mercredi 21 février 2024

Un résistant

Ils l'ont tué. Il l'a tué. Le tueur en série Poutine a à nouveau assassiné, comme il aime le faire, froidement, cyniquement.
Alexeï Navalny avait eu le courage, après avoir été empoisonné au Novitchok par le régime stalinopoutinien, de rentrer en Russie. Parce que critiquer le régime en étant réfugié à l'étranger n'avait pas de sens pour lui. Cet homme courageux a été tué par un lâche, par ce mafieux qui fait supprimer par ses hommes de main toutes celles et tous ceux qui ont le culot de lui résister. L'assassin est toujours un homme faible. Comme l'écrit Le Monde (1), "où qu’il fût, en liberté ou emprisonné, hospitalisé ou en bonne santé, chez lui ou à l’étranger, l’existence d’Alexeï Navalny était devenue insupportable pour Vladimir Poutine". Faut-il que le dictateur se sente fragile pour ne pas pouvoir supporter la moindre résistance.
Les proches d'Alexeï Navalny ont appris par la presse la nouvelle de sa mort, ce qui "traduit bien la nature du message que veut transmettre sa disparition, y compris aux dirigeants occidentaux rassemblés au même moment à Munich pour discuter défense et sécurité : Vladimir Poutine est maître chez lui et il entend le rester, quelles que soient les icônes que se donnent ses détracteurs".
Le régime soviétique n'est pas mort, loin s'en faut. "Si Poutine et les siens ont tué Navalny, c’est parce qu’ils n’ont pas pu le briser et obtenir de lui, dans la tradition soviétique, un repentir public", estime Cécile Vaissié, professeure en études russes et soviétiques (2). 

Navalny avait traité Russie unie, le parti de Poutine, de "parti des voyous et des voleurs". Son assassinat lui donne raison. "Les autorités, écrit encore Cécile Vaissié, viennent de réaffirmer leur droit de vie et de mort sur leurs « sujets » et leur détermination à empêcher ceux-ci de bénéficier d’un Etat de droit tourné vers l’Europe."
Navalny est mort, mais ses films sont toujours visibles, qui dénoncent l'immense corruption de ce régime soviético-mafieux. "Refusant de se taire, il a produit, avec ses équipes, des films de plus en plus précis et drôles sur l’enrichissement invraisemblable de Dmitri Medvedev, de la famille du procureur général Iouri Tchaïka, de hauts dirigeants de l’armée russe ou de Vladimir Iakounine, longtemps à la tête des chemins de fer russes et chargé de développer l’influence du Kremlin en France et en Allemagne. Puis Navalny a préparé un film où il montrait le palace construit pour Poutine sur la mer Noire (3), expliquait ce luxe par un système de rétrocommissions et retraçait jusqu’à l’origine des brosses de toilettes dorées à 700 euros l’unité. En quelques jours, ce film a été vu par plus de 110 millions de personnes, pour l’essentiel en Russie."

Poutine est décrit par ceux qui l'ont fréquenté (3) comme un paranoïaque "pathologiquement effrayé pour sa vie", qui vit le plus souvent caché dans ses luxueux bunkers, coupé du monde, dans un "vide informationnel", "enfermé dans une bulle cognitive depuis des années". Alexeï Navalny qui maniait l'humour et l'éloquence savait qu'en revenant il serait emprisonné. Il voulait résister depuis sa cellule. L'exact opposé d'un tyran froid qui n'a jamais compris ce qu'est l'humour et vit enfermé dans sa peur.
Navalny, nous dit-on (4), était peu apprécié des Ukrainiens, notamment à cause de sa position ambiguë sur l’annexion de la péninsule de Crimée par la Russie, en 2014, à cause de sa posture nationaliste grand-russe, de son discours méprisant sur l’Ukraine, de sa participation à des « Marches russes » très nationalistes et de sa violence verbale à l’égard des migrants en général, et des habitants du Caucase en particulier. Depuis, il avait pris ses distances avec ses positions antérieures.
Reste qu'il eut le courage de dénoncer jusqu'au bout, et en sachant qu'il y laisserait sa vie, l'extrême corruption de ce régime mafieux. Il purgeait dans l'extrême nord de la Russie une peine de dix-neuf ans de prison. Le site parodique Le Gorafi (5) annonce que Alexeï Navalny a été "condamné à 20 ans d’emprisonnement supplémentaire pour s’être évadé en décédant", une cour spéciale de justice russe estimant que "l’opposant a volontairement profité de sa mort pour s’évader". Le pire, c'est que cette fausse information tout en humour noir pourrait être vraie tant ce régime et son tsar sanguinaires sont capables du pire cynisme et de la plus totale folie.

