samedi 25 mai 2019

Un espace sans égal

Les mesquins, les rabougris, les racrapautés, les égoïstes, les frustrés, les nostalgiques d'une grandeur mythique de leur pays veulent la fin de l'Union européenne. Ils n'ont d'autre vision que celle de leur nombril. Petites gens que voilà. Leur voix est portée par les Le Pen, les Salvini, les Orban, les Farage, les Wilders, ces nationalistes et populistes qui n'ont pour projet que le rétablissement de frontières. On a vu ambition plus enthousiasmante.
Le Traité de Schengen, dont ils veulent la mort, a créé un espace inédit dans le monde. Les habitants de vingt-six pays peuvent circuler librement, travailler, vivre là où ils veulent. Et, les nationalistes peuvent bien mentir - ou enrager, c'est un succès. Nous sommes plus de vingt millions d'Européens à en profiter à temps plein. A vivre avec plaisir ailleurs que dans le pays où nous sommes nés. Juste parce que nous en avions envie, parce que nous y avons trouvé du travail, parce qu'on nous en offre l'opportunité, parce que nous l'avons saisie.
"L'imaginaire collectif nous présente comme une élite européenne, un petit groupe de privilégiés qui, ayant peut-être fait Erasmus, parcourent le continent pour leur développement personnel", explique Alberto Alemanno, juriste italien vivant à Londres. La réalité est plus complexe, ajoute-t-il: les travailleurs sans qualification ont autant de chances de résider à l'étranger que les personnes diplômées. Et tous ces Européens font vivre le pays où ils vivent (1).
Ce sont, dans l'ordre, la Belgique, l'Autriche et l'Irlande qui accueillent le plus haut pourcenatge d'Européens venus d'un autre pays (+ de 6,8%). L'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Espagne suivent dans une fourchette de 3,4 à 6,8%. Les pays de l'est sont les moins attirants (2).

Ici, au cœur de la France, on risque fort demain soir de voir le RN-ex-FN triompher. Il n'ose plus parler de sortie de l'Union européenne, mais veut "retrouver les frontières de la France" et applaudit le Brexit. Or, que se passera-t-il demain, quand le Brexit deviendra réalité? Si les Britanniques sont forcés de quitter cette région pour rentrer chez eux, perdant le statut d'Européen, le déclin économique et la désertification seront bien plus importants encore. Ils sont nombreux à vivre ici, font vivre les commerces, en tiennent parfois, sont impliqués dans la vie locale. En Dordogne, un habitant sur dix est britannique. Quel sera leur sort, que restera-t-il de leurs droits en cas de Brexit dur? Ils sont très inquiets pour leur avenir. Déjà, la fréquentation des touristes britanniques a diminué de trente pour cent (3). Les gens qui vivent loin des frontières ne semblent pas imaginer ce que leur fermeture signifierait concrètement dans leur quotidien.

Le bourg luxembourgeois de Schengen est devenu un lieu de pélérinage pour les Européens, mais aussi pour des Turcs, des Chinois ou d'autres touristes venus de l'autre bout de la planète visiter le "symbole d'une Europe sans frontières, incarnation des idéaux européens de liberté et d'union du continent" (4).
Barak Obama déclarait récemment à Berlin que "l'Europe de 2019 a atteint à certains égards le summum du bien-être de l'humanité. Globalement en Europe aujourd'hui, on jouit en moyenne des plus hauts niveaux de vie que l'humanité ait jamais connus à travers son histoire. (...) On franchit librement des frontières restées longtemps fermées" (5). Mais les populo-nationalistes veulent nous faire croire que c'est précisément en les fermant que nous vivrons mieux. "Le monde est inégalitaire et l'Europe imparfaite, constate la journaliste Marion Van Renterghem (6). Mais qui dit mieux sur la planète?". Oui, qui dit mieux?

(1) "Les expatriés cherchent leur voix", The Guardian, 1.5.2019, in Le Courrier international, 23.5.2019.
(2) Le Courrier international, 23.5.2019.
(3) France 3, Journal 19h30, 25.5.2019.
(4) Leila Al-Serori, "Ode à Schengen", Süddeutsche Zeitung, 14.5.2019, in Le Courrier international, 23.5.2019.
(5) cité par Eric Chol, Le Courrier international, 23.5.2019.
(6) auteur de "Mon Europe, je t'aime, moi non plus" (Stock, 2019).

Aucun commentaire: