mardi 23 novembre 2021

Lapin chasseur

J'ai beau faire tous les efforts que je peux (il est vrai que je me fatigue vite), je n'ai pas la moindre once, ni même le moindre gramme de compassion pour ce chasseur qui, le week-end dernier, a été grièvement blessé par une ourse qui défendait ses petits alors que lui chassait le sanglier. Il était, nous dit-on, à 1200 mètres d'altitude, dans le « noyau central », où l’on dénombrerait la présence d’une quarantaine d’ours, sur les 70 à 80 présents sur l’ensemble du massif pyrénéen (1). L'ourse a été tuée. Défendre ses oursons lui a coûté la vie. Récemment, le président des chasseurs, l'inénarrable Willy Schraen, interpellé par rapport aux accidents de chasse dont sont victimes des non chasseurs, nous expliquait tranquillement que le risque zéro n'existe pas, comme s'il fallait de ne pas s'en offusquer et que ce genre d'accident était simplement normal. Eh bien donc, cette fois, on ne s'offusque pas. Après tout, qui peut être assez prétentieux ou stupide (les deux adjectifs sont souvent synonymes) pour aller chasser dans le jardin des ours ? Et pourquoi, se demande-t-on, la victime serait-elle toujours du même côté du fusil ? Pourquoi les animaux devraient-ils être par nature chassés ? Ne sont-ils pas, eux aussi, chasseurs ? Voilà que les chasseurs qui affirment être les meilleurs connaisseurs de la nature sont surpris par celle-ci. Ce qui vient d'arriver est donc simplement normal. Et rassurant. La chasse peut aussi se pratiquer dans l'autre sens. Cette réciprocité (rare), c'est la loi de ce qu'ils appellent sport

Ce sont ces mêmes chasseurs qui se proposent aujourd'hui de jouer les flics de la nature. Schraen vient d'évoquer une idée lumineuse: certains chasseurs pourraient être des “policiers de proximité” à même de “dresser des procès-verbaux et de constater des flagrants délits”. Ceci pour lutter contre “une délinquance rurale et environnementale” qui serait, selon lui, en pleine augmentation (2). Parmi ces actes de délinquance, il y a une “hécatombe” d’oiseaux rapaces, victimes de tirs pendant la saison de chasse. C'est ce que dénonce la Ligue de protection des oiseaux (3) qui appelle les fédérations de chasseurs à préserver ces espèces protégées. Début novembre, un épervier d’Europe a été “la cible d’un tir au fusil dans l’Hérault” et en est resté paralysé, puis deux faucons crécerelles ont été retrouvés dans le même état dans le Vaucluse. "En région PACA en octobre, explique le HuffPost, deux autres éperviers et deux autres faucons crécerelles avaient été découverts morts. En septembre, c’était un aigle royal en Ardèche, une buse variable dans le Gard, un circaète Jean-Le-Blanc, etc.”, énumère l’association. Ces victimes ne constituent que la partie visible de l’iceberg tant la probabilité de retrouver les animaux tués est très faible. Au cours des trois dernières années, les centres de soins qu’elle gère ont pris en charge 109 rapaces plombés, dont 87% entre début septembre et fin février, soit entre les dates d’ouverture et de fermeture générales de la chasse en France." Avant de jouer aux flics, les chasseurs feraient bien de chasser de leurs rangs les inconscients, les incompétents, les délinquants et les barbares. Il y a du travail. 
Ils feraient bien, avant de jouer au shérif, d'apprendre qu'existent des règles et qu'on ne fait pas ce qu'on veut où on veut. Interviewé ce midi sur France Inter (4), Willy Schraen considère que les chasseurs ont le droit de chasser comme ils l'entendent puisqu'ils chassent chez eux. Ce qui est doublement faux. Très souvent, ils chassent dans des espaces publics ou dans des espaces privés sur lesquels ils n'ont d'autre droit que celui de passage (qu'ils s'octroient). Et Willy-Calimero semble oublier que même chez soi on ne fait pas ce qu'on veut. Qui peut prétendre construire une maison sans permis sous prétexte que le terrain lui appartient ? Qui pense pouvoir polluer sans vergogne son environnement sous prétexte que c'est le sien ? Qui pense pouvoir maltraiter des animaux sous prétexte qu'ils sont sa propriété ? Vivre en société implique des règles. Encore un petit effort, Willy, pour entrer dans le XXIe siècle.

Dans la forêt de l'automne
ce matin est arrivée
une chose que personne
n'aurait pu imaginer
au bois de morte fontaine
où vont à morte saison
tous les chasseurs de la plaine
c'est une révolution, car,

ce matin un lapin
a tué un chasseur
c'était un lapin qui
c'était un lapin qui
ce matin un lapin
a tué un chasseur
c'était un lapin qui
avait un fusil

ils crièrent à l'injustice
ils crièrent à l'assassin

comme si c'était justice
quand ils tuaient le lapin
et puis devant la mitraille
venue de tous les fourrés
abandonnant la bataille
les chasseurs se sont sauvés, car,

ce matin un lapin
a tué un chasseur

Chantal Goya (qui eût cru que je citerais un jour Chantal Goya ?)

A lire: le billet d'Alain Bougrain-Dubourg sur le site de Charlie Hebdo:
https://charliehebdo.fr/2021/11/ecologie/scandale-en-altitude-une-ourse-defend-ses-petits/?utm_source=sendinblue&utm_campaign=QUOTIDIENNE_22112021_-_ABONNES&utm_medium=email

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