-ex-FN aura vingt-trois élus dans la nouvelle assemblée. Le même nombre que le parti du président Macron. "Le RN s'enracine, mais ne progresse pas", constate un politologue. Le choix du RN apparaît surtout comme un vote non pas de projet mais de rejet. "Le RN ne correspond pas à
mes convictions, déclare une électrice Gilet jaune, mais on en a ras le bol de tout. Pas question que ce soit toujours les mêmes" (1). Même si de très nombreux élus des différentes listes sont de nouveaux venus, inconnus ou presque hier, il est communément admis au café du Commerce que "ce sont toujours les mêmes". Et donc pour éviter ces "mêmes", certains choisissent à nouveau le même parti un peu rance.
Tous ces partis d'extrême droite, souverainistes et europhobes auront du mal à se fédérer et à s'entendre, tant les dissensions sont nombreuses entre eux, notamment à propos de l'accueil des migrants ou à cause de leur liens avec la Russie de Poutine. De toute façon, le rapport de forces entre pro-UE et anti-UE reste très largement favorable aux premiers. Les partis qui soutiennent l'Union détiennent à peu près les deux tiers des sièges au Parlement européen. L'UE n'est pas menacée par ceux qui la haïssent même si ceux-ci constituent désormais la troisième force politique en son sein.

La percée des écologistes est indéniable (2) en Allemagne, en France, en Belgique, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, en Irlande, en Finlande, mais leur poids reste trop faible au sein du Parlement européen. On aurait pu espérer, au vu de l'urgence climatique et de la pression de la rue, un score beaucoup plus important. "Malgré les résultats honorables des partis verts, estime Riss, l'Europe de l'écologie existe à peine. Alors que les dérèglements climatiques vont devenir une question de vie et de mort pour des millions de personnes sur le continent, l'écologie reste toujours difficile à vendre. Car demander aux gens de réfléchir au-delà de leur pavillon, de leur voiture, de leurs vacances, de leurs courses au supermarché, c'est comme demander à un poisson rouge de penser au-delà de son bocal. L'Europe sociale, de l'écologie, de la culture ou de la défense, est encore à construire." (3)
L'écologie a en tout cas, et c'est positif, été le premier choix des jeunes électeurs. En Allemagne, chez les moins de trente ans, un électeur sur trois a voté pour les Grünen. La transition énergétique, la lutte pour le climat et la préservation de la biodiversité devront être pris en compte pour la composition de la majorité européenne et de la Commission. En France, Emmanuel Macron, s'il veut survivre, devra infléchir sa politique en fonction du succès écologiste.
Et, comme l'ensemble de l'Europe, aller au-delà des déclarations d'intentions, ne plus se fixer des dates aux calendes grecques, ne plus attendre des études dont on connaît déjà les conclusions, mais prendre des décisions très vite. Avec de la concertation et de la pédagogie. Aux partis et aux élus d'agir en personnes responsables. C'est l'avenir de l'UE et de l'humanité qui est maintenant en jeu. Bien au-delà des pathétiques luttes d'ego et de pouvoir.

Il faudra aussi que l'UE se rééquilibre, donne plus - beaucoup plus - de pouvoir à son parlement (ce qui donnera aussi plus de sens et d'intérêt à cette élection). "La difficulté pour les électeurs, estime Antoine Vauchez, directeur de recherches au CNRS et à l'EHESS (4), d'identifier les effets institutionnels et politiques de leur vote est véritablement un des grands problèmes de ces élections. Pendant la mandature précédente, l'institution qui a le plus pesé sur la gestion de la crise financière n'était pas le Parlement mais la banque centrale européenne. Le Parlement n'a eu qu'un rôle consultatif et reste une institution structurellement faible. (...) C'est la Commission qui tient l'agenda."
Au-delà du siège du pouvoir, l'UE doit prendre des décisions fortes. Avec d'autres chercheurs, Antoine Vauchez a publié le manifeste Changer l'Europe, c'est possible! dans lequel ils ont formulé des propositions concrètes "qui visent à remettre en cause les formes d'optimisation fiscale, créent un ISF européen et, globalement, obligeraient les hauts revenus et les gros patrimoines, qui ont le plus bénéficié du développement du marché unique et de l'ouverture des frontières, de mieux contribuer à la solidarité européenne". Il faut sortir de la règle de l'unanimité qui freine voire bloque des décisions fortes, permettre aux pays qu'ils le veulent "d'aller plus loin en se dotant d'un budget des biens publics européens, comme la transition écologique, la possibilité d'une hospitalité européenne pour les migrants ou l'investissement commun dans la recherche et les universités."
"Remettons, appelle encore Antoine Vauchez, de la politique à l'intérieur du projet, pour une Europe qui ne soit plus seulement celle de la concurrence à tous les niveaux - entre Etats, entreprises et individus -, mais celle de la solidarité autour de biens publics qui nous concernent tous."

(1) France 3, Journal, 27.5.2019
(2) https://www.nouvelobs.com/edito/20190527.OBS13555/l-europe-verte-s-est-enfin-mise-en-mouvement.html
https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/05/28/elections-europeennes-vague-verte-sur-l-europe_5468494_3232.html
(3) Riss, "Une vieille fille sur un tas de cons", Charlie Hebdo, 29.5.2019.
(4) Télérama, 29.5.2019.


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