Avaaz invite à saluer la mémoire d'Alexeï Navalny :

(2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/02/17/en-tuant-navalny-les-autorites-viennent-de-reaffirmer-leur-droit-de-vie-et-de-mort-sur-leurs-sujets_6217072_3232.html
(3) https://www.youtube.com/watch?v=WBSf2fRhjEU
https://www.youtube.com/watch?v=uFSNk8lQ_u0
(4) https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/02/19/anna-colin-lebedev-politiste-les-ukrainiens-ont-bien-des-choses-a-reprocher-a-navalny_6217339_3232.html
(5)https://www.legorafi.fr/2024/02/16/russie-alexei-navalny-condamne-a-20-ans-demprisonnement-supplementaire-pour-setre-evade-en-decedant/

4 commentaires:

Bernard De Backer a dit…

Merci pour ce billet, Michel. Ma plus grosse crainte est pour l'Ukraine. Le régime russe est dans une "fuite en avant vers le passé", comme l'écrit Stéphane Courtois dans Le livre noir de Vladimir Poutine. Je crois que nous sommes à un moment de bascule, Poutine se radicalise de plus en plus, à l'interne comme à l'externe. L'Ukraine semble à bout de souffle, manque de munitions, les USA bloquent et Trump arrive (même si ce n'est pas encore fait). Dans l'hypothèse où les lignes ukrainiennes seraient enfoncées de manière significative, il n'y aura pas d'autre choix pour nous, les démocraties occidentales et surtout l'Europe, d'entrer dans la guerre sur le terrain. Si nous ne faisons pas (dans cette hypothèse d'avancée russe), les conséquences seraient tragiques pour les Ukrainiens, et pour l'Europe. Les pays baltes d'abord. C'est un moment "churchilien" qui approche.

Michel GUILBERT a dit…

J'ai les mêmes craintes que toi, Bernard, pour l'Ukraine, pour l'Europe, pour le monde. On sent bien que Poutine est prêt à absolument tout. Son peuple ne compte pas, il est capable de prendre le risque de son anéantissement. Et le duel annoncé aux Etats-Unis ne présage rien de bon. La planète se réchauffe et l'air n'a jamais été aussi glacial.

Michel GUILBERT a dit…

J'ajoute encore ceci néanmoins : même mort, Navalny continue à hanter Poutine. La mère d'Alexeï Navalny craint que le corps de son fils soit enterré discrètement, sans qu'elle ne sache où. Poutine veut éviter que sa tombe ne devienne un symbole de la résistance. On espère que ce monstre froid ne dorme plus, hanté par les fantômes de ses victimes."S'ils décident de me tuer, cela veut dire que nous sommes incroyablement forts", avait un jour déclaré Navalny.

Michel GUILBERT a dit…

A lire : l'édition de cette semaine de Franc-Tireur, entièrement dédiée à la guerre d'Ukraine : "Ukraine - notre guerre".
https://digital.franc-tireur.fr/reader/e07e16ea-aea5-4aa7-90fb-7116d3db04da?origin=%2Ffranc-tireur%2Ffranc-tireur%2Fn119-2